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Les cinémas en France : bref état de l’art



À propos de la lutte du cinéma Eldorado.

L’Eldorado participe aujourd’hui pleinement de l’identité dijonnaise : tout amateur de cinéma dijonnais y associant, selon ses préférences, selon son penchant politique, son attachement à un certain dynamisme culturel ou non, son envie d’un cinéma de consommation ou de réflexion,… une certaine image, qu’elle soit teintée de mépris ou de considération. Au travers de ce filtre, une grande partie des dijonnais ont un minimum connaissance des récents « sursauts et soubresauts » qui accompagnent sa longue lutte de reconnaissance par la Mairie.
Cependant, au-delà de cette situation locale, la lutte de l’Eldorado s’inscrit dans un contexte cinématographique national singulier. Il nous a paru, en ce sens, important de se pencher un peu plus sur cette actualité brûlante, aux enjeux essentiels, et aux luttes de pouvoir complexes, pas forcément connues de tous.

Un tant soit peu (voire très) cinéphile, assez au courant de cette actualité, j’ai donc décidé de m’atteler à ce sujet, me voyant déjà déployer mes talents littéraires pour défendre en un éloge lyrique les petits-gentils-cinémas-indépendants-arts-et-essai, et pourfendre les grands-méchants-requins de l’industrie cinéma type UGC… Pis en fait, après de foisonnantes lectures, je me suis vite rendu compte que la tâche n’allait pas être si simple… En effet, même si ça reste une façon de ne pas trop se mouiller, il m’a semblé que la situation actuelle du cinéma, du point de vue de son exploitation, se caractérisait surtout par sa complexité ; et, du coup, c’est cette complexité que j’ai envie d’essayer de décortiquer un peu le plus clairement possible au début, au risque d’avoir un discours aux accents un peu didactique voire pédant, et pis après, partir sur un point de vue un peu plus personnel.

D’abord, comme il en ressort des diverses brèves journalistiques sur les attaques des « grands » contre les « petits », on peut dire que l’exploitation des différentes salles françaises relaie l’image d’un cinéma à plusieurs niveaux. Il y a en effet, les très très grands exploitants, conquérant le marché à coup de multiplexes, type UGC, et qui auront plutôt tendance à balancer des films du genre Saw III dans leurs salles (ou p’têtre le IV… je suis plus trop l’actualité « Saw », à vrai dire…). Dans ce bateau-là on peut, sans trop se mouiller, ajouter les salles type l’Olympia à Dijon. Donc disons d’un côté des salles plutôt blockbusters et pop-corn, associées à un cinéma qu’on pourrait qualifier de divertissant, pour ne pas être vulgaire.
Bien évidemment, il ne faut pas oublier les cinémas art et essai, qu’on connaît plutôt bien à Dijon, par le biais de l’Eldorado notamment. Si les grosses structures auraient plutôt tendance à se caractériser par leur programmation de films pourris – critère qui reste tout de même en partie subjectif, ne nous en cachons pas –, ceux-ci sont désignés « art et essai » selon certains critères spécifiques (cf. encadré) établis suite à un décret de 2002. Critères trop stricts pour certains, pas assez pour d’autres, qui voudraient bien bénéficier du « label » et des avantages qui lui sont associés, ce « label » permettant une subvention de l’État. Mais derrière un label unique se cache une grande diversité de pratiques, de types d’exploitation,… Un cinéma art et essai peut, mais ne l’est pas nécessairement, être « indépendant » (cas de l’Eldo).
Les cinémas art et essai peuvent autant être privés (Méliès à Montreuil) que caractériser de petites salles municipales (Comédia à Lyon).
Enfin, certains cinémas « labellisés art et essai » peuvent aussi s’ériger en véritable circuit, et être perçus, de cette façon, comme un grand par les petits : c’est le cas des cinémas MK2, ou Utopia : véritables chaînes de cinéma art et essai, présentes dans plusieurs villes, ils représentent un poids économique franchement pas négligeable (cf. encadré).
Et pis entre ces deux-ci ? Eh ben, entre ces deux y’en a tout pleins d’autres qu’on a parfois du mal à « classifier », ce qui montre dans un premier temps les limites de cette classification manichéenne « d’un côté les gros méchants, de l’autre les petits gentils… »

