Manifestations : les syndicats de policiers n’ont pas leur place dans nos cortèges



Lors de la manifestation de la fonction publique du 22 mai à Rennes, une poignée de flics syndiqués à Alliance se sont fait expliquer qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans le cortège. Pour laver cet affront, 3 personnes ont été interpellées chez elles ce mercredi 30 mai, accusées d’outrage, de vol (de drapeau) et... d’entrave au droit de manifester.
À Rennes comme à Dijon, les flics n’ont pas leur place dans nos manifestations.

« Je suis pour l’armement des polices municipales. Il faut que tout le monde ait les moyens de se défendre »
Jean-Claude Delage, Secrétaire Général d’Alliance Police Nationale sur RMC le 25 08 2017

« Alliance Police Nationale organisera le 18 mai prochain une mobilisation nationale pour dénoncer ceux qui dénoncent des prétendues violences policières »
cité par le Huffington Post le 4 mai 2016

Alliance « s’indigne de cet acharnement irresponsable à vouloir faire croire que les policiers sont des brutes sauvages qui frappent aveuglément sur la jeunesse  »
Le Parisien 4 mai 2016

« On a jamais un agresseur de policier qui prend de la prison ferme »
Yoann Maras d’Alliance Val-de-Marne au micro de BFMTV le 2 janvier 2018

« Les magistrats sont indépendants, et parfois je peux le regretter qu’ils soient indépendants, parce que parfois ils ne protègent pas assez les policiers »
Jean Claude Delage, Secrétaire Général d’Alliance Police Nationale sur RMC le 20 10 2016

Que s’est-il passé pendant la manif intersyndicale du 22 mai dernier à Rennes ?

Dans un communiqué, l’union syndicale Solidaires 35 donne un récit détaillé de l’altercation qui a eu lieu lors de la manifestation de la fonction publique du 22 mai à Rennes entre d’un côté, les flics syndiqués, et de l’autre les manifestants légitimes. Elle relève plusieurs provocations de la dizaine de membres d’Alliance présents dans le cortège. Ceux-ci ont en effet refusé de respecter l’ordre du défilé syndical pour se placer avec leur camionette devant les facteurs grévistes dont ils avaient dispersé manu-militari les rassemblements pendant les semaines précédentes. Outre la provocation ils sabotaient ainsi leur collecte de solidarité en la masquant derrière leur camionette.

Les manifestants de plusieurs syndicats représentatifs ont donc demandé aux membres d’alliance de se positionner à la queue du cortège. Ceux-ci ont refusé d’obtempérer, devenant agressifs et menaçant les manifestants avec la hampe de leurs drapeaux et une banderole, avant de se faire repousser jusqu’à une rue proche où une compagnie départementale d’intervention de la police nationale en tenue est venue les récupérer.

Le communiqué ajoute que le syndicat Alliance « s’est illustré à Rennes en manifestant au côté du Front National le 17 janvier 2017 son soutien aux policiers soupçonnés d’avoir tiré au LDB40 et d’avoir éborgné un étudiant rennais le 28 avril 2016. »

Communiqué de Sud-Solidaires à propos de l’affaire "Alliance Police Nationale"

Suite à l’interpellation de 3 personnes ce mercredi 30 mai.

A lire sur expansive.info

Pourquoi Alliance n’a pas sa place dans nos manifestations ?

Après s’être fait une place dans le cortège intersyndical Alliance en fut donc rapidement expulsé par plusieurs dizaines de manifestants. Si les slogans rappelant les mutilations dans les manifestations ou la mort de Babacar Gueye, tué par la BAC à Rennes, étaient suffisamment explicites pour que les membres d’Alliance comprennent les raisons de la colère dont ils étaient l’objet, il n’est pas inutile d’expliciter les raisons politiques du refus de la présence de ce syndicat au sein du mouvement social.

Si les policiers font partie de la fonction publique, peuvent être syndiqués (et même parfois, comme nous l’avons vu à l’automne 2016, participer masqués à des manifestations sauvages ...), ces éléments ne nous semblent pas suffisants pour justifier leur présence dans une manifestation intersyndicale. En effet, il ne nous semble pas possible d’amalgamer dans une même lutte de « défense du service publique » ceux qui vont, d’une part, faire grève pour défendre une université ouverte à tous, désobéir pour protéger des personnes sans papiers, bloquer un centre de tri pour s’opposer aux restructurations au sein de la poste, et ceux qui, d’autre part, ont par exemple pour fonction de rafler les réfugiés, de ficher les militants, de débloquer les universités, les dépôts pétroliers ou les bureaux de poste avec flash-balls, matraques et gazeuses.

