Retour sur l’infotour « Le bras long de la répression ou comment l’Europe traque la dissidence »



Le 22 septembre au Quartier des Lentillères, avait lieu une rencontre - discussion avec Matthias Monroy, journaliste et membre de la revue CILIP Droits civiques et police ») dans le cadre d’un info-tour en Suisse, en France et en Allemagne sur la coopération des polices en Europe : « Le bras long de la répression ou comment l’Europe traque la dissidence ».

Les pays membres de l‘union européenne ont crée de nombreuses possibilités de poursuite de personnes au delà des frontières. Les autorités peuvent, dans le cadre de décisions d’enquêtes européennes, commander à d’autres pays de l’Union Européenne des perquisitions, écoutes de téléphones ou infiltrations d’ordinateurs par trojans.

Aujourd’hui, la publication de données personnelles sur des serveurs internet est facilitée dans le monde entier. Aussi, les polices et les autorités frontalières sont en train de renouveler leurs banques de données et de rassembler leurs banques d’empreintes digitales dans une ‘mémoire biométrique’.

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Les données des fiches de réfugiéEs sont déjà aujourd’hui fouillées avec la reconnaissance faciale. Dans le Système d’information de Schengen, la plus grosse base de données policière de l’UE, dont la Suisse fait également partie, se trouvent de plus en plus de personnes cibles de recherches discrètes et de mandat d’arrêt européen.

De plus, Interpol peut distribuer un mandat d’arrêt national aux polices criminelles de chacun des 190 pays. Il existe également d’autres résaux de police et de services de renseignements à l’exterieur de l’Union Européenne, dans ĺesquels les membres prennent des décisions opérationnelles et stratégiques.

Le podcast de la présentation en français :
https://rdl.de/sites/default/files/audio/2018/09/20180925-vortragzureu-w11392.mp3

Et le diaporama pour suivre :

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La version allemande de cette soirée est disponible ici, sur barrikade.info


Le bras long de la répression

Article de Matthias Monroy — 13 octobre 2018

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G20 : Pour poursuivre les militant·e·s, la police criminelle de Hambourg (LKA) [1] utilise le mandat d’arrêt européen et la décision d’enquête européenne [2]. La police criminelle fédrérale (BKA) [3] assume la fonction de bureau central.

Après le sommet du G20, les collaborateurs de la commission spéciale "Black Block" (la SoKo Black-Block) de Hambourg se sont rendus plusieurs fois dans les pays voisins pour un "échange de connaissances". C’est en tout cas ce qu’a répondu dans une lettre le Sénat de Hambourg, aux questions parlementaires de la députée Christiane Schneider. Le Sénat n’indique cependant ni quelles autorités ont été rencontrées, ni de l’exécution de quelles mesures il s’agit.

Il y a deux semaines, la police de Hambourg a annoncé la dissolution de cette commission spéciale. Toutes les enquêtes criminelles sur le sommet du G20 seront désormais poursuivies par une équipe d’enquêteurs de la police criminelle fédérale, basée au Département de la sécurité de l’État.

Jusqu’à présent, on savait seulement que la Soko "Black Block" était chargée de l’exécution des décisions judiciaires allemandes à l’étranger. Le 29 mai dernier, les fonctionnaires de police ont perquisitionné sept personnes en France, en Italie, en Espagne et en Suisse, afin d’obtenir d’éventuelles preuves de leur implication dans les manifestations anti G20.

Neuf lieux ont été fouillés, et les policiers ont saisi des PC, des ordinateurs portables, des téléphones portables, des supports de stockage et des vêtements. Deux des personnes perquisitionnées étaient initialement inconnues et furent identifiées par la suite avec des avis de recherche publics. La Soko "Black Block" avait également envoyé les photos et les descriptions des personnes aux autorités étrangères pour identification.

Des interrogatoires auraient été menés en France

Ces perquisitions chez sept hommes âgés de 22 à 32 ans ont été effectuées dans le cadre des enquêtes sur les événements de la "Elbchaussee". Lors du G20, environ 200 personnes se sont déplacées dans ce quartier chic de Hambourg et ont endommagé des voitures et des vitrines de magasins. Entre-temps, la police a identifié plusieurs suspects et effectué des perquisitions à domicile.

Trois des prévenus étrangers sont accusés de troubles graves à l’ordre public. Ils auraient également attaqué des policiers. Quatre des sept personnes perquisitionnées à l’étranger sont accusées d’incendie criminel et de troubles graves à l’ordre public. L’une de ces personnes fait l’objet d’une enquête pour suspicion de blessures corporelles graves et port d’arme illégal.

Les opérations de police à l’étranger n’ont pas été officiellement exécutées par la Soko "Black Block", mais par les autorités de police locales. Toutefois, il a été indiqué aux personnes interpellées que le tout se déroulait sous la responsabilité de la police allemande.

Dans le petit village de Bure, au sud-ouest de Nancy, des activistes français·e·s résistent contre le plus grand projet de stockage de déchets nucléaires d’Europe, le projet d’enfouissement CIGEO. Il·le·s rapportent également la présence de la police allemande aux manifestations. La raison éventuelle de cette présence allemande pourrait être la localisation de suspects inconnus. Des policiers allemands ont également participé à au moins une audition en France et ont interrogé la personne interpellée.

En France, il existe la possibilité d’une "audition libre", c’est-à-dire d’un interrogatoire en tant que "suspect libre". Elle diffère d’une garde-à-vue, dans laquelle les personnes concernées ne sont pas autorisées à quitter l’interrogatoire. Lorsqu’on lui pose la question, le Sénat allemand n’explique pas sous quel régime a été effectué l’interrogatoire par les policiers allemands. Un avocat ou un interprète assermenté n’a pas été fourni lors du rendez-vous.

