Zadenvies : compte-rendu des discussions



Après 5 journées de Rencontres Intergalactiques (dont les compte-rendus sont en ligne sur dijoncter : 1er et 2e journée, 3e journée, 4e journée et 5e journée) , l’Ambazada accueillait Zadenvies pour un week-end de discussion centrée autour de l’écologie.
Quelques personnes des Lentillères avaient répondu à l’invitation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes pour participer aux discussions qui y avaient lieu. C’est l’occasion de relayer ces rencontres sur Dijoncter.

Pour les participant·e·s déjà présent·e·s, l’agitation palpable depuis le début de la journée annonce le début du week-end ZADenVies. Il faut attendre 17h passées pour que des ami·e·s de la ZAD inaugure le festival par un discours qui explique pourquoi il était important de tenir ces rencontres après le confinement, et cela malgré la circulation du covid. Iels rappellent en même temps l’intérêt de porter un masque lorsque nous sommes nombreureuses rassemblé·e·s, afin d’instaurer un cadre inclusif et nécessaire pour les personnes les plus vulnérables.

Vendredi 28 août

Intervention de Baptiste Morizot : la grande arnaque de la "production" agricole

C’est seul face à l’auditoire que pendant une bonne heure, Baptiste Morizot déroule le fil de sa pensée, puis il tente ensuite de répondre aux questions dont il se sent légitime de réagir. En voici le résumé le plus fidèle possible, écrit pour vous plonger dans la pensée de Baptiste Morizot, ce sont donc ses idées qui s’expriment ici...

Baptiste lie la crise écologique à une crise de la sensibilité dans l’occident.
Il revient sur le fait qu’habiter un territoire est lié à des pratiques d’usage, de travail avec du vivant, le bois, l’élevage, le pâturage, …
"On va faire de l’archéologie ensemble : pourquoi l’agriculture et la foresterie modernes se sont développées ? C’est quoi exploiter un territoire ? Qu’est-ce qu’on fait quand on fait de l’agroforesterie, de la permaculture ?"
Il cite le travail de Michael Wise, auteur de Producing Predators et celui d’une antropologue Black Feet, Betty Bastien, Black feet ways of knowing.

On commence par un "western" qui se déroule dans l’Alberta, dans les grandes plaines américaines. Baptiste expose deux rapports au vivant diamétralement opposés.
D’un côté, les indiens Black Feet, les bisons, les loups, une faune bigarrée (& du whisky !). Et de l’autre côté, les propriétaires de ranch et de bétail qui s’installent et avec eux l’industrie intensive de production de viande de bœuf. C’est un projet colonial de production de valeur par substitution des bisons par des vaches.

C’est dans ce contexte que Betty Bastien pose la question suivante. Pourquoi j’ai ce nom ? Quel est le sens profond de ça ?
Et de trouver une réponse : ce n’est pas compliqué, nous vivions dans un autre monde dans lequel nous étions constitué·e·s par des relations avec du vivant autour de nous, ce qu’elle appelle des « alliances interspécifiques ». Cela représente une cosmologie dans laquelle vivre c’était échanger avec toutes les autres formes de vie autour. Le colonialisme a voulu nous séparer de nos relations constitutives et nous cantonner dans un espace de relations dans lequel on est un individu - notamment via les tickets de rationnement.

L’opération coloniale consiste à dire que vous n’aurez plus de relation d’échanges de vie mais des relations marchandes et contractuelles qui prennent deux formes : le commerce et l’héritage et c’est pour ça que vous aurez un nom de famille car vous en avez besoin pour hériter.

Hygiénisation monospécifique

Pourquoi a-t-il fallu hygiéniser ? Qu’est ce qui justifie cette séparation de la vie collective avec les bisons et autres vivants ?
Réponse : selon les ranchers il y a deux types d’êtres : ceux qui sont capables de produire et ceux qui en sont incapables. Nous ranchers, sommes capables de produire, de produire de la valeur économique et face à nous il y a des êtres qui ne savent pas faire : les Black Feet et les loups. Ils savent uniquement prédater. Les loups comme les Black Feet sont prédateurs des bisons. Ils détruisent de la valeur.
C’est ce discours qui justifiera la prise de terre et l’éradication des peuples indiens.

