Mobilisations étudiantes en France : pourquoi ?



Faisant partie des milliers d’étudiant·es qui se sont mobilisé·es ces dernières semaines partout en France contre les réformes du gouvernement actuel sur l’éducation, j’aimerais partager avec vous tout ce que j’ai appris sur ces lois pendant la semaine...

Cette trop courte semaine de mobilisation qui a eut lieu à Dijon... et ainsi vous présenter les réformes de 2018 et la dynamique dans laquelle elles s’ancrent. Voici donc un petit historique de la libéralisation de l’éducation nationale en France depuis le début des années 2000.

Contre quoi se bat-on ? Contre un grand mouvement de libéralisation de la fac.
Depuis mai 68 et les grands mouvement étudiants qui ont eu lieu, c’est un modèle d’université qui part des principe de construction et de diffusion des savoirs qui a été défendu. Une université était vue comme un endroit de mixité sociale, de promotion de l’égalité des chances, de formation de citoyens autonomes et non de futurs employés modèles.

Or c’est vers quelque chose de radicalement différent que notre système éducatif va tendre avec les lois qui ont été votées cette année avec le gouvernement de Macron. À savoir la loi Vidal sur l’enseignement supérieur qui va de paire avec la loi Blanquer sur le bac.

En gros, l’objectif de ces réformes est d’avoir une fac rentable, qui se passe de financement public. L’État veut se dégager de toute participation à la subvention de l’éducation. Le but est de renforcer les partenariats avec le privé : de réduire, quel qu’en soit le coût social, les dépenses de l’État. D’un bien public, qui profiterait à tous indifféremment, l’éducation deviendrait un bien privé, pour lequel on devrait payer. Pourtant, l’éducation ce n’est pas seulement un bénéfice personnel en terme de revenu et de prestige social, c’est aussi et avant tout quelque chose qui a un impact positif sur toute un société, une population plus instruite, c’est une population plus autonome et moins encline à se faire manipuler par les intérêts politiques ou économiques.

Cet objectif de libéralisation de la fac est en vue depuis un bout de temps par nos gouvernements en France. On ne peut pas dire que ça a commencé seulement en 2018 avec Macron, on peut facilement revenir en arrière jusqu’au début des années 2000.

Dans cet article, je refais la chronologie de ce qui s’est passé depuis le tournant du XXIe siècle, si vous voulez seulement savoir ce qui se passe avec les réformes de Vidal et Blanquer, passez directement à la section C.)

A. Sous Chirac : ça passe, puis ça casse.

S’il y a une chose à savoir pour commencer, c’est que tout ça vient de l’Europe et même de l’OCDE à qui l’Union Européenne obéit docilement. Suivant donc les directives de l’OCDE, l’Europe met en place en 1998 le processus de Bologne : il consiste en la création d’un système d’éducation commun à tous les pays européens avec reconnaissance mutuelle des diplômes. De loin, ça paraîtrait presque une bonne idée, un moyen de relier les pays entre eux, de permettre aux étudiant·es de voyager partout en Europe. Mais de fait, cela consiste aussi à créer une sorte de marché international de l’éducation supérieure. Le but final n’est pas tant le renforcement du cosmopolitisme que de mettre les universités en concurrence les unes avec les autres, et la possibilité de faire des différentes éducations nationales des machines bien réglées pour préparer les étudiant·es à répondre aux besoins fonctionnels des économies européennes - et donc toujours servir le sacro-saint idéal de croissance économique.
Ainsi, 4 ans plus tard (en 2002) en France, un grand projet voit le jour. Le ministre de l’éducation de l’époque, Luc Ferry, a voulu lancer une réforme « coup de poing » : tout libéraliser d’un coup, faire payer des frais d’inscription plus importants aux étudiant·es, mettre les fac en compétition les unes avec les autres, etc, etc...
Mais un mouvement social s’est élevé contre ce projet, et même dans son camp on a freiné des quatre fers, même pour eux c’était trop brusque ! Donc, ce projet a été abandonné en 2 semaines.
Forts de cet enseignement, 2 ans plus tard, deux économistes, Philippe Aghion et Elie Cohen, reçurent la commande et remirent un rapport au ministère de l’éducation : le Rapport éducation et croissance.
Dans ce rapport, les deux économistes font une analyse du système éducatif français et envisagent successivement trois scénarios pour l’éducation nationale en France :

Extrait de l’introduction : "Après avoir passé en revue les grands traits du système français, ses performances et ses handicaps dans le contexte de la globalisation et de l’intégration européenne, les tentatives plus ou moins réussies pour le faire évoluer, le rapport dégage trois scénarios envisageables : le « fil de l’eau » (la poursuite des évolutions spontanées sans grand volontarisme...), la rupture (c’est-à-dire le chamboulement très volontariste), la réforme graduelle (« incrémentale »). C’est cette troisième voie qui est privilégiée par les auteurs, et qui conduit à un certain nombre de recommandations : création d’une Agence comparable à la NSF américaine ou à l’ESRC anglais ; encouragement à la constitution de pôles d’excellence d’enseignement supérieur et de recherche s’appuyant en particulier sur le levier européen ; participation active des universités à l’effort de formation professionnelle en voie de renouvellement ; mise en place dosée et ciblée de mesures relevant de la « discrimination positive » afin de corriger certaines inégalités ; etc. D’après ce rapport, mieux vaut s’en tenir au gradualisme plutôt que de continuer à rêver à l’improbable et quasiment impossible « thérapie de choc » du système français d’enseignement et de recherche. "