Coopération avec les agences de l’UE à La Haye

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Pour l’exécution des décisions en Espagne et en Suisse, le ministère public de Hambourg a établi des commissions rogatoires en vertu de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale. Dans le cas de l’Italie et de la France, les autorités ont profité de la récente décision d’enquête européenne.

Les demandes d’entraide judiciaire dans les trois États membres de l’UE ont été transmises par l’intermédiaire de l’agence de coopération judiciaire Eurojust, qui, comme Europol, est basée à La Haye. La Suisse ne participant pas à Eurojust et à la décision d’enquête européenne, la LKA de Hambourg a donc effectué les perquisitions sur la base de l’accord germano-suisse sur la police.

Par ailleurs, un mandat d’arrêt européen a été émis contre Loïc S., un suspect français. Les autorités judiciaires françaises étaient donc tenues de l’extrader dans un délai de 60 jours. Le ressortissant français est actuellement en attente d’un appel dans une autre affaire qui sera porté devant un tribunal à Paris. Entre-temps, cependant, il a été extradé et se trouve actuellement dans la maison d’arrêt de Holstenglaci à Hambourg.

La décision d’enquête européenne permet d’imposer des mesures de surveillances obligatoires dans d’autres États membres de l’UE. Dans le contexte du G20, par exemple, il est envisageable que les autorités policières allemandes aient ordonné des relevés de bornage téléphonique ou l’envoi de SMS silencieux pour localiser les téléphones mobiles.

La directive autorise également les écoutes téléphoniques, les enquêtes discrètes et les observations. Le Sénat allemand refuse d’indiquer si la LKA de Hambourg a fait usage de ces options, afin d’éviter de « révéler des informations sur la tactique de la police criminelle ».

Le BKA se rend à Rome et à Gênes

Lors des raids dans les quatre pays frontaliers, d’autres organes de police se sont joints à la LKA de Hambourg. Il s’agit de la police fédérale allemande (en France), de la police de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et de l’Office fédéral de police criminelle (à Rome et à Gênes) et de la police de Basse-Saxe (à Madrid). Seule la perquisition en Suisse a été effectuée uniquement par la LKA de Hambourg.

La raison de ces multiples présences policières n’est pas connue. Une hypothèse serait que les suspects apparaissent déjà dans le cadre d’autres procédures d’enquête dans lesquelles d’autres bureaux d’enquête criminelle de l’État sont impliqués. Selon le Sénat allemand, la police fédérale mène également des « enquêtes indépendantes » sur les infractions commises lors du G20 qui relèvent de sa compétence.

La fonction du BKA est décrite par le ministère fédéral de l’Intérieur comme un « soutien ». L’année dernière, le ministère fédéral de l’Intérieur avait déjà annoncé que « des données personnelles sur des militants de gauche connus de la police avaient été échangées avec des pays étrangers ».

Cet échange a notamment eu lieu dans le cadre du groupe de travail informel de la police sur le terrorisme (PWGT), au sein duquel tous les États membres de l’UE sont organisés. Des enquêtes sur des suspects ont également été menées en Islande, au Canada, en Suisse et aux États-Unis.

Dans les enquêtes du G20, le BKA a également assumé la fonction de bureau central. Par exemple, les demandes des forces de police régionales pour identifier les personnes au moyen de photographies ont été transmises aux autorités de police étrangères et à Europol. Toutefois, une présence personnelle aux perquisitions n’est pas nécessaire pour une telle demande d’information, c’est pourquoi l’objectif des fonctionnaires du BKA à Rome et à Gênes reste imprécis.

Sur demande, le Sénat de Hambourg déclare maintenant que le BKA a également envoyé des officiers de liaison en Italie. De cette manière, les autorités italiennes peuvent être informées des résultats d’enquêtes faites par le BKA dans les bases de données allemandes.

Texte traduit à partir de l’article Der lange Arm der Repression

« La police d’Hambourg a tellement échoué à maintenir l’ordre qu’il lui faut maintenant réussir sa traque »

Un an après la contestation du G20 d’Hambourg, une traque européenne vient d’être lancée contre des personnes accusées d’avoir participé aux actions qui ont mis l’État allemand en échec. Un membre de la Legal Team du contre-sommet revient sur un an de répression et analyse la coordination de cette répression européene.

12 novembre 2018

P.-S.

Repris de Manif-est.info


Notes

[1LKA (Landeskriminalamt) : Office de police criminelle des Länder, chargé des missions de police judiciaire dans chaque Land allemand.

[2Décision d’enquête europeenne : Depuis 2017 les États membres de l’Union européenne disposent d’un nouvel instrument juridique : la « décision d’enquête européenne ». Il s’agit de permettre à un État d’exécuter des mesures d’enquête à la requête d’un autre, sur la base de la reconnaissance mutuelle, ce qui signifie que chaque pays de l’UE est tenu de reconnaître et d’exécuter la demande de l’autre pays, comme il l’aurait fait avec une décision provenant de ses propres autorités. Concrètement, il est donc possible de demander à un État membre d’obtenir des preuves, auditions de témoins, perquisitions, interceptions de télécommunications, accès aux informations bancaires etc. La procédure peut être utilisée pour n’importe quelle infraction.

[3BKA (Bundeskriminalamt) : Office fédéral de police criminelle - Il a pour mission de coordonner la lutte nationale contre le crime en Allemagne, en étroite collaboration avec les LKA, et de mener des enquêtes dans des domaines spécifiques de criminalité grave ayant une dimension internationale. Le BKA représente l’Allemagne auprès d’Interpol.C’est cette police criminelle qui a pu confondre la Fraction armée rouge.

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