Koenders, le port du canal et « la population qu’on aimerait voir ailleurs »



Samedi 7 juin, Nathalie Koenders inaugurait en grande pompe la première tranche des travaux du port du canal. Amateurs des longues soirées d’été à boire des bières pas chères le long du canal, on a voulu voir ce qu’il en était vraiment, par-delà les beaux discours. Spoiler : on a trouvé que du greenwashing et de la gentrification.

Samedi 7 juin, Nathalie Koenders inaugurait en grande pompe la première tranche des travaux du port du canal. Ces travaux, annoncés en 2023, ont lieu dans le cadre du réaménagement de tout l’axe sud dijonnais, de la place Bossuet à Marsannay-la-Côte, en passant par la rue Monge, le siège de l’OIV, la Cité de la Gastro, le tram, le quartier Bruges II et le quartier de l’Arsenal.
La direction artistique est partout la même, c’est devenu la marque de fabrique de l’urbanisme dijonnais : on plante 3 arbres pour la photo, pendant qu’on déroule du béton et du mobilier urbain volontairement inconfortable. Ici c’est les pelouses du port du canal, celles affectionnées par la jeunesse et les shlags de Dijon, qui en ont fait les frais. C’est la première image qu’offre ce nouveau port du canal en arrivant depuis 1er Mai.
Côté sud, les aires de jeu ont été déplacées et ont laissé la place à une étendue de gravier blanc - qu’on imagine parfaitement adaptée à une partie de Molky - et à du mobilier anti-SDF, des tables de pique-nique pour les bobos qui ne voudraient pas salir leurs Veja en s’asseyant dans l’herbe. De toute façon comme on vient de le voir les pelouses ont bien régressé et on se demande ce qu’il en restera vraiment une fois les aménagements terminés.
Côté nord, encore du mobilier anti-SDF, notamment des transats fixes, qui ne serviront donc à rien en dehors du court été dijonnais, et les nouvelles aires de jeu. C’est là qu’on a vu le seul point positif de cette visite : la plantation d’arbres et d’herbe dans un coin autrefois tout en gravier. Fin des compliments. De ce côté on nous avait promis une passerelle pour passer du port du canal à l’avenue Eiffel sans avoir a prendre l’étroit trottoir longeant une bretelle du boulevard, on devra se contenter d’un escalier (donc inaccessible aux fauteuils, vélos, poussettes, etc.) qui nous fait gagner à peine 100 m. Cette partie du parc est cependant censée être encore aménagée dans la tranche 2 des travaux, on verra ce qu’ils en font. Enfin, paranoïa sécuritaire oblige, deux nouvelles caméras de surveillance ont été installées vers le pont.

Pour revenir rapidement sur cette deuxième tranche, apparemment suspendue au résultat des prochaines municipales (en 2027), elle prévoit l’aménagement de toute la partie au nord du quai Nicolas Rollin, jusque vers les terrains de sport et la coulée verte, et la construction d’une passerelle donnant accès directement de l’arrière de la cité de la gastro au port du canal [1]. En attendant, le résultat est pour le moins décevant...

À quoi bon toute cette thune dépensée pour si peu ?

Réaménager ce parc permet à (relativement) peu de frais d’en capter les bénéfices symboliques : la municipalité prétend avoir « placé la nature et le vivant au cœur de l’urbain », dans « un espace pensé pour tous ».
On va cependant se permettre de rappeler à la mairie qu’elle n’a rien "placé" du tout. Le parc était là avant elle et ce depuis plusieurs décennies. Ses travaux ont principalement consisté à remplacer des pelouses par des allées de gravier et à installer du mobilier anti-zonard...
On en arrive au fond du problème : est-ce que cet espace est réellement "pensé pour tous" ? En 2023, lorsque Rebsamen, alors maire, présentait le projet de réaménagement, il déclarait que « quand vous demandez aux habitants, ils ne considèrent pas que c’est un espace vert pour le moment ». De quels habitants parle-t-il ? A-t-il été demander aux personnes qui fréquentent quotidiennement ce parc tout au long de l’année ? A-t-il demandé aux centaines de personnes qui y boivent l’apéro et y font la fête toute la nuit les soirs d’été ? On peut en douter.

C’est que cette population qui fréquente le port du canal, souvent shlag, jeune, racisée, fait tache entre les projets de nouveaux quartiers et la cité de la gastronomie. Le port du canal c’est le seul parc proche du centre-ville qui ne soit pas fermé la nuit et où on puisse venir boire une canette posé sur l’herbe quand on a pas la thune pour aller dans des bars ou des boites trop chères. C’est parfois un lieu de rassemblement politique, voire d’affrontement avec les flics [2] [3], et les patrouilles quotidiennes y tournent occasionnellement au vinaigre quand leurs attitudes de cowboy ne passent pas.
Pour la municipalité tous ces marginaux sont de trop sur la carte postale, et la reconquête de ce parc par les bonnes gens et les classes créatives semble être l’objectif premier de ce réaménagement, ou pour dire les mots, de cette gentrification.
La passerelle, prévue dans la deuxième tranche pour permettre aux bourges d’aller de la gare au port du canal, en passant par l’Arquebuse (avec son nouvel accès et ses nouvelles caméras devant le passage Henri Vincenot), la rue du jardin des plantes (réaménagée il y a deux ou trois ans avec pots de fleurs et vidéosurveillance) et la cité de la gastro, le tout dans un environnement végétalisé, smart et sécurisé, témoigne de ce projet gentrificateur. On peut par ailleurs s’en faire une idée en regardant les esquisses du projet présentées par l’agence In Situ en bas de cet article : tout le monde est blanc, beau, bien habillé, et se tient sagement à sa place. Cette représentation bourgeoise du monde est certes d’usage dans ce genre de visuels, mais qui a un jour fréquenté le port du canal réel ne pourra que s’étonner de ce grand remplacement de population.
Le discours de Nathalie Koenders lors de l’inauguration a de toute façon été limpide à ce sujet : « Lorsqu’on est un beau parc, on attire du monde et, parfois, ça peut faire du bruit ou attirer une population qu’on aimerait voir ailleurs. » [4] "Une population qu’on aimerait voir ailleurs" ? Comme les livreurs à vélo - encore des gens précaires et majoritairement racisés - interdits de rassemblement sur leur lieu de travail [5], et maintenant interdits d’emprunter la rue de la Liberté [6], à côté de laquelle sont concentrées plusieurs enseignes de restauration rapide ?
Quand une autorité vous parle d’un espace "accessible à tous" il faut bien comprendre : "À tous ceux qui valent quelque chose" et donc interdit à coup de patrouilles de flics et d’augmentation des loyers et tarifs à tous ceux qui font du bruit, qui parlent mal, qui ne présentent pas bien, et qui ne font rien de valorisable. Et puisqu’on parle du nerf de la guerre, la Ville de Dijon a d’ores et déjà annoncé que « des activités récréatives et commerciales [...] seront proposées dès cet été sur le plan d’eau et aux abords ». Quant à Nathalie Koenders, fidèle à ses obsessions sécuritaires, elle a annoncé l’envoi de patrouilles de police et la volonté de mettre des caméras de "vidéoprotection" sur le canal.

Pour notre part, gageons que la ténacité des usagers historiques et la force de l’habitude sauront mettre en échec les projets de la mairie.

De la population que Nathalie Koenders aimerait voir ailleurs



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