Bonjour,
Je m’adresse ici à toutes les enseignantes, à tous les enseignants, à toutes les personnes qui ont la sensation électrisante de devoir se soumettre à l’autorité glaciale, violente, et intouchable de l’Institution ; l’unique, cette vieille relique puante de la République : l’Éducation Nationale.
Je suis professeure des écoles depuis quelques années. Assez vite j’ai appris à maudire le printemps. Le printemps du grand mouvement [1]. Chaque année, fin mars-début avril, ça se remue dans la tour d’ivoire, rue du Général Dellaborde. Ces messieurs dames relancent les dés de la grande partie annuelle d’un Risk géant avec ses pions de toutes les couleurs.
FORCE VERTE : Le stagiaire tout juste titularisé qui sort de l’ESPE. Celui-là on le met en première ligne, il a été passé à la machine à laver toute l’année, il est bien propre, prêt à assumer son poste de galérien sur l’île Merdique.
FORCE BLEUE : Ceux qui sont sur le plateau depuis suffisamment longtemps. Ceux à qui on va continuer de faire croire que ce système est juste et équitable : « Messieurs dames, croyez-moi, vous êtes tous à la même enseigne et nous avons un mal de chien à vous garantir ce que nous vous garantissons déjà, alors soyez indulgents. »
FORCE ROUGE : Le syndiqué qui connait ses droits, une bande de collègues qui a décidé de se battre pour continuer une aventure passionante. Ceux-là c’est des petits fouteurs de merde, quand on les attrape pour les mettre quelque part sur le grand plateau, ils vous mordent les doigts et gesticulent jusqu’à épuisement.
Je suis épuisée.
Je viens de vivre une année exceptionnelle avec mes élèves et mes collègues. Ça a commencé à la réunion de rentrée quand on a décidé de transformer la « cour de récréation » en cour de récréation. Imaginez un grand gosse allongé sur une natte sous le préau qui lit un bouquin à une assemblée de minimoys. Imaginez des gamins qui jardinent au soleil. Imaginez autre chose que le béton, le foot, et la maîtresse seule qui boit son café.
Je viens de vivre une année exceptionnelle, chaque semaine ça se déplace dans les classes, dans les couloirs. Plus de dring, avancez en rang, entrez dans le cockpit, mettez vos casques, canal 3 piste 7, l’attribut du sujet, dring, sortez c’est la récré. C’était quelque chose de circulant, où les enfants pouvaient avoir des envies multiples, où les enfants se rencontrent, échangent, où les enseignants inventent ensemble et oeuvrent à l’installation d’une petite communauté.
Je viens de vivre une année exceptionnelle. Mais je viens de recevoir une lettre : « Madame, veuillez agréer l’expression de notre sincère regret, mais vous devez obligatoirement participer au mouvement pour cause de fermeture de poste. »
Et bien Madame, Monsieur, veuillez agréer l’expression de ma sincère désolation, mais ça ne va pas se passer comme ça. Je vous ferais bouffer vos injonctions nationales à la cohésion d’équipe, à la coopération, au partenariat, à la bienveillance, et j’en passe. Je vous ferais bouffer votre politique de la séparation, votre chaise de bureau, vos barêmes, vos postes à profil, votre silence, vos procédures... Et quand vous serez bien gavés, je continuerai à vous en foutre plein la gueule pour qu’à la fin vous ayez bien compris le sens du mot dégoût.
Car je suis dégoûtée, dégoûtée, dégoûtée.
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