L’exemple de l’inter-organisation féministe rennais pour inspirer nos luttes



À l’UCL, nous mettons souvent en avant la nécessité de cadres unitaires larges pour parvenir à la révolution féministe. Il existe de nombreux exemples de ces cadres, et nous avons choisi de republier ici l’exemple rennais : quelles caractéristiques leur permettent de fonctionner de manière autogestionnaire et efficace ?

crédit photo : DAÏVYDE

Depuis plusieurs années à Dijon, le 8 mars est une date importante des luttes pour la mise en avant de la grève féministe. C’est dans le cadre collectif de l’Assemblée Générale pour la Grève Féministe que se préparent la journée du 8 mars, mais également la caisse de grève, sa soirée, la zone d’occupation féministe. C’est aussi un espace de discussion et de débats. Récemment des organisations politiques ou syndicales ont décidés de se retirer de ce cadre unitaire suite à des désaccords de fond et de forme. À l’UCL nous tenons à l’existence de cadres unitaires larges, mais nous savons à quel point il peut être difficile de conjuguer des opinions divergentes.

Pour participer à la réflexion sur nos cadres collectifs nous avons choisi de republier cet article qui essaie de comprendre ce qui permet à l’interorga féministe de Rennes de fonctionner de manière autogestionnaire et efficace.

Inter-organisation féministe rennaise : Un cadre unitaire qui fonctionne, ça ressemble à quoi ?

En tant que membres de l’UCL, il nous paraît nécessaire de travailler ensemble : au sein de collectifs, d’associations, de syndicats... Mais aussi d’être à l’initiative et d’aider à renforcer les cadres unitaires qui permettent de militer de façon collective. Au sein du mouvement féministe, nous participons aux inter-organisations au niveau national mais aussi au niveau local : dans de nombreuses villes, nous sommes présent·es et nous apportons nos forces.

L’exemple rennais

À Rennes, un cadre inter-organisations large [1] existe depuis déjà quelques années. Il se réunit environ une fois toutes les deux semaines, et organise la manifestation et la grève du 25 novembre et du 8 mars. D’autres dates font aussi partie de notre agenda, comme le 28 septembre pour le droit à l’IVG.
Dans les réunions, nous prenons des décisions politiques (les revendications à mettre en avant, les prises de parole qu’on souhaite faire, la mise en place d’un interprétariat en Langue de signes française lors des mobilisations...) et d’autres plus techniques ­(l’ordre des cortèges, l’apport de matériel, l’ordre des prises de parole...).
L’un de nos axes de travail est l’évolution de nos pratiques de SO [2], en réaction notamment à la montée de l’extrême droite et à l’intensification de la répression. Alors que ces pratiques étaient encore peu coordonnées dans la ville il y a quelques années, elles le sont aujourd’hui davantage [3]. Ces SO sont constitués avec un mandat clair qui facilitent leur prise en main collective, avec une attention particulière portée à la participation des femmes et minorités de genre [4], trop souvent tenues à l’écart du fait de traditions militantes virilistes.
Comparée à des cadres unitaires qui existent dans d’autres villes, cette inter-organisation a des particularités : elle accepte en son sein les organisations politiques (les partis), ce qui en fait un cadre offensif et radical tout en étant très large. De même, les individus qui ne viennent pas au nom d’une association, d’un collectif ou d’une organisation ne sont pas acceptés au sein de ce cadre.
Cette règle permet d’éviter un éparpillement et un déséquilibre : si le cadre regroupait des personnes mandatées et des personnes non-mandatées, le poids de la parole des personnes non-mandatées serait trop fort alors que les personnes mandatées peuvent mobiliser davantage puisqu’elles représentent une organisation entière.
Pour finir, cette inter-organisation est le seul cadre unitaire féministe qui existe dans Rennes, ce qui lui permet un certain « monopole » sur les grandes dates. En discutant avec des militant·es d’autres villes, nous nous sommes aperçu·es que le cas rennais était au final plutôt minoritaire : de nombreux cadres dysfonctionnent, quand ils existent. Alors nous nous sommes attelé·es à réfléchir à ce qui rend l’inter-organisation rennaise aussi chouette et agréable.

Le cadre unitaire a permis en 2024 d’organiser pas une, mais deux manifestations contre les VSS : le 23 et 25 novembre.