"On prend du recul maintenant et on va faire de l’écologie fonctionnelle".
Il y a du soleil qui arrive dans une prairie. La photosynthèse capture l’energie solaire et produit de la matière vivante sous forme de graminée. Un animal arrive, il broute. Le bison vit par une symbiose entre un organisme unicellulaire bactérie et son rumen. Ce sont les bactéries qui mangent le végétal et qui nous nourrissent. Les mammifères sont incapables de manger des végétaux sans ces bactéries.

L’arnaque des ranchers :
soleil → graminé —→ bison = pas produire ou prédater ou détruire
soleil → graminé —→ bœuf = produire

Or, ce discours va se diffuser jusqu’à nous. Aujourd’hui, dans les chambres d’agriculture, on parle de production. Produire de la viande, produire des végétaux, produire du bois.
Qu’est ce que ça veut dire produire ?
Les humains blancs capitalistes seraient capables de produire de la valeur. La figure du cow-boy performe le rôle du producteur. Le reste du monde : ne fait que détruire.

La même histoire est racontée partout : pendant 300.000 ans on était des chasseurs cueilleurs et au néolithique nous avons pris le contrôle de notre propre destin. Et on résume ça en disant : nous sommes passés de la prédation à la production : Pour mieux comprendre cette idée, suggestion de bouquin célébre "Man makes himself" de Gordon Childe.

Le sens du mot production par Descola

Un individu humain bien individualisé va projeter sa matérialité/intériorité/individualité sur une matière passive pour lui donner forme pour en être totalement responsable, se l’approprier et l’intégrer à un système d’échange et de valeur.
Or, exemple du grain de blé : est-ce qu’un agriculteur a projeté son individualité sur le grain de blé ? Non rien du tout de ça ! Le blé a suivi son propre parcours millénaire. Les grains sont tous différents.
Ce sont des expressions des propositions spontanées du vivant. Le paysan sélectionne mais il ne produit pas.
C’est parce que vous dites que vous produisez, parce que vous créer ce mythe qu’il est possible de le faire rentrer dans l’espace marchand. Les jivaros, selon leurs termes "accompagnent la genèse du manioc" mais "ne produisent pas".
Vous ne pouvez pas vous appropriez quelque chose que vous n’avez pas produit.
Dans la brevetabilité du vivant, faire varier un gêne sur des millions qui ont évolués pendant des milliers d’années et dire c’est à moi, c’est occulter et dévaluer ce que fait le vivant, son agentivité et surévaluer ce que fait l’humain. Ça génère un mythe qui se transforme en économie politique.
Exemple illustrant de la Joconde : « mettre un point en haut à droite du tableau, et dire, ça y est le tableau est à moi ».

Deuxième conséquence du mythe de la production :
C’est vous qui produisez vous ne devez rien au milieu. Il n’y pas de réciprocité de restitution.
Chez les black feet, le territoire est la terre nourricière donc le milieu est donateur, vous êtes donc embarqué·e·s dans ce même monde. Négation de ce qu’on reçoit du milieu donateur : non non c’est nous qui l’avons produit.

Quel est l’espace de relations au vivant lorsqu’on sabote le mythe de la production ?
On sabote le 1er point, on arrête de dévaluer les agentivités et d’un coup on est embarqué dans des interdépendances constitutives. Ex : les pollinisateurs.

Mais alors comment on nomme ce qu’on fait ?
On s’intéresse aux propriétés conceptuelles du mot. On pourrait utiliser les mots Accueillir/ cultiver/ collaborer/ recueillir/ élever. Mais il fait avant tout saboter le concept de production. Abolir la production permet d’abolir l’appropriation des dynamiques du vivant.
Pourquoi on garde alors le terme « exploitation » ? Car il ne faut pas angéliser les relations au vivant. Quand on fait de la paysannerie, on crée des désésquilibres. Pas de réciprocité totale, cela reste à l’avantage du paysan. Pas de relation strictement symétrique. On favorise des formes de vie au détriment d’autres, pas de drame moral là-dedans. Pas de scrupules à utiliser le mot « exploitation » (pas au sens marxien). La permaculture n’est pas un pur partenariat égalitaire.

On pense alors la réciprocité obligatoire avec le milieu. C’est un chantier immense. Donner quelque chose à une forêt qui vous donne du bois, c’est quoi ? C’est cette exploration qui me fascine. Attention à ne pas le refermer avec une théorie unifié.

On peut alors affirmer que PERSONNE N’A JAMAIS RIEN PRODUIT.
Nous captons de l’énergie, des dynamiques du vivant.
Le maraîchage, la permaculture, l’agroforesterie, c’est ne pas produire de manière moins impactante. Mais c’est reconnaître :

  • l’agentivité du vivant
  • la réciprocité
  • le fait que la valeur de vie circule entre espèces et pas seulement entre nous.

