Lancement de campagne de Sylvain Comparot : je vous dirais les mots creux



Mercredi dernier, Sylvain Comparot, incarnation locale de la start-up nation lançait en grande pompe sa campagne pour les élections municipales avec le soutien de LREM. Deux spectatrices médusées racontent le déroulement de la soirée.

La première fois qu’on a vu l’Affiche, c’était en sortant d’une réunion interluttes avec des syndicalistes, des gilets jaunes et quelques écolos, dans laquelle on préparait la mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites. Dans une lumière diaphane, mis en valeur par un halo de lumière au milieu de l’image rassurante du quartier des antiquaires, Sylvain Comparot nous regardait droit dans les yeux et nous invitait à son meeting de lancement de campagne.

En plein mouvement social, on était curieuses de voir comment la macronie locale allait lancer sa campagne pour les prochaines municipales. Ancien « militant » et responsable à l’UNEF (qui était alors le principal syndicat étudiant) puis à Génération Campus (association étudiante macroniste avant l’heure), il est aujourd’hui en charge des relations avec les entreprises de l’Université de Bourgogne et directeur de cabinet du président de l’université. Dans l’organigramme d’une entreprise, c’est un peu comme si un délégué du personnel devenait le secrétaire du patron, il voulait déjà dépasser le clivage dira-t-il. Il est ensuite passé par le PS avant de le quitter quand celui-ci ne semblait plus porteur et de créer son propre mouvement plus macron-compatible « Pour Dijon ». Avec un tel apprentissage, les mauvaises langues disent qu’il a l’opportunisme adéquat avec une belle carrière comme politicien.
À l’entrée, quelques gilets jaunes et syndiqués sont devant la porte. En théorie, il fallait s’inscrire pour entrer mais finalement après un bref checking ils laissent passer tout le monde. On comprend mieux pourquoi en voyant la salle à moitié vide à l’heure du rendez-vous et on trouve un siège facilement. Dans le rang de devant un type sapé comme un DRH passera la soirée à regarder des catalogues de pinard où les bouteilles ont des prix à trois chiffres. « En terme de mixité sociale bin heu heu c’est pas trop ça... » lâche ma voisine à son ami. Même les bourgeois se rendent compte de l’entre-soi et de fait, l’assemblée ressemble davantage à une soirée d’école de commerce qu’au Dijon bigarré qu’on voit ces derniers jours dans les manifs. On croise le chef local du MEDEF qu’on reverra plus tard... figurant dans le clip de campagne. La plupart des personnes racisées font parti de la sécurité et le code vestimentaire est chic mais pas trop. C’est propre sur soi, assez guindé et c’est en plein dans le cliché des classes supérieures libérales qu’on attendait. Des Jeunes avec Macron et des membres de Pour Dijon, avec leurs tee-shirts blancs et verts trépignent, la sécurité toise tout ce qui ne ressemble pas à un jeune cadre dynamique. Bon après une bonne demi-heure à temporiser, il faut se faire une raison, les masses ne vont pas envahir la salle et il faut commencer.

La lumière se tamise et la grand messe peut enfin être lancée.

Un premier intervenant arrive et prend la salle à froid en lançant sa conférence. Simon Foucault « combat » le gaspillage alimentaire avec sa start-up « Too good to go ». Après quelques statistiques effectivement effarantes sur la quantité de nourriture jetée en Europe, il étale une belle tartine de bons sentiments sur l’écologie et comment sauver la planète tous ensemble. En plus, « les sondages disent que l’écologie est le thème prioritaire de 50% des français aux municipales ». Si on veut gagner les élections il faut donc « s’engager pour la planète ». Là, il propose un geste fort, courageux et radical : utilisons une appli ! En l’occurrence, il s’agit de celle de sa start-up qui propose ni plus ni moins d’acheter pour moins cher (encore heureux !) des aliments qui sinon seront jetés. « Notre application met en réseau les commerçants de bouche avec les consommateurs pour ouvrir des opportunités... » . Si tout le monde sera d’accord sur le scandale que représente le gaspillage de la bouffe, c’est un état d’esprit particulier que d’imaginer faire du profit avec le contenu de ses poubelles. C’est encore plus retors que d’habiller son business plan de grandes valeurs écologiques mais c’est l’époque semble-t-il.

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C’est ensuite au tour de Patrick Hurpin de faire une petite présentation. Il a préparé des « slides » pour son powerpoint mais y a des petits soucis technique et ça ressemble un peu a un exposé de 3e. Lui aussi a une start-up ou un projet de start-up j’ai pas bien compris en tout cas ça s’appelle « MacAuto ».

