Aurore Tambours



Ce jeudi matin 17 mai, la préfecture maudite de Loire Atlantique et son gouvernement terrible ont décidé de réouvrir le champ de la destruction de lieux de vie sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Cette fenêtre d’expulsion est pensée pour dégager une quinzaine de lieux. A priori, en deux ou trois jours, peut-être quatre, on ne sait pas encore.

AURORE TAMBOURS

C’est à 3h du matin qu’ils partent en cortège de la mort depuis Nantes et en direction de la zone. À quatre heures et demie, ils sont sur place et l’hélicoptère occupe l’espace aérien. À 5h, ils passent à pied la première barricade au nord, côté Liminbout, à grand renfort de grenades assourdissantes. Voilà, nous sommes réveillés. Nous partons alors les yeux vitreux à 5h30 du matin vers de nouveaux fronts.

Toute la journée, il y a eu bon nombre d’attaques contre la police dans les bois, dans les champs : tout n’a pas surfé tranquillement sur la vague du seul conflit administratif. Sur le terrain les flics n’étaient pas paisibles. Leurs déplacements et pique-niques étaient guettés, leur position transmise. Le territoire était en fait quadrillé par des forces amies pour que la bleusaille ne soit pas sereine, déstabilisée dans son dispositif. Cela étant, les flics avancent et détruisent les cabanes.

En tout cas leur forme d’intervention n’est pas banale : pour les cabanes du PuiPlu, de la Hulotte, les flics ont envoyé de sombres émissaires menaçants poser les conditions de leurs interventions avec les personnes présentes, annonçant leurs plans bien ficelés.

Car ce qui semble nous faire face aujourd’hui à la ZAD en l’habit du flic, c’est une sorte de créature hybride - bicéphale et résolument schizophrène - capable d’une force de frappe détonante (toute la technicité et la modernité du meilleur de la contre-insurrection française – un savoir faire que l’on vendra d’ailleurs très cher à nouveau en Amérique latine ou au Maroc ou en Turquie pour mater la rébellion du moment) mais qui se présente aussi drapée de l’étoffe soyeuse du pur respect des procédures administratives.

BON PAPA MANIE FOUDRE ET ACCALMIE

La flicaille sur la ZAD opère une sorte de mutation pour se revêtir à nouveau des anciennes fringues du policier bon papa, maniant le fouet et la fausse cajolerie. Elle joue et retranscrit sur zone la véritable partition imposée par le jeu politique que mène la préfecture : destruction militaire et négociation administrative.

Elle se présente alors d’un côté en surnombre, surarmée et sur-préparée & de l’autre dans une fausse prédisposition au dialogue, propre à faire croire qu’elle cherche réellement à désamorcer avec humanité tout conflit direct, par le biais d’une mise en tension d’une sorte d’accord dont elle énonce les conditions :

À la Hulotte, deux gendarmes mobiles s’adresse à une habitante de la cabane :

« Madame, vous voyez comment se déroulent les opérations. Nous cherchons juste à passer et sécuriser la zone derrière votre cabane. Nous ne la détruirons pas. Mais si trop de « gens en noir » se montrent agressifs autour de chez vous, nous pourrons alors occuper votre habitation et s’en prendre physiquement aux gens d’ici, vous et votre ami y compris . »

À la Rolandière, le Général s’avance face aux personnes qui sont sur place :

« Bonjour. Je suis le Général en charge des opérations. Aujourd’hui nous allons procéder à la destruction de quatre lieux : La Chateigne, le PiuPlu, La Vosgerie, La Datchacha. Si vous nous laissez travailler tranquille, tout se passera bien. Par contre, à la moindre offensive de votre part, nous sommes en mesure de répondre, d’occuper et de vider de leurs habitant·es, affaires et meubles des lieux qui ne sont pas expulsables, afin de sécuriser nos zones d’interventions et parvenir à mener à bien nos opérations. »

À Bellevue, 3 gendarmes mobiles décasqués au milieu d’un champ viennent à la rencontre des « gens en noir » :