Souvent les paysan·ne·s sont déjà au-delà de la production ou même illes n’ont jamais été dedans.Tout est là mais occulté par le discours dominant. Il faut les faire monter dans la lumière. Ces évidences sont dans les traditions paysannes et il faut les faire pousser.

Vient ensuite le temps des échanges/questions avec quelques individu·e·s du public :

"Tu parles d’égards mais où est la limite de ces égards dans l’élevage quand on tue des animaux alors que ce n’est pas nécessaire ?"
Réponse de Baptiste : Je ne suis pas vegan ni antispéciste. Je mange très peu de viande et je pense que le végétarinisme est très pertinent mais je ne pense pas que ce soit un crime de manger des animaux.
Quels sont les égards ajustés liés à l’élevage ? Moi, je ne peux pas répondre.
Si on sort des deux extrêmes – entre traiter le vivant comme de la merde ou le traiter comme une personne morale, le sanctuariser – il y a un espace de discorde, il faut un débat démocratique. Il faut mettre en place une enquête collective pour voit quels sont les égards que l’on a.

L’anti-spécisme n’existe pas si sa définition est la lutte contre la discrimination liée à une espèce. Il y a 10 millions d’espèces dans la biosphère. Pour les animaux sentients, les vertébrés supérieurs, ça fait 500 000 espèces. Il y a donc 9 500 000 espèces sortis du registre du traitement moral avec cet anti-spécisme. C’est plutôt du patho-centrisme.

Autre intervention du public par un détour par le marxisme qui permettrait d’avoir un prisme sur la lutte des classes alors que le discours philosophique de Baptiste dépolitiserait la question de la production. L’aboutissement de cette pensée devrait pointer les alliés, les ennemis, ... L’enquête exploratoire des égards ajustés n’est pas encore aboutie.
On peut tenter de donner une réponse, par exemple un ennemi commun : la PAC & ses subventions perverses aux cumulards. Un collectif franco-allemand « pour une autre PAC » réfléchit à ses questions.

Sur la mort, Baptiste affirme, non sans malice, « je n’ai pas de problème avec la mort, enfin celle des autres ». Il n’y a pas d’égards absolutisés pour un individu « arbre » par exemple. Il n’y a pas de non-violence dans les égards ajustés, ni de sacralisation de l’individualité. Les personnes sont des fins et les reste du monde constituent des moyens, cette opposition binaire est inintéressante.

Dans le monde paysan, dès lors qu’on desserre l’étau économique, on peut prendre au sérieux qu’il existe des variantes alternatives de la réalité, d’autres relations au vivant peuvent alors exister.

Après ces propos restitués de Baptiste Morizot et dont votre team d’envoyés spéciaux s’en fait le simple relai, une personne de l’organisation précise que dans les luttes territoriales, on refuse l’aménagement marchand, le rapport productif au territoire du monde, ça résoud pas la lutte des classes mais ça permet de dessiner des alliances entre paysans, naturalistes, ruraux, abeilles, bocage et ça désignait aussi des ennemis : biotope, le conseil départemental, Vinci…

Les clapping de fin de débat mettent fin à la partie philosophico-universitaire de ZADenVies pour ce soir et laissent place à d’autres clapping théatro-musicaux plus nombreux, et plus culturels cette fois (ou pas), dont le récit de demain vous en contera les meilleurs moments.

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Soirée de spectacle et de concert

Si les centaines de nouvelles personnes qui arrivent en ce premier soir sont d’abord accueillis par une intervention de Baptiste Morizot, le reste de la soirée est placé sous le signe de la fête !

Un manège a été installé dans le champs aux abords de l’Ambazada, et les balances faites, les concerts peuvent bientôt démarrer.

A l’autre extrémité du champ, une scène a été montée près de la Wardine et plusieurs barnums permettent aux plus assoiffé·e·s de se ravitailler.

C’est avec le spectacle de la compagnie « Les arracheurs de dents » : Ni Gueux ni maîtres" qu’est lancé le programme culturel du week-end sur la scène de la Wardine.

La compagnie des arracheurs de dents nous plongent dans un récit burlesque et grandiloquent de la vie de Léon Tolstoï, assumé par un acteur épousant son personnage. S’en suit de nombreux rebondissements réutilisant les codes du théâtre participatif pour mieux s’en moquer et offrir au public un show nous faisant passer du catch à la fête foraine.