En lisant leurs tracts, en étudiant leurs slogans, nous remarquons évidemment que quand les membres d’Alliance manifestent, ils ne le font pas pour s’opposer aux ordres qui leur sont donnés, pour dénoncer l’armement croissant de la police, la répression des mouvements sociaux ou les contrôles au faciès, mais, au contraire, pour dénoncer le « laxisme » de la Justice envers les « délinquants », et, alors qu’une quinzaine de personnes désarmées sont abattues par la police chaque année, pour demander à être mieux armés et à bénéficier d’une « présomption de légitime défense » quoi qu’ils fassent. Lors des manifestations de l’automne 2016, le slogan qui revenait le plus souvent entre deux marseillaises était « la racaille en prison ». Quelques mois auparavant, en plein état d’urgence, lors du mouvement contre la loi travail, et alors que plusieurs manifestants furent éborgnés par des tirs de grenades et de flash-balls, Alliance s’était borné à dénoncer la « haine anti-flics » supposément présente au sein du mouvement social.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans une période de restructuration du capitalisme, d’augmentation des inégalités, de montée du racisme et de recul des droits des salariés, la police est le seul corps de métier dont les syndicats ont obtenu de nombreuses avancées : loi renseignement, inscription des pratiques de l’état d’urgence dans le droit commun, élargissement du cadre de la « légitime défense », armement de certaines polices municipales, etc.

Pour cela, il y a une cohérence entre le fait de participer aux luttes existantes, et le fait de s’opposer aux policiers qui, comme le font régulièrement les représentants d’Alliance, demandent plus de moyen pour les réprimer. Rappelons que, comme le mentionnait la Charte d’Amiens (texte de référence pour l’ensemble du syndicalisme en France), la lutte est « une révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales », visant à « l’accroissement du mieux-être des travailleurs » et à l’ « émancipation intégrale ». Ce mieux-être et cette émancipation sont évidemment incompatibles avec les tirs de flash-balls et de grenades lacrymogènes sur les cortèges, avec le renforcement des contrôles aux frontières et de la mise sous surveillance des quartiers populaires. Dans la mesure où ces pratiques sont défendues par Alliance, les personnes qui ont expulsé ses membres de la manifestation ont eu raison de le faire.

Pourquoi Alliance n’a pas sa place dans les manifestations.

Un texte d’analyse qui explique pourquoi les membres du syndicat Alliance ont été virés de la manif’ du 22 mai à Rennes.

A lire sur expansive.info

Et les autres syndicats de flics alors ?

Le 10 octobre 2017, déjà, une manifestation de la fonction publique avait vu l’infiltration des manifestations par des membres de syndicats policiers. Étaient présents Alliance, Unité SGP Police FO, UNSA Police, mais aussi VIGI, syndicat de policiers rattaché à la CGT, et donc réputé et autoproclamé « progressiste ». Ceux-ci s’étaient pourtant fendu d’un appel à prendre la tête de la manifestation du 12 septembre afin d’intervenir par tous les moyens dont ils disposent pour interpeller celles et ceux qui commettraient des infractions.

Un comité d’action lycéen avait alors réagit par le communiqué suivant.

Qu’est-ce que le VIGI ? Il s’agit du nouveau nom, depuis juin dernier, de la CGT police. Un syndicat qui prétend rassembler les policier-es « de gauche » (ou presque), mais qui n’a pas hésité, par exemple, à appeler à se rassembler le 18 mai 2016 sur la place de la République contre la « haine anti-flics », aux côtés de grandes figures de la droite dure et de la droite extrême (Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard notamment). Un syndicat dont certains communiqués avaient également été largement repris par les sites d’extrême-droite « Égalité et Réconciliation » (site d’Alain Soral) et « Quenel + » (site de Dieudonné). Un syndicat, plus récemment, qui relaye sur son compte Twitter le vulgaire youtuber d’extrême-droite « Raptor Dissident » (proche d’Alain Soral). Nous nous contenterons de ces quelques exemples, qui permettent de cerner un peu plus ce syndicat si « progressiste ».

