Sale temps pour les capitalistes : Rabasse.info rejoint le réseau Mutu pour relayer les luttes de Franche-Comté !

Le risque zéro & le mythe de l’insécurité



Il est difficile d’échapper aujourd’hui au spectre sécuritaire. Depuis environ une vingtaine d’années, l’insécurité est au centre du débat politique, sociologique et idéologique.

Il est difficile d’échapper aujourd’hui au spectre sécuritaire. Depuis environ une vingtaine d’années, l’insécurité est au centre du débat politique, sociologique et idéologique. Les dérives sont nombreuses depuis l’apport de ce thème sur le devant de la scène par J-M Le Pen en 1988, année où il rencontre son premier écho électoral considérable. Le langage s’est depuis bien banalisé ; des expressions qui étaient encore tabous dans les années 1950-1960 au sein des médias, des hommes politiques et des masses sont maintenant d’usage courant. Dès 1997, le thème se centralise dans le débat politique et devient une préoccupation majeure des dirigeants. En octobre de cette année-là se tient à Villepinte le colloque intitulé « Des villes sûres pour des citoyens libres » qui marque l’entrée du gouvernement Jospin dans le virage sécuritaire. Cette réflexion universitaire s’appuie sur l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure créé en 1989 et qui forme les théoriciens du tout sécuritaire. Il se présente dès lors comme un institut de recherche qui organise ses colloques, diffuse des travaux à travers une revue « Les cahiers de la sécurité intérieure », récompense ses jeunes thèsars et passe avec l’État des contrats de recherche. Or, en creusant un peu, on peut découvrir que cet institut est sous la tutelle directe du ministre de l’Intérieur et qu’il rassemble, non pas des chercheurs en sociologie ou en urbanisme, mais bien des policiers, des personnels politique et administratif. Les résultats alarmistes de cet institut "scientifique" créent d’eux-même le mythe de l’insécurité et permettent au gouvernement Chevènement de se lancer dans une politique sécuritaire tout à fait "justifiée".

Les chiffres, qui, comme tout le monde le sait, "parlent d’eux même" sont en effet le premier fondement du tout sécuritaire. Or, les statistiques ne sont jamais neutres. Les chercheurs les élaborent dans un but précis comme, par exemple, refléter l’insécurité ambiante ; les chiffres se doivent d’être le reflet de cette réalité "préoccupante". De plus, les chiffres de la délinquance sont fournis par la Police et, sans entrer dans la théorie du complot ou du mensonge d’État, même si la question peut à un moment ou un autre être posée, on peut affirmer que ces statistiques ne révèlent que l’activité policière. Ils évaluent l’augmentation d’un type de délit particulier uniquement par rapport au nombre d’interpellations, de fouilles et de contrôles qui concernent cette délinquance particulière. Or, la variation de ce nombre ne correspond qu’à une mobilisation plus massive de la Police sur ce type de délit. Donc les chiffres de la délinquance ne reflètent pas la réalité mais une part infime de celle-ci, la part de la préoccupation politique. Poussons plus loin la corrélation, si l’on augmente les effectifs de la Police, les arrestations augmenteront et donc leur enregistrement aussi ; ainsi les statistiques feront apparaître une délinquance accrue justifiant donc l’augmentation des policiers.

De même, si les chiffres de la délinquance financière stagnent depuis plusieurs années, ce n’est pas le reflet de la réalité mais uniquement l’image de celle-ci à travers un miroir déformant ; puisque les autorités n’en font pas une priorité, les arrestations sont moindres, les chiffres sont donc stables. Les chiffres ne parlent donc pas d’eux-même, il est possible de leur faire dire ce que l’on veut, tout dépend de la manière dont on les construit et dont on les présente. Les journalistes ont d’ailleurs perdu tout regard critique vis à vis des chiffres mis à leur disposition en favorisant le développement d’une série d’amalgames bruts et flous. Déjà sur le terrain du vocabulaire, ils confondent délinquance, incivilité et violence. Ainsi ils contribuent à la construction d’une réalité qui ramène toute délinquance à la violence et toute incivilité à la délinquance. Les gifles, viols, meurtres, insultes sont alors confondus dans une même catégorie : LA délinquance. N’acceptons plus de statistiques brutes ni d’analyses messianiques ayant l’apparence d’une unique vérité objective. Celle-ci cache souvent une volonté plus profonde de marchandisation du secteur sécuritaire.

Sommes nous prêts à mettre entre les mains de l’État et du secteur privé une bonne partie de nos libertés au nom d’un mythe insécuritaire construit historiquement par une incompétence des médias et par les enjeux démagogiques des élections ? Voulons nous vendre notre vie privée pour assurer une sécurité à nos biens quitte à accepter l’omniscience technologique ? Cette déviance sécuriatire ne risque-t-elle pas de rendre la moindre de nos gestes "anormaux" condamnables et automatiquement punis ? L’omniprésence policière et la surveillance accrue des individu(e)s ne sont-elles pas aussi un moyen de museler la contestation sociale qui prend des formes de plus en plus revendicatives ? Sommes-nous prêts à accepter un flicage permanent créant un climat de peur et mettant entre les mains des employés de sécurité du secteur privé et des fonctionnaires de police la toute-puissance ? Il existe des moyens alternatifs de réduire la petite délinquance.

Il serait imaginable que la construction d’un tissu social de solidarité permettant d’échapper à la violence économique, qui est la source principale de délinquance, en effet comment imaginer qu’aucune délinquance ne peut exister dans une société si inégalitaire qui cultive la compétition et qui écrase ceux qui ne peuvent accéder à une vie décente. Tant que les inégalités seront si fortes la violence ne diminuera pas, elle ne fera que s’épanouir dans l’indifférence générale en restant cachée derrière les murs des prisons et des commissariats pour garder la façade de la société immaculée de la souffrance de ceux qui n’ont rien. ◼

Thème Prison, justice, répression sur Infokisoques.net.

Le site du ministère de l’Intérieur (pour les chiffres).

Le site de l’INRIA (pour les systèmes sécuritaires).

Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972.

Pierre Tévarion & Sylvie Tissot, Stop quelle violence ?, L’esprit frappeur, 2001.

Laurent Muchielli, Violence et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, La Découverte, 2001.



Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document