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À la suite de ce spectacle, nous repartons vers l’Ambazada, et au vu de la razzia opérée sur les deux cantines, elles peuvent estimer l’affluence à un bon millier d’assiettes servies et donc autant de
ventres pleins prêts à danser, rire et se retrouver.

Les concerts assument une programmation explorant des univers musicaux très hétéroclites. Rock Psyché teinté de Kraut saturé par le son languissant du trio Basse-Batterie-Guitare de Llamame la muerte, micro tournant du ZAD Social Rap, musique puisant dans les traditions vocales de Tascabillissimo ou encore l’étrange mélange électro noise de Bad Bad.
De nombreuses personnes font corps et dansent sans interruption jusqu’aux premières lueurs de l’aurore.

Samedi 29 août

Comme tous les matins, les personnes présentes se lèvent et convergent vers le champs près de l’Ambazada déguster de bons petits dej ravitaillés notamment par l’Internationale Boulangère Mobile, collectif de boulanger·e·s ayant posé son four à bois sur le site.

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Cinq discussions se déroulent ce matin, dans le même temps qu’une ballade naturaliste emmène une centaine de personnes découvrir le bocage nantais

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En vrac, une présentation de la pensée de Landauer, le documentaire d’Elisa Levy « Composer les mondes » sur la pensée de Descola en avant-première poursuit les réflexions de la discussion avec Baptiste Morizot en nous emmenant de l’Équateur à la ZAD de NDDL, etc.

Les différentes discussions font le plein et s’enchaînent, seulement interrompues par le service des cantines (l’autre cantine et la cantine des ronces) encore une fois au rendez-vous pour alimenter ZADenVies de leurs délicieuses recettes !

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En milieu d’après-midi, un hélicoptère de la préfecture profite de l’évènement pour se balader dans le ciel, brûler du kérosène et survoler le site pendant que d’autres réfléchissent déjà à leur retour…

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De nombreux affichages rappellent aussi le numéro d’une infoline devant permettre une vigilance féministe durant la semaine.

Intervention de Nastassja Martin : l’animisme face à la crise

Il fût un temps où les humains pensaient qu’il était possible de dialoguer avec les vivants à plume, à poil ou à feuille. Aujourd’hui, c’est encore le cas à certains endroits de la planète, et je vais vous
parler de ça.

Je commence par une petite introduction disgressive. Dans la plupart des populations de chasseurs-cueilleurs animistes, les rituels se font avec un médium qui est un masque. Mais leur masque ne ressemble pas à ceux que l’on porte en ce moment même sous ce chapiteau. Ils ont des représentations d’animaux sur la première couche et dessous il y a un visage à forme humaine qui est gravé. Quand on performe un rituel, on utilise ce masque pour entrer en dialogue avec l’animal convoqué. Depuis la spéciation, on ne peut plus dialoguer avec ces animaux, et il faut donc adosser leur visage sur ce masque pour dialoguer. Les rituels servent à se donner la capacité de reprendre ce dialogue, sinon vous ne pouvez pas survivre dans un monde incertain.
Quand je vois tous ces masques (de covid), je me dis qu’ils n’endossent pas les animaux mais qu’ils revêtent de l’indistinction. Toutes vos spécificités sont effacées.
La question c’est donc comment on va faire pour reconstruire un monde en commun.

Animisme.
Ce mot a été inventé par un socio-anthorpologue, Taylor, en 1971, dans le livre « primitiv culture ».
Pour lui, l’animisme serait le premier stade de la religion humaine, dans laquelle vous pouvez vous adresser aux animaux, au pierre, etc. parce qu’ils ont des âmes. Cette religion aurait été effacée par
d’autres religions, puis par la science.
Le problème de cette conception c’est qu’elle est évolutionniste, et qu’elle imagine que les indigènes sont l’enfance de la civilisation.
C’est pour cette raison que Levi-strauss n’utilise pas ce terme.
On le retrouve ensuite chez Descola, qui le remet au goût du jour et en constitue une ontologie. L’ontologie c’est un mot compliqué pour désigner une manière d’être au monde. Il fait un tableau avec 4
ontologies (analogisme, totemisme, naturalisme, animisme), avec le projet politique sous-jacent de mettre sur un même plan des ontologies qui ne l’étaient pas jusque là. C’est un geste politique important qui a obligé les philosophes à penser avec l’anthropologie. C’est que l’on appelle le tournant ontologique, qui a eu lieu en 2005.
Pour Descola, l’animisme se définit par le fait que ce qui nous diffère des autres êtres ce sont nos corps, et ce qui nous lie c’est l’intériorité, l’âme. C’est le rapport inverse du naturalisme qui dit
que ce qui nous lie aux êtres c’est la matérialité mais ce sont nos âmes qui nous en différencient.

L’anthropologie française fait donc ce geste, qui essaime dans les sciences sociales et qu’on ne peut plus ignorer.
Mais le problème de cette symétrisation des ontologies, c’est que pour y arriver on doit deshistoriciser les sociétés qu’on étudie. Sortir de « l’Histoire », mettre de côté la colonisation, et oublier les points de
vue situés propres aux histoires.
Quand on est sur le terrain pourtant, on ne voit que ça... Et l’animisme n’est pas très visible pendant un long moment...

Terrain.
Je suis partie en Alaska, fascinée par Descola, et j’ai cherché une population qui serait garante de cet animisme. J’ai trouvé une société qui s’appelle les Gwinch’in, qui sont chasseurs-cueilleurs et qui
chassent le renne. Ils étaient pris dans une guerre contre Shell qui voulait venir exploiter les côtes sur lesquelles les cariboux (avec qui ils partagent une âme) mettent bas. On disait dans les médias que Shell allait mettre fin à cet animisme.
Quand je suis arrivée, j’ai découvert des rues remplies de gens bourrés, titubants et miséreux. C’était très loin de l’image qu’on se fait d’un peuple animiste. La violence coloniale que ce peuple subit est terrible, elle a deux fronts : l’exploitation qui détruit les terres, et les idées de « protection » qui détruisent leur civilisation. La métamorphose dramatique des lieux liés à la crise climatique (animaux qui fuient,
champs qui brûlent, etc.) donne lieu à une crise totale de sens.
Quand je me retrouve face à ça, je dois changer mon ambition théorique, parce qu’évidemment les gens voulaient surtout parler de ce qui leur arrive et pas de leur ontologie.
Donc j’ai commencé par essayer de comprendre la situation politique. Ça m’a pris un an et j’ai oublié cette histoire d’animisme un moment. Elle est revenue par la fenêtre parce que les gens ne cessaient de faire appel à des histoires animistes pour faire face aux incertitudes auxquelles ils étaient confrontés.
Si vous pensez que les animaux sont dotés de volonté, les choix qu’ils font en situation de crise vous intéresse, vous voulez savoir par exemple où ils vont parce que vous aussi vous pourriez vouloir y aller.

Cosmogonie accidentelle.
Je voudrais vous raconter une histoire, qui circule énormément en Alaska, et qui s’appelle « Corbeau vole la lumière ». C’est un mythe d’origine, un mythe de création du monde.
Nous sommes tous plongés dans le noir et les êtres de sont pas vraiment distingués. C’est l’indistinction. Un vieil homme vit avec sa fille dans une cabane lointaine et il dispose d’une boite dans laquelle il y a un autre boite, dans laquelle il y a une autre boite etc. et avec, au centre, une perle qui représente toute la lumière du monde. Corbeau décide d’aller voler la lumière du monde. Il est vers la cabane et réfléchit. Un jour la jeune fille sort, et lui il se cache dans l’eau qu’elle puise au puit. Elle boit l’eau, avec lui dedans. Il est dans son ventre et elle accouche de lui. C’est un bébé avec des plumes et un bec.
Corbeau gagne alors la confiance du vieil homme, et réussit à voler la lumière. Il se retransforme et part par la cheminée. Il est pas très cool, il veut garder la lumière pour lui, mais sur sa route il percute
un aigle et s’écrase par terre. La pierre se brise et fait jaillir la lumière. Les débris font les étoiles.

Corbeau est un être cosmogonique, il crée le monde. Comment, par un foirage total, et par sa rencontre avec d’autres personnages. Le monde surgit de la rencontre hasardeuse de deux êtres qui allaient dans 2 directions différentes.
C’est l’inverse de notre cosmogonie qui dit que Dieu a voulu créer le monde.

Aujourd’hui, dans le chao actuel, ce sont plutôt ces histoires de cosmogonie hasardeuse et de rencontre qui donnent la force de penser comment reconstruire des mondes.