Il veut aménager des "infrastructures de mobilité décarbonées" avec un "véhicule flet" de "shared voitures autonomes networkées dans des ruches nodales". Bref il veut construire des parkings pour voitures électriques partagées avec un toit de panneaux solaire pour produire un peu de l’énergie consommée. Les métaphores pleuvent « Si les voitures électriques sont des abeilles, "MacAuto" réalise les Ruches et l’intelligence du système ». Ce qui doit faire sensation devant un parterre d’étudiant en marketing tombe un peu à plat ces soir. Patrick Hurpin finit par le jeu de mot qui a du bien fait rire à la machine à café de son fond de pension "on ne prète qu’aux ruches !" On ne sait pas ce qu’ont vraiment compris les gens et la salle est un peu hébétée. On est au bord de l’overdose en concept marketing habillant vite fait un greenwashing aussi banal qu’ostentatoire et on dirait une chronique de Guillaume Meurice avec des fanatiques de la nouvelle économie [1]. C’est vraiment les mots creux dont parle Greta Thunberg [2] et il y a un aspect presque irréel de les voir aussi rassurés par leurs solutions d’ingénieurs. Comme si le désastre écologique en cours n’était qu’une question technique et pas politique. Les riches polluent 40 fois plus que les pauvres [3], alors plutôt que de rééquilibrer les richesses, il semble logique de permettre aux riches de polluer moins. En tout cas, c’est ce que semblent penser certains riches..

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La dernière intervention est animée par Estelle Colas qui est « Global Brand Director chez make.org ». Ça l’air d’être une sorte de plate-forme de participation citoyenne en ligne. Elle aborde un thème dont parle beaucoup le gouvernement en ce moment : les violences faites aux femmes. Reprenant les éléments de langage d’Édouard Philippe ou de Marlène Schiappa, elle lance quelques pistes pour affronter la catastrophe que voient enfin les politiciens. Là ou c’est un peu dur à entendre, c’est qu’aucune mention n’est faite du féminisme ou du patriarcat. On a l’impression qu’on parle d’une juxtaposition de cas isolés de violences conjugales, pas d’un fait social avéré. Derrière les bonnes intentions de l’intervenante, la vision politique est plus floue voir totalement illisible. La solution vient de la société civile selon elle. On a rien contre mais ça ressemble étrangement à une manière de botter en touche et de ne pas financer les politiques ambitieuses que réclament les collectifs féministes [4]. Le partenariat public-privé est mis en exergue et de nombreux logos d’entreprises partenaires viennent confirmer qu’on est d’avantage face à une belle opération de com’ qu’à un plan de bataille contre les violences sexistes.

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Enfin, la lumière baisse encore d’avantage. La musique vrombit dans les sonos et un spot publicitaire évoquant une pub pour une assurance ouvre la montée sur scène de Comparot sous quelques applaudissements timorés. Seulement un type se chauffe un peu à hurler, on apprendra pendant les remerciements que c’est le responsable local des « Jeunes avec Macron ». L’enthousiasme exagéré fait sûrement partie de son business-plan pour gratter un strapontin dans une quelconque commission du parti. Comparot entame son discours en se plaçant au dessus des clivages partisans dans le plus pur style macronien. Avec son association « Pour Dijon », il veut dépasser les conflits pour « rassembler les talents », il souhaite que « les gens s’engagent avec courage sans avoir peur d’être traité d’utopistes » (sic). Il lance fièrement la formule : « Pour Dijon, contre personne ! ». Bizarrement et sûrement sans y voir de contradiction, il enchaîne aussitôt en remerciant le soutien de la « République en marche » et de l’UDI, bref de sa chapelle politique libérale. Parmi les quelques gilets jaunes présents, personne n’ose lui rappeler que, depuis un an et plus encore depuis une semaine, si la bande à Macron rassemble très largement, c’est clairement contre elle ! De fait, quelques uns se lèvent ostensiblement et sortent, visiblement saturés par le bavardage du candidat. Difficile de résumer un discours aussi creux qu’attendu. L’économie n’est citée nulle part puisqu’elle est partout. On a vraiment l’impression que leur « nouveau monde » n’est rien d’autre qu’un projet marketing et que certains pensent sérieusement transformer Dijon en start-up. Nous, on vit dans un monde, où les préocupations c’est certes l’écologie et les violences sexistes, mais aussi l’accès à un logement digne, les classes d’écoles et les hopitaux surchargés, les frais de transports exorbitants, et en ce moment les retraites. De tout ça, pas un mot et aucune trace d’un début de remise en question, un peu comme l’orchestre du Titanic qui continuait à jouer pendant que celui-ci coulait à pic... Quand le discours s’arrête enfin, sur scène l’enthousiasme est vaguement sur-joué, les deux premiers rangs applaudissent leur copain pendant que le reste de l’assemblée semble assez indifférente.

En sortant on voit, qu’à l’image de cette soirée, même les gougères décongelées ne suscitent pas d’émotions et sont avalés poliment. Dehors, un petit groupe de gilets jaunes est rieur et blagueur à souhait. Il parait que certains ont tenté de déclencher une alarme mais malheureusement ça n’a pas sonné... On est content de retrouver la fraîcheur de la rue infiniment plus vivifiante que l’atmosphère guindé du meeting. On rentre finalement en se disant que, si on est un peu déçu que le conflit social n’ait pas fait irruption sur le devant de la scène, Comparot et son équipe ne semblent pas un danger inquiétant. On voit pas trop comment il va rencontrer un éléctorat hors des cercles du pouvoir qui lui sont déja acquis. Un collègue lâche ainsi dans un éclat de rire « autant les laisser parler, ils se sabotent tous seuls ! ». Difficile de pas se dire que quand-même, on aurait mieux fait d’aller boire un coup ou de se faire une belote !



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