« Nous nous déployons aujourd’hui sur une ligne qui va du nord-est au sud-est de la ferme de Bellevue, sur une distance d’1km. S’il y a des attaques de votre part à notre encontre, nous y répondrons et sommes en capacité légale de venir investir la ferme et ses environs, de la vider et d’y déloger les personnes présentes puis d’opérer une perquisition du matériel que nous y trouverons. »

Les forces contre-insurrectionnelles sur la ZAD tiennent bien en main les rennes de la pure confrontation physique ainsi que ceux du dialogue pacificateur, propre à désamorcer a priori toute situation. En jouant ce double jeu elle opère un travail de brouillage des positionnements et des rôles, ce qui doit assez bien contribuer à renforcer les fractures entre « soutiens radicaux » et « militants que l’on pense pacifistes », depuis l’extérieur comme à l’intérieur de la zone.

L’attitude qu’elles adoptent dans le bocage en ce mois de mai 18 met en œuvre une stratégie de contre-insurrection bien connue, en se présentant comme les seuls garants de l’intégrité et du bien fondé de l’État de Droit, et non plus seulement ce qu’elles sont réellement : les bras armés d’un État qui détruit - dans la plus pure brutalité - ces oppositions effectives qu’incarnent la ZAD et ses tentatives multiples,
existentielles et politiques.

ON THE ROAD AGAIN

Ces jours-ci, nous n’étions pas assez nombreux pour contrer l’opération. Nous n’étions pas assez différents et multiples. En 2012, en avril dernier et bien d’autres fois nous étions des milliers, sur les routes, les chemins, dans les champs pour imaginer un florilège d’actions surprenantes. Ces occupations massives et diverses ouvraient des brèches pour contrer physiquement et matériellement l’ennemi et pour empêcher
les destructions.

Ces deux jours de mai attestent qu’une préparation matérielle titanesque de la part des soutiens à la ZAD n’a pas été suffisante pour empêcher une opération militaire. Parce que c’est bien d’une opération militaire qu’il s’agit : 800 gendarmes sont venus détruire moins de dix cabanes.
Pourtant cette opération semble réduite à la plus petite parcelle d’intervention tenable pour le gouvernement, qui se laisse imaginer comme la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus conséquent que ce qu’il n’est dans la réalité du territoire zadiste : les flics ont détruit surtout des cabanes pour ce qu’elles portent comme symbole d’un certain mode de vie sur la zone, pour une bonne partie abandonnées ou
vides depuis longtemps, pour une autre bien pleine de vie.

Peut-être que les soutiens habituels savaient que nous ne perdrions pas la ZAD aujourd’hui. Peut-être que les enjeux étaient trop lointains pour inquiéter et mobiliser du monde. Manifestement, ni les paysans, ni l’ACIPA, ni la coordination du Mouvement ne sont venus défendre les lieux en péril. Les forces en présence et les barricades n’ont pas suffit à les protéger.

Finalement, l’intervention policière ressemble à une grosse opération de communication. Si le gouvernement voulait vider la zone, il n’y est pas parvenu. La préfecture utilise un maximum de moyen pour en fait niquer un minimum de trucs. Mais cela leur permet de gérer chaque moment d’expulsion et de destruction au millimètre, « on dit ce que l’on fait et on fait ce que l’on dit » dixit le Général Conquistador. Et peut-être que s’il s’en sont tenus à ce strict minimum, c’est parce qu’ils savaient qu’ils seraient mis en échec sinon.

En tout cas, on ne peut pas dire qu’ils ont réellement gagné du terrain : la quasi totalité des 1600 hectares de bocage est toujours occupée par les différentes composantes du Mouvement. Les paysans labourent leurs terres, traient leurs vaches. Ils sèment du sarrasin. D’ailleurs les moissons sont prometteuses : le printemps est généreux.

L’envie de construire, de créer et de reconstruire demeure. Au moment même où les cabanes sont défoncées, les chantiers vont bon train.

La ZAD est encore à nous !


P.-S.

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