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Kamchatka.
Après je vais au Bering, à la rencontre d’un peuple qui a migré au Kamchatka avec ses rennes sur un territoire de chasseurs-cueilleurs. Les russes les ont exterminé et collectivisé les terres, et les indigènes se sont faits assimilés. Quand l’union soviétique explose, beaucoup de collectifs indigènes se décident à prendre des trajectoires imprévues, mais qui redeviennent possible grâce à cette crise.
Daria grandit dans un kolkoze qui était un camp de base pour les chasseurs. Les rennes étaient rassemblés dans de très grands troupeaux et les indigènes étaient devenus des éleveurs de rennes. Daria est envoyée dans un internat, apprend le russe et on lui apprend qu’il faut qu’elle trouve un travail. Elle s’installe à Esso à 500 kilomètre de là où elle a grandit, et devient pharmacienne.
Quand l’union soviétique explose, tout s’arrête. Elle décide, avec sa famille, de revenir dans l’ancien kolkoze, puis d’abandonner les rennes et de devenir chasseurs-cueilleurs.
L’animisme devient donc une forme de réponse située à la colonisation et la crise.
Ce n’est pas une réponse formulée comme telle, mais c’est une réponse extrêmement subversive.

Daria dit que pour bien rêver il faut se décaler. On peut pas rêver dans une zone saturée de brouhaha, d’onde et d’humain. Il faut faire un pas de côté. Le rêve est important parce que c’est le moment de se départir de nos attributs physiques pour aller rencontrer d’autres âmes qui rêvent aussi. Il faut rêver parce qu’il faut savoir où en sont les autres êtres pour pouvoir saisir la teneur des relation à venir. C’est
une pratique quotidienne, il faut se raconter à demi-mot les rêves parce qu’ils disent des choses sur ce qui va arriver.
La crise climatique n’affaiblit pas ces pratiques, mais les renforce encore plus parce qu’elle rend d’autant plus nécessaire de dialoguer avec les animaux.

QUESTIONS

Est-ce que ces rêves permettent aux populations de s’adapter à ce qui arrive ?

Je n’aime pas trop le mot d’adaptation, mais si la question est de savoir si ces rêves sont efficaces, oui ils le sont. Ils ne permettent pas de faire face à la violence coloniale. Mais ils permettent des
choses. Daria rêve du lieu où sont les saumons, elle y va et elle pêche les saumons alors que ça fait plusieurs jours qu’on ne les trouvait pas.

Est-ce que vous pourriez rehistoriser l’animisme ?

Ça va être compliquer de rehistoricer l’animisme parce qu’on a pas de texte écrit. Mais on peut historiciser les rapports avec le naturalisme.

La symétrisation de Descola est foireuse parce que le naturalisme a été institutionnalisé, et que l’animisme ne peut pas s’institutionnaliser.
Ces sont les anthropologues qui ont inventé une forme de stabilité à l’animisme. En fait, la puissance des formes de réponses animistes, c’est d’être capables de ne pas se cristalliser, de ne pas se figer.

Est-ce que avec le temps et l’étude, on peut devenir animiste ?

La seule manière de comprendre une situation c’est de lui faire face en se débarrassant de tout vos préjugés. On ne peut pas produire de savoir-système pour comprendre l’animisme. Ce qui surgit c’est le produit d’une rencontre.

En quoi c’est une réponse ?

C’est une réponse parce que d’autres mondes adviennent concrètement. Vous créez des mondes où les animaux existent, où vous devez faire attention à eux, etc. C’est une réponse parce que quand le système s’effrite, ça remonte. La crise va continuer d’éroder les systèmes actuels, et permettre à ces mondes de renaître.

Pourquoi les saumons se laissent attraper ?

C’est une question passionante, et il y a un livre très intéressant qui parle de ça : « Their Gift themselves ».
Les âmes et les corps circulent, et c’est cette circulation qui recrée le monde et permet un cycle de vie. Les chasseurs disent que les animaux - à certains moments - se donnent aux chasseurs quand ils ont finit leur cycle animique, pour recréer de la vie. Les chasseurs disent aussi qu’avec la crise climatique, les animaux ne se donnent plus, ils ne veulent plus se présenter en rêve. Le cycle est brisé, et on ne peut plus alimenter la vie. Ils ne se donnent plus parce qu’on a complètement
brisé le dialogue avec eux. Ils en ont marre et ils sont partis.
Reprendre le dialogue c’est donc faire que ce soit de nouveau possible, il faut donc faire un pas dans le monde des autres.

