Témoignage d’une première embardée à la Z.A.D.



« On se réjouissait de faire quelques kilomètres à pied pour aller chercher des vivres dans une autre ferme, sac à dos et détermination pour seuls complices matériels ! Clairement, c’était pas d’la tarte : j’ai encore le souvenir d’un blessé insonscient, porté par des copains, et qu’on emmène à la tente médic. Ou bien de voir passer des ami·es une jambe pleine de bandages, alors que la veille, tout allait bien. »

Lundi 9 avril, tôt dans la matinée, on apprend que la Z.A.D est en train de se faire expulser. Les images de ce qu’il se passe là-bas et les infos qui nous parviennent (les journalistes sont tenu·es à distance) attestent d’un déploiement sans précédent. 2500 gendarmes mobiles, et des blindés, selon les premières informations, les premières images. Parce que depuis quelques semaines, les mass-médias taisent la préparation de cette opération.

Après un rassemblement derechef dans la journée, on commence à s’organiser autour de cette gigantesque expulsion. Pas moins de 150 personnes ont répondues spontanément à l’appel de l’amicale dijonnaise contre l’aéroport. Mercredi soir, vers 22 heures, 7 personnes - et bien d’autres - s’engagent sur les routes nationales et sur les autoroutes pour faire front à cette opération quasi-militaire. Sur la route, ça discute, fait des arrêts comiques et prolifiques sur les aires d’autoroutes, resquilles joyeusement les péages, croise des camarades à pas d’heures... Pas moyen de fermer l’œil de la nuit, on ne sait pas vraiment ce qui nous attend là-bas, et ça fait grave cogiter. La peur de perdre un œil, de ne pas être à la hauteur, de ne pas trouver sa place malgré les affinités et la bonne ambiance qui définit la bande que l’on constitue... Faut dire que c’est ma première fois à la Z.A.D, et que le fait que je ne connaisse pas la zone, sera décisive dans mes choix et sur mes impressions.

On débarque devant une des barricades, aux alentours de 7 / 8 h du mat’, direct, les copains et les copines nous accueillent et les aventures commencent. On apprend que les flics on été particulièrement vénères hier et que s’ils n’ont pas fait un mort, c’est miraculeux. 80 blessé·es, ça pose l’ambiance. Nœud dans la gorge. Notre véhicule est chargé de matos de cuisine, faut dire que la zone a été prise d’assaut par des flics, mais aussi par des morfales qui se donnent entièrement à la défense de la zone ! Ce sera tout un bordel pour rejoindre le point névralgique de l’organisation, j’ai nommé la ferme de Bellevue, les Fosses Noires et la Wardine (des lieux historiques qui ne devraient pas être détruit donc où l’ont peut faire à manger, avoir des tentes médics, des sleeping...). On apprendra vite que les flics n’utilisent pas que des G.M (gendarmes mobiles) et des blindés pour envahir la zone : la stratégie est beaucoup plus élaborée. Il faut croire que César 1 leur a permis d’apprendre aux dépens de leurs erreurs : drones, électricité coupée, intervention de jour puisque la nuit n’est pas à leur avantage, etc...

Ne connaissant pas la zone et n’étant pas un as des affrontements, je m’emploierais à faire de la bouffe d’environ 6h du matin à 22h, du mercredi au samedi. Les matins ne sont pas emprunt de romantisme, même la dimension insurrectionnelle ne fait pas rêver : quand un camarade vous réveille en annonçant une présence policière à 100 mètres du sleeping, et que des barricadiers gueulent « enculés ! » face au tirs de grenades depuis déjà une heure, le stress est à son comble. S’en suivra des séances de découpe de légumes avec un masque à gaz, dans le brouillard des lacrymogènes, des émeutiers qui ne comprennent pas qu’il faut préserver le lieux, et j’en passe ! Au bout du deuxième jours, on se réjouissait de faire quelques kilomètres à pieds pour aller chercher des vivres dans une autre ferme, sac à dos et détermination pour seuls complices matériels ! Clairement, c’était pas d’la tarte : j’ai encore le souvenir d’un blessé insonscient, porté par des copains, et qu’on emmène à la tente médic. Ou bien de voir passer des ami·es une jambe pleine de bandages, alors que la veille, tout allait bien.

Mais c’est sans compter les coups de motivations spontanés des gens qui viennent filer la main en cuisine. Les sourires en échange d’indications, ou alors les remerciements de toute cette bande lors des A.G à l’intention des cantines. Et puis on s’est frotté à d’autres collectifs, et ça a été une réussite, une entente quasiment sans conflictualité interne. On a même réussit à tisser des liens, échanger des pratiques par rapport aux cantines. Et j’ai encore le souvenir des ami.e.s qui se mettent à chanter du René Binamé avec une douceur et une force inédite en pleine corvée d’épluchage. Les nerfs n’ont pas lâché, même si l’on s’effondrait tôt le soir. Que parfois, les conversations étaient presque stériles à cause du manque de sommeil.

Et puis il y a eu ce dimanche sur-puissant, où 7000 personnes ont débarqué sur la zone, bâtons à la main. En effet, beaucoup avaient fait serment de revenir à la Z.A.D reprendre leurs bâtons de la colère si le gouvernement venait à expulser la Z.A.D. Promesse tenue. On était beaux, on était plein, c’était joyeux, on a presque eu envie de croire qu’on allait réussir à monter cette structure (la journée a été dédiée à la reconstruction d’un lieu sur la Z.A.D). Lorsque tous le monde s’est mi Autant, mon séjour de cantinier était à la fois éprouvant et pourtant plein de bonne surprise. Alors que ce dimanche était remplie d’une joie immense. J’ai encore le souvenir de narguer la préfète à une cinquantaine de mètres, pendant qu’un gars jouait de la cornemuse, 30 black-bloc derrière lui et 10 seniors devant la ligne de flics. Et c’était sans -compter sur les zinzins qui dansaient la main dans la main dans l’entre-deux générationnel ! Cette journée m’a permis de voir autre chose que des affrontements et la cuisine. On croisait énormément de monde sur la zone, et beaucoup donnaient cette impression de dérive permanente, allant d’un lieux à un autre. Se laissant embarquer dans diverses initiatives, un peu au hasard des rencontres et selon les informations que crachaient les talkies ou radio klaxon, constamment écoutés par les gens.

Lorsqu’il a fallu rentrer, le décalage a été énorme. Le sentiment d’être un corps commun plein de puissance a vite laissé place à un vide, un manque, une absurdité qui est due aux carences de cette nécropole en devenir qu’est Dijon. Reprendre le quotidien n’a été possible qu’avec les autres, tout comme cette virée à la Z.A.D. Et le reste de nos vies ne semble de toute façon pas envisageable sans le sentiment d’appartenance à un commun. Il est dur d’imaginer nos vies envahies seulement par l’absurdité de ce monde, par la primauté de la logique capitaliste qui le constitue. Alors, lorsque je pense qu’aujourd’hui, lundi 23 avril, c’est le dernier jour, l’ultimatum que le gouvernement a fixé arbitrairement... Je me demande si l’on ne va pas récidiver et repartir de plus bel. D’Est en Ouest...



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