Mais, outre la subjectivité des critères de classification (allez demander aux défenseurs de l’Eldo si le Devosges est un « véritable » cinéma art et essai…), la situation tend à se complexifier si l’on s’attache à la programmation proprement dite, autrement dit, l’accès aux copies, autre aspect des tensions du petit monde des exploitants en France.
Au moment de sa sortie, un film, pour être projeté dans les salles, bénéficie d’un certain nombre de copies, qui seront distribuées au niveau national. Le nombre de copies d’un film dépend de son budget.
Les petits films d’auteur, aux budgets généralement limités, sont caractérisés par un petit nombre de copies, indépendamment de leur succès futur. Cette situation peut conduire à une véritable « guerre des copies ». Dans un contexte de regain d’intérêt pour les films d’auteur (les préadolescents et adolescents délaissant les salles pour d’autres médiums et loisirs, le public tend à se « boboïser »), pour qui le dernier Woody Allen, Ken Loach ou Klapisch ? Si, il y a quelques années, leur catégorie d’exploitation aurait été aisée, aujourd’hui, elle tend à se complexifier, d’autant que toute cette part de marché paraît de plus en plus porteuse aux yeux des grands exploitants, qui n’hésitent pas à diffuser de tels films… Tout cela, tandis que les cinémas art et essai, en vue d’attirer les jeunes publics par exemple, vont parfois projeter des films « grands publics » (cas du Seigneur des Anneaux pour le cinéma Utopia)… Les salles ont ainsi tendance à se laisser tenter par la diversité, que ce soit « d’un côté » ou « de l’autre », amenant ainsi à des programmations proches, qui attisent cette guerre des copies.
Un des corollaires de cette guerre des copies, c’est la guerre des salles telle qu’elle a pu ou peut s’exprimer dans le cas du cinéma Méliès à Montreuil, attaqué par l’UGC (lequel a été rejoint par le MK2) sous le motif de « concurrence déloyale ».

Ces luttes « internes » recoupent la question de l’engagement de l’État dans le domaine du cinéma, qui est, en ce moment, au centre d’une grande part des débats. Derrière les strass, paillettes, et larmes de joie des César du vendredi 22 février, se jouait une pièce d’un autre goût, tout aussi douteux : celle d’un cinéma indépendant en lutte. En effet, suite à la création, le 11 janvier 2008, d’un collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, un appel à la fermeture des cinémas indépendants le 22 février au soir, pendant la cérémonie des César 2008, a été lancé, afin de protester contre un désengagement de l’État en matière d’action culturelle cinématographique.
Le Ministère de la Culture ainsi que le Centre National de la Cinématographie (CNC) ont en effet annoncé, voilà quelques mois, une baisse au montant non précisé des crédits déconcentrés aux DRAC. Le financement de ces différentes actions n’incomberait par la suite qu’à l’unique CNC. Le CNC a, en effet, récemment bénéficié d’une augmentation de ses subsides, mais il est à douter que ce financement suffira à alimenter l’ensemble des actions culturelles liées au cinéma. Dans ce contexte, un choix devra se faire, qui laissera nécessairement de côté une part importante de festivals et autres : a priori, les moins « porteurs ».
Face à ce contexte de mécontentement dans le milieu du cinéma, le ministère de la Culture a récemment annoncé que « la nouvelle enveloppe budgétaire » allouée à son ministère fin décembre « bénéficiera aussi » à l’action culturelle cinématographique. Rallonge de 34,8 millions d’euros d’abord présentée comme étant destinée au milieu du spectacle vivant… pour qui cette rallonge ne suffisait déjà pas à combler le « gel » de 6 % de l’ensemble des crédits de la culture dans le budget 2008…
Derrière un discours aguicheur, prônant la nécessité d’une éducation au cinéma, le ministère de la Culture fait preuve d’un comportement ambivalent, qui tend à mettre en concurrence les différents « secteurs » culturels.

Enfin, il est à craindre que le basculement vers le numérique mette en péril les cinémas les plus petits. De plus en plus de salles tendent à se tourner vers le numérique, offrant une meilleure qualité d’image et surtout, un prix d’achat des copies moins important que lorsqu’il s’agit d’une copie « classique ». Cependant, ce basculement, par son coût élevé, reste réservé aux salles bénéficiant de revenus importants : il y a en ce sens un risque de mise au ban des salles les plus petites.

À l’heure où le cinéma doit s’adapter au néolibéralisme plus qu’ambiant, à l’instar des autres « industries culturelles », il m’a semblé que la seule chose sur laquelle j’étais capable de me positionner c’est celle-ci : à partir du moment où le fric s’immisce dans un milieu de passions et de passionnés, les jeux sont tout simplement vite faussés... Ce serait bien évidemment trop simple de ramener cet état de fait aux dix, ou même aux trente dernières années : l’argent, l’apparence, les « strass et paillettes » se sont immiscés dans ce milieu, pour autant que je sache, dès les années 20-30... Ça revient donc à critiquer, en un sens, un des fondements même du cinéma... Mais il n’empêche, quand le cinéma devient « industrie » cinématographique, que les spectateurs deviennent « cible », « marché »,... les « labels », peuvent, de la même façon, devenir « images »...
Face à ce véritable système, la seule solution est de garder une certaine distance critique, que ce soit vis-à-vis des cinémas eux-mêmes (ne pas oublier que, indépendamment de la qualité de sa programmation, un cinéma doit, particulièrement dans ce contexte de désengagement de l’Etat, « se vendre » un minimum pour pouvoir survivre [1]) que vis-à-vis des films (le véritable cinéphile se distinguant, à mon humble avis, par son éclectisme et son esprit critique plus que par sa capacité à réciter tous les réalisateurs de la Nouvelle Vague ou je ne sais quoi d’autre…).