Donc voilà, plutôt que de tout mettre en place d’un coup et plutôt que de laisser le système éducatif tel qu’il est, il vaut mieux le réformer par étape et surtout ne pas oublier que le modèle vers lequel il doit tendre est le sytème d’éducation américain. Un système d’étude plutôt très inégalitaire [1] avec des grandes universités hors de prix, une concurrence énorme entre les élèves, une dette étudiante monstrueuse qui pèse sur l’économie du pays et des pans entiers de la population exclus d’office de toute perspective d’étude supérieure.

B. Sous Sarkozy : On jette les bases du nouveau modèle d’université

En 2007, Sarkozy arrive au pouvoir et applique à la lettre ce dont parle Aghion et Cohen.
C’est la loi sur la modernisation des universités enclenchée par sa ministre Valérie Pécresse. Le principe est le suivant : le ministère se désengage de la gestion des budgets de l’université, c’est-à-dire qu’il leur donne un budget global, des effectifs à ne pas dépasser et le président de l’université doit se débrouiller pour organiser ce budget.

On peut discerner en gros deux stratégie qui accompagnent cette réforme :

1. La stratégie de la patate chaude : chacun à son tour se défait de toute responsabilité et la remet au grade inférieur, le ministre donne la responsabilité aux universités, le chef de l’université se repose sur les doyens qui eux-mêmes s’en défont et la renvoient aux enseignant·es et puis finalement si la fac ne marche pas, si les étudiant·es ne réussissent pas c’est quand même et surtout de la faute des étudiant·es bien évidemment et aussi du système qui ne les sélectionne pas assez bien.

2. La stratégie du cliquet, toujours dans la perspective du désengagement de l’Etat dans l’éducation, c’est de ne pas augmenter les budgets alors même que le nombre d’étudiant·es augmente. Une fois que le budget passe sous un certain niveau il n’augmentera plus, on rogne au fur et à mesure sans jamais revenir en arrière, et ce qui fait que la somme consacrée par l’État à chaque étudiant·e ne cesse de diminuer. [2] Le problème est que l’on doit tout de même garder un certain nombre de formations en place. Donc plutôt que de s’attaquer à la quantité, on s’attaque à la qualité : on enlève un certain nombre d’heures de cours, on transforme les TD en cours magistraux, on abandonne le tutorat et l’accompagnement rapproché des étudiant·es, on gèle des postes et on fait reposer les formations sur un nombre toujours plus réduit d’enseignant·es.

C. Hollande et Macron : toujours la même chanson.

Sous Hollande, sans rentrer dans les détails, c’est la même stratégie, on encourage les universités à se mettre en concurrence les unes avec les autres et se financer de plus en plus autrement que par les fonds que donne le ministère, tout en renforçant les partenariats avec le privé pour faire de l’université une antichambre du monde industriel et du monde du travail. On perd totalement les objectifs d’éducation, de construction et de diffusion du savoir dont on parlait en mai 68.

Et nous voilà aujourd’hui en 2018, j’espère que je vous ai pas trop perdu·es en route.
On a donc deux ministres, celui de l’éducation Blanquer, et celle de l’enseignement supérieur Vidal, qui travaillent main dans la main pour parachever cette formidable dynamique.

Blanquer réforme le bac, Vidal réforme la Fac
Hollande avec ses histoires de tirage au sort qui, il faut le dire ont concerné exactement 0.5% des bacheliers l’année passée [3] a fourni un prétexte en or au nouveau gouvernement pour remplacer APB par Parcoursup.
Le principe global ? Faire de chaque futur·e titulaire du Bac un auto-entrepreneur de son avenir, qui maximise ses chances à partir d’un capital de connaissance qu’il aurait accumulé tout au long de son parcours scolaire.
C’est un outil génial pour sélectionner les étudiant·es : dès les conseils de classe de terminale, les professeurs doivent « profiler » les élèves en les évaluant sur trois critères (sources : témoignage d’un professeur de lycée)
a) La « cohérence du projet avec les qualités personnelles » → il est donc désormais officiellement établi que l’évaluation n’est plus celle d’un travail mais de "qualités personnelles", soit d’individus.
b) Le « degré de motivation » → qu’est-on censés en savoir ? Le métier de professeur implique-t-il de sonder les cœurs et les reins ?
c) Les « chances de réussite » → qui risquent d’être hautes si on en préjuge comme ça dès le Lycée ! Notre société ne comporte sans doute pas déjà tant de sélection, de reproduction sociale et de classisme qu’il faille en surajouter. Puis cela est bien connu : jamais on n’a vu d’adolescents de dix-sept ans ne sachant trop encore où aller, qui après le bac se soient découverts et réinventés de façons imprévues.
Sur Parcoursup les étudiants ont un éventail de choix beaucoup moins large ce qui incite à être soit même sélectif dans ses vœux et à s’autocensurer de peur de ne pas être pris dans des filières qui paraissent trop inatteignable, surtout si on vient d’un petit lycée de campagne plutôt que d’un grand lycée de métropole. Pour chaque vœux on demande des lettres de motivations et des CV, et on sait très bien que nous ne sommes pas tous égaux devant ce genre de demande :entre un-e enfant de médecin, ou d’enseignant chercheur et un-e enfant d’ouvrier, l’aide ne sera pas la même, les fautes d’orthographe ne pourront pas forcement être corrigées. Donc les élèves se font évaluer, passer au crible fin pour être sûr de déceler la moindre faille dans leur projet professionnel sur des critères qui sont le plus souvent directement reliés à leur milieu d’origine.
Après quoi avec les vœux sur parcoursup, ce n’est plus le rectorat qui va s’occuper des étudiants et leur dispatchement dans les universités mais les présidents des fac, c’est aussi eux qui formuleront des propositions de formations alternatives aux candidats n’ayant pas d’affectations en fonction de là où il y a de la place, histoire de faire du remplissage.
Ainsi, dès 18 ans le système décidera de ce qui est mieux pour nous, du parcours dans lequel on sera plus à même de participer à la course à la croissance et économique et la compétitivité nationale et surtout le système nous dira de rester à notre place, et de ne pas espérer en sortir par les études.

Avec la non hiérarchisation des vœux, il n’y a plus de priorités dans le traitement des vœux ce qui fait que les filières les plus demandées sont encore plus mises sous tensions et que seuls les meilleurs auront véritablement le droit de choisir leur filière ; les moins bons devront attendre patiemment leur tour.
Il y a de plus un énorme flou sur la question de la réorientation. Aucune idée de comment ça va fonctionner pour ceux qui sont allés dans une filière qui finalement ne leur plait pas. Il semble que quoi que l’on décide, cela va encore plus complexifier les procédures d’admission et renforcer le côté inégalitaire, est ce qu’il vont réserver des places spécialement pour ceux qui se réorientent ? Est ce qu’ils les forceront à rester où ils sont ? Est ce qu’ils leur montreront la porte de sortie de la fac en leur disant bon vent ?

Puis Vidal l’a promis, bientôt les possibilités de compensation entre les différentes UE (unités d’enseignement) seront supprimées, ce qui permet certaines personnes excellentes dans des matières et médiocres dans d’autres de valider leur année. Cela concerne une très grand partie de la population étudiante, donc le but c’est vraiment de procéder à une épuration des effectifs parmi les étudiants. Qui restera ? Les meilleurs. D’ou viennent-ils ? Statistiquement ils viennent des familles de cadres et des familles de professions les plus prestigieuses.
Certes on connait tous un-e fils-fille d’ouvrier qui a fait des études brillantes, ce qui pourrait vous faire dire que j’ai tort de dire que seul les plus riches réussissent à la fac. Mais si la sélection se met en place, les enfants d’ouvriers pourront-ils seulement y aller, à la fac ?
La sélection ne résout rien, même dans les filières les plus prestigieuses et les plus sélectives, notamment les classes préparatoires le taux d’abandon est impressionnant ! Chacun a le droit de se construire un parcours de tester des voies, d’apprendre, sans forcement viser un diplôme ou une métier !

Je pourrais encore poursuivre des pages et des pages pour vous parler de ce que Macron nous réserve, à la vue du nouveau rapport qui a été remis au gouvernement par l’économiste Robert Gary-Bobo sur les bienfaits des frais d’inscription pour l’éducation en France (il propose de mettre ne place des frais d’inscription d’un montant variant entre 4000 et 8000€ et généraliser un système de crédit étudiant pour le pays, il n’y a qu’à voir comme ça marche bien aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne...)

Voilà j’espère vous en avoir appris un peu plus sur ce qui se passe et pourquoi les étudiants se battent aujourd’hui. J’espère aussi que cette contribution pourra éveiller chez certain encore plus de motivation à se mobiliser contre cet énorme rouleau compresseur qu’est le paradigme néolibéral. Il s’insinue depuis trop longtemps dans notre société comme un poison paralysant, à nous de renverser la tendance !



Notes

[1Pour aller plus loin sur le système d’éducation américain, et aussi pour le plaisir, allez lire ce court article de Libération qui date de 2015, et qui montre avec simplicité comment le système éducatif américain renforce la polarisation de la société et crée des fossés gigantesques entre les plus pauvres et les plus riches. Bien sûr, Libé c’est pas le top du top en référence mais c’est justement ça qui est bon, c’est Libé lui-même qui nous fournit des arguments et leur chiffres sont corrects, donc prenons ce qui est à prendre !

[2voir le graphique, tiré de l’article de Thomas Piketty « Budget 2018 : la jeunesse sacrifiée » 12/10/2017

[3Chiffre des économistes attérés, voir leur article très complet sur le sujet

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