Est-ce qu’il y a eu des études sur les formes de dialogue ?

Il y a peu d’étude en anthropologie là-dessus, mais beaucoup dans la psychanalyse, qui s’est ressaisi aussi de ce bouleversement amené par l’anthropologie.
La psychanalyse montre que c’est une ontologie qui est aussi présente dans nos sociétés, chez les enfants par exemple qui disent souvent dialoguer avec les animaux, les végétaux, etc. Et qui ressurgit plus tard dans nos rêves.
C’est difficile de travailler là-dessus sans tomber dans des formes d’évolutionnisme.

Qu’est-ce que tu penses du neo-chamanisme ?

J’ai beaucoup de mal avec ça, parce que je trouve qu’on va puiser dans des formes lointaines pour qu’elles nous servent à nous, sans penser les situations propres. La folklorisation à laquelle on assiste est dangereuse et c’est aussi un vecteur pour prendre les terres. C’est ce qu’on a fait aux indigènes russes : on leur a promis de faire attention à la danse, aux chants, aux habits, on leur a fait des salles de concerts, et on leur a pris leurs terres. J’ai vu beaucoup de gens se faire prendre leurs terres par des ONG qui disaient vouloir les défendre.
C’est que les dialogues ne surgissent pas sur la place publique, il faut des cachettes, de l’ombre, où parler à demi-mot. C’est ce qui les rendent possibles. Dès que tu dis « ma culture c’est ça » tu permets la muséification.
« Le médiateur sur la place publique ment ».
Ce qui se vit ici à la zad, de recherche de forme et de rituel, me parait beaucoup plus juste que les mouvements néo-chamaniques qui ne sont pas dans la pratique.

Est-ce qu’il y a des voies médianes entre naturalisme et animisme ?

Ces idées sont des concepts anthropologiques qui réduisent la réalité.
Dans la pratique on est toujours dans des voies médianes. Là où je travaille, il y a des gens qui le matin se racontent leur rêve, et le soir vont braconner de la zibeline et la vendre aux russes. Ce sont des négociations constantes, comme celles qui nous traversent tous.

Qu’est-ce qui est arrivé au peuple d’Alaska ?

Trump vient de décider de vendre toutes les terres et de les exploiter, donc la situation va certainement être de plus en plus difficile pour eux.

Comment multiplier les cosmogonies accidentelles tout en restituant ce que l’on vit au reste du monde ?

C’est extrêmement difficile. La plupart des pratiques sont réduites et peuvent être détruites quand on les transmet. Quand un discours sur le monde se stabilise, c’est nécessairement qu’il exclut des gens et qu’il devient dogmatique. Déjà je dirais qu’il faut pluraliser les formes de transmission, et certainement aussi qu’il faut choisir les gens qui restituent, les personnes à qui on transmet ce qu’on vit.

Note de la prise de note : J’ai arrêté de prendre des notes à ce moment mais Nastassja Martin a fini par raconter assez longuement une lutte à La Grave - dans les Alpes - contre un projet de giga-domaine skiable dans laquelle elle est impliquée.

Un samedi soir tristement ordinaire...

Notre team de rédacteurices aimerait vous dire qu’hier soir, c’est avec des paillettes dans les yeux que nous avons dansé des heures durant sur la ZAD. Ce ne sont pas les arguments qui nous manqueraient pour vous décrire tout le beau que nous avons pu y déceler. Sauf que hier soir, le
beau et le plus laid se superposaient... Hier soir, c’était malheureusement un soir ordinaire de fête. Et qui dit fête dit aussi diverses emmerdes, gestes, agressions et viols liés au sexisme et au patriarcat.

Alors bien-sûr, des centaines de personnes se sont extasiées devant la représentation théâtrale L’oiseau bleu de Spectralex. Paraît que c’était génial. Parait que c’était un peu trop commun aussi. Nous, on n’y était pas, alors on vous racontera pas. La musique était bizarre aussi à la
Wardine parfois il paraît. Mais ça non plus on en a pas trop d’idées.
Nous y étions pour y danser, et on se rappelle entendre le son de « nik la bac » et « fuck le 17 » remixés pour l’occasion. On se rappelle aussi voir de magnifiques ballons se consumer dans le ciel. Ca aussi c’était beau ! On souriait et s’amusait, mais déjà sûrement, des mains se baladaient et l’alcool aidant, d’autres venaient déranger des personnes qui voulaient juste danser...