La recette qui fonctionne bien

En premier lieu, nous devons mettre en valeur la place de la camaraderie et de la construction de liens entre les membres des dif­férents collectifs et organisations : il y a quelques années, ce point manquait cruellement à notre cadre unitaire, ce qui rendait les réunions parfois tendues et ardues. Alors nous avons fait de notre mieux pour remédier à ce manque.
Certaines mandatées de syndicats ont trouvé via l’inter-organisation la motivation de monter une section féministe au sein de leur organisation, et de porter les thématiques anti-patriarcales en interne.
En second lieu, on peut relever au sein de l’inter-organisation un certain équilibre entre les différentes organisations. Toutes les organisations n’ont pas le même engagement mais ­peuvent aisément participer aux décisions. Cela permet concrètement de faire en sorte que la plupart des organisations se retrouvent dans le cadre, et n’en créent pas un autre qui viendrait y faire concurrence.
Par ailleurs, des outils autogestionnaires ont été adoptés par l’inter-organisation et permettent de fluidifier le fonctionnement : avoir une ou deux personnes qui animent et faire en sorte que cette tâche tourne, faire un compte-rendu clair qui permet aux organisations non présentes de se tenir au courant, etc.
Enfin, ce cadre a une certaine ancienneté : les organisations ont l’habitude de travailler ensemble et lorsqu’il y a des échecs ou des tensions, nous avons des pistes pour les apaiser. Nous avons construit une culture militante commune qui sert de base aux discussions.

Des pistes d’amélioration : il nous en reste !

Parmi nos constats récents, il y a celui des militant·es qui ne peuvent pas assister aux réunions et moments conviviaux parce qu’elles et ils n’ont pas de solution pour faire garder leurs enfants : ce type de problématiques, pour nous, doit être pensé collectivement et la charge mentale ne doit pas retomber sur les seul·es parent·es. Plusieurs pistes ont été explorées : appel à un collectif rennais (Bulle) spécialisé dans la garde d’enfants, demander à des camarades de nos organisations d’organiser des activités...
Une autre piste d’amélioration concerne la mobilisation des organisations : l’investissement de forces militantes (pour le tractage, le collage ou le SO) reste assez inégal selon les structures. Nous cherchons à élargir la liste des organisations membres du cadre, et renforcer l’investissement des organisations déjà présentes. Face au patriarcat, ripostons collectivement !
À Rennes, nous le chantons à chaque manifestation : « Le Patriarcat ne tombera pas tout seul ; alors organisons-nous pour lui péter la gueule ! » et nous en sommes convaincu·es. Nous ne pouvons pas lutter contre un tel système en restant chacune et chacun dans notre coin, notre riposte doit être massive. Les attaques contre nos droits (IVG, retraites, droits trans) risquent fort de pleuvoir à l’heure où les gouvernements successifs se donnent une priorité de rendre nos vies dures.
Nous ne les laisserons pas faire, nous continuerons de nous organiser pour maintenir nos droits et en gagner d’autres : quand les droits des femmes et minorités de genre sont attaqués, ce sont les droits de toutes et tous qui sont menacés.

Ce texte a été publié initialement dans Alternative Libertaire, n°356 (janvier 2025) et écrit par l’UCL Rennes en collaboration avec des membres du NPA - l’Anticapitaliste et de NousToutes35.



Notes

[1Il regroupe des collectifs et associations : le Planning familial 35, le Front révolutionnaire anti-patriarcal (FRAP), Kune, NousToutes35, NousFéministes35, Puissance féministe, les Pétrolettes, Nouvelles Rênes, la Bulle, Commune vision, Rennes antisexiste, le collectif des Mères isolées, l’Union pirate (Rennes 1 et Rennes 2) et Iskis. Des syndicats : Solidaires 35, Solidaires Étudiant-e-s, la FSU 35, la CGT 35, FO35, le STRASS, la FSE, et la CNT 35. Des organisations politiques : le NPA-A, Du Pain et des roses (émanation de Révolution permanente), la France insoumise, les Jeunes insoumis, la Gauche écosocialiste et l’UCL.

[2Service d’ordre, rebaptisé Sérénité organisée.

[3Les pratiques de SO unitaire restant malheureusement plutôt confinées à l’inter-organisation féministe, et peinent à imprégner les mobilisations sur d’autres thématiques.

[4Dans le cadre des manifestations du 23 et 25 novembre, des formations ont eu lieu en amont qui ont permis à de nouvelles personnes de se sentir à l’aise pour participer ou coordonner des SO. Elles permettent la création de pratiques communes et le renforcement des liens entre les personnes mandatées par leur organisation.

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