A lire sur Twitter

Les présentations étant faites, reprenons leur communiqué, dans lequel le VIGI pose deux objectifs rigoureusement contradictoires avec l’esprit même de l’ensemble des manifestations depuis le printemps 2016. Premièrement, la défense de leurs collègues en service. Fidèle au corporatisme qui règne dans une institution policière que certain-es comparent, pour cette raison, à une véritable mafia, le VIGI n’hésitera pas à briser un mouvement social au nom de l’esprit de corps. La CGT police, à son époque, avait déjà fermement condamné certaines affiches d’autres syndicats affiliés à la CGT parce que ceux-ci avaient simplement osé dénoncer le déferlement de violence policière lors des manifestations contre la loi travail. Le VIGI n’est pas un syndicat de transformation sociale, ni même de réforme sociale, mais un instrument au service d’une corporation qu’il s’agit, pour ses membres, de défendre coûte que coûte.

Deuxième objectif, la défense des manifestant-es contre « les délinquants et les criminels infiltrés ». Complètement dépassé par les rencontres, les discussions et les débats qui ont pu avoir lieu au sein des structures militantes, le VIGI est resté coincé quelques années en arrière, distinguant les « bons » des « mauvais » manifestant-es. Distinction dont on sait aujourd’hui qu’elle est caduque et qu’elle n’est qu’une stratégie du pouvoir politique pour briser toute contestation sociale. Le syndicat policier, usant sciemment de ces catégories morales du « gentil » et du « méchant », se place de facto dans le camp du pouvoir, pas dans le nôtre.

Pour finir, c’est sans doute là le plus comique, nos nouveaux « camarades » autoproclamés ne font aucune mention des violences et des crimes policiers de ces dernières années, que cela soit lors du mouvement contre la loi travail, ou des crimes policiers qui ont pu toucher Adama, Théo, Liu Shaoyo, Curtis et bien d’autres. En 2016, la police frappait, gazait et mutilait les manifestant-es ; aujourd’hui elle prétend les défendre. Cette blague a assez duré : le VIGI n’est pas le bienvenu. Et il le sait. En appelant à infiltrer le cortège lycéen « quitte à se faire massacrer » (comme il le dit lui-même), le VIGI assume qu’il viendra en hostilité, et non pour manifester – en plus de feindre une posture de victime (comme si des lycéen-nes avaient la capacité de « massacrer » des policier-es).

Ce syndicat, à l’extrême opposée de ce que nous portons collectivement, appelle donc à rejoindre la tête de la manifestation qui consiste, rappelons-le, en un cortège lycéen, afin de semer le trouble dans nos rangs et de briser une contestation sociale plus que nécessaire. Mais personne n’est dupe. Ces individus qui entendent infiltrer le cortège lycéen seront accueillis de manière hostile par tout le monde, y compris les plus pacifistes des manifestant-es. Parce qu’ils sont le garants d’un ordre social qui court à sa perte, aucun flic n’est le bienvenu dans nos cortèges ou dans nos manifestations : leur présence ne réjouit personne. Que les flics infiltrent nos cortèges, ils seront immédiatement repoussés : c’est cela, défendre une manifestation.

Comité d’action inter-lycéen

Pas de flics dans nos cortèges

Suite à la provocation du VIGI, un syndicat policier ayant appelé à infiltrer la manifestation du 12 septembre, des lycéen-nes déterminé-es à ne pas céder se sont rassemblé et ont décidé de leur répondre.

Parce que lors de cette même manifestation du 10 octobre 2017 nous avions nous aussi, à Dijon, bloqué pendant plusieurs minutes le cortège en refusant de défiler aux côtés de syndicats policiers, puis brulé un de leurs drapeaux sous leurs yeux dépités, nous avons voulu apporter notre soutien à nos camarades rennaises, et rappeler que la place de la police est dans les poubelles de l’histoire, entre Pétain et la coupe mulet, pas dans nos manifs.

Courage aux camarades rennaises interpellées !
Flics, hors de de nos manifs, hors de nos vies !

Des brûleurs de drapeau Alliance dijonnais

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