À la Rolandière, d’étranges maquereaux déclamaient des poèmes et chansons. Et devant la grande scène, des centaines de personnes retrouvaient la joie de danser collectivement sur des airs de musique bretonne avec le trio dell’amore. Ah ça souriait, les pas n’étaient pas tous calés mais qu’est-ce qu’iels avaient l’air heureux·ses de danser ensemble dans ce fest-noz (peut-être le seul de l’été en
Loire-Atlantique) !

Et puis la musique a du s’arrêter à la Wardine. Et pendant qu’un concert de rap continuait sur la grande scène avec un open mic, d’autres ne s’arrêtaient plus de danser sous le grand chapiteau. Sauf que nous, on avait appris qu’une meuf s’était faite violer en allant faire ses besoins. Et que le violeur était introuvable...

Alors on aurait bien voulu danser penard·e·s sous le grand chapiteau mais dans l’assistance, des relous déployaient leur ingénieurie sexiste pour niquer la soirée. Et un mec qui te frotte, et un autre qui
t’embrouille des heures autour d’une question de consentement, et vas-y que je généralise sur les féministes, et que je ne te lâche plus. Un coup je te drague, un autre je t’emmerde. Et une copine qui tombe sur un autre cas d’agression pendant qu’elle part pisser...

Il était déjà très tard, et cette sensation que plus la nuit dure, plus les emmerdes s’accumulent, revenait comme chaque soir de fête... On théorisera pas des heures, et à vous écrire ce compte-rendu de soirée, on se sent aussi fatigué·e·s qu’à 5h du matin quand il était déjà l’heure pour nous d’aller dormir et d’assumer les comptes-rendu du lendemain... Y’a eu des outils mis en place pour limiter ce genre de merdes, une infoline existait mais ça n’aura pas suffit, et nous, on est blasé·e·s.

Dimanche 30 août

Face aux Plan Locaux d’urbanisme, déborder les zonages ! Défendre l’habiter hors norme partout !

Avec : La commission habitat des Notre Dame des Landes, des habitant.e.s du quartier libre des Lentillères et de sa Zone d’Ecologie Communale, des juristes de Notre Affaire à Tous et des membres de Superlocal et d’Halem.

Durant cette discussion, un collectif s’est lancé pour continuer la réflexion sur cette thématique. Et le chiffre de 3000 personnes présentes durant ce weekend a circulé !

Fatima Ouassak & Fumées noires et gilets jaunes

La revue Z nous a présenté son numéro 13 : « Retour sur une enquête trépidante à Rouen au lendemain de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol et autres rejets industriels ».

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Fatima Ouassak nous a raconté son combat à Montreuil et Bagnolet pour une alternative
végétarienne à la cantine. Devant le racisme redondant de la FCPE (Fédération des Conseils des Parents d’Elèves), et d’autres organisations de gôche, elle a décidé de fonder, avec d’autres, le
Front des Mères qui agit, lutte et gagne dans les quartiers. Son dernier livre vient de sortir : courez le lire !

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À la fin de cette discussion, les repas ont été servis et après le service, des meufs ont pris la parole pour expliquer l’ambiance de la soirée de la veille. On pouvait entendre les oiseaux siffler tellement
le silence règnait, mais l’impuissance ne s’est pas emparée de toutes les meufs présentes et très vite, des slogans ont emmergé de l’assistance...

Assemblée sur les suites du 17 juin

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Après un tour pas si rapide sur les différentes actions ayant eu lieu le 17 juin, différentes propositions de dates, actions et agenda commun ont été lancées durant cette assemblée. Des personnes se sont retrouvées en commission, et sans vous en dire trop ni d’avantage, on peut déjà vous annoncer qu’il faudra réserver votre 17 novembre pour la deuxième phase de cet appel ! Plus d’infos à venir.

Tou·te·s au Carnet**

Voir le compte-rendu de la manifestation sur expansive.info :

Récit en images de la manif du Carnet

Une manifestation a eu lieu dimanche 30 août sur les terres menacées du Carnet en Loire-Atlantique. Depuis des personnes investissent les lieux et ont besoin de monde tous les jours dès 6H sur le site. Passez les voir !

A lire sur expansive.info
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C’est la fin du suivi/récit de la semaine à l’Intergalactique/ZADenVies/Le Carnet pour notre équipe, merci à tou·te·s pour l’investissement, les discussions passionnantes et les actions débordantes !



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