Enfin, concernant le désengagement progressif de l’État dans le milieu du cinéma ainsi que dans les autres secteurs culturels : voilà des siècles qu’art et politique sont intimement liés. L’art ayant pour fonction première de se mettre au service du souverain, l’exalter, etc..
Aujourd’hui, malgré les accents indéniablement régaliens du régime actuel, le gouvernement semble, oh, bonne nouvelle ! s’inscrire en complète rupture avec ce fonctionnement qui, pour être critiquable, permettait au moins à l’art d’exister (même si son existence reposait uniquement sur son positionnement au pouvoir : répondant aux attentes de la majorité et des tenants du pouvoir, ou, dans le cas contraire, se posant, aujourd’hui en expression « alternative » ; au XIXe en « refusé »). Oui, aujourd’hui, tout cela est en train de changer… M. Sarkozy, pourtant si attaché à mettre en avant la singularité française, a décidé de nier une singularité qui a pourtant fait vibrer pendant bien des siècles le cœur du moindre orateur un tant soit peu zélé : l’« exception culturelle française »… Aujourd’hui, c’est décidé, plutôt que d’avoir un art contre/ un art pour, autant ne plus avoir d’art du tout…
Si le risque lié à tout ça pourrait être la survenue d’un nouvel « âge d’or du mécénat » ; j’ai envie, à l’inverse, de teinter la fin de cet article d’une ’tite note d’espoir. À l’instar de la censure, qui garde « l’avantage » de pousser notre capacité créatrice à se dépasser, peut-être que cette période de vache maigre dans le milieu de la culture aura pour corrélat de pousser à une créativité qui ne soit pas nécessairement proportionnelle au budget du film, et qu’à l’inverse, une restriction de budget aura au moins l’avantage de faire émerger de nouvelles formes de création, les nouveaux médiums (net et autres) étant appelés à y jouer un rôle grandissant…

Pour briller en société

Multiplexe
Complexe cinématographique d’au moins 8 salles.

Drac : direction régionale des affaires culturelles
De nombreuses actions décentralisées (festivals, programmation de salles de proximité, actions éducatives…) dépendent de subventions de l’État distribuées par les DRAC.

Cinéma art et essai
« Label » délivré par une commission nationale aux salles de cinéma dont les programmes sont composés d’œuvres présentant l’une, au moins, des caractéristiques suivantes :

  • avoir un caractère de recherche ou de nouveautés dans le domaine de la création cinématographique ;
  • présenter d’incontestables qualités, sans avoir obtenu l’audience qu’elles méritaient ;
  • refléter la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France ;
  • œuvres cinématographiques de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment œuvres cinématographiques considérées comme des "classiques de l’écran" ;
  • œuvres cinématographiques de courte durée tendant à renouveler par leur qualité et leur choix le spectacle cinématographique.

Peuvent être exceptionnellement comprises dans les programmes cinématographiques d’Art et d’Essai les œuvres cinématographiques :

  • récentes ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public et pouvant être considérées comme apportant une contribution notable à l’art cinématographique ;
  • d’amateur présentant un caractère exceptionnel.

Le label "Art et essai" accorde une petite contribution financière annuelle aux cinémas ayant obtenu le label. Ce label est provisoire et soumis à examen et peut être retiré pour différentes raisons.

Trois labels différents peuvent être attribués aux salles art et essai selon leur programmation : « jeune public », « répertoire » et/ou « recherche et découverte ». D’autres critères entrent en jeu pour ce qui concerne la proportion de films différents accordés par rapport aux séances totales. Sont pris en compte par des coefficients majorateurs : le contexte géographique et sociologique, la politique d’animation mais aussi l’environnement cinématographique, le travail en réseau, la politique de diffusion du court-métrage … ;

Quelques chiffres : 50 millions d’entrées sont réalisées chaque année dans les salles Art & Essai, soit 1/4 des entrées nationales.

Cinéma indépendant
Un cinéma « indépendant », ça veut dire (là-dessus, je reprends de façon synthétique la définition du SCARE, Syndicat des Cinémas d’Art de Répertoire et d’Essai) : un cinéma qui choisit les films qu’il projette : des films qui ont un intérêt sociologique, les films des cinématographies étrangères laissées pour compte par les circuits ; un cinéma qui « pratique une politique de communication régulière et de formation du spectateur » ; un cinéma qui organise des animations ; qui met en œuvre une réelle politique de tarifs afin de favoriser la fidélisation de ses spectateurs…

UGC : Union générale cinématographique
L’UGC est le premier groupe européen d’exploitation cinématographique et un acteur majeur dans les domaines de la production, de la distribution et du négoce de droits audiovisuels.

MK2
D’abord spécialisé dans l’exploitation cinématographique (gestion de salles), MK2 s’est diversifié dans les années 1980 dans la distribution et dans la production de films. En décembre 2007, le MK2 s’est allié à UGC, accusant le cinéma art et essai Georges-Méliès, de Montreuil, de concurrence déloyale. C’est surtout la prise de position du MK2 qui a créé la surprise dans le milieu du cinéma : son ancien directeur général, Marin Karmiz -son fils lui ayant succédé- s’était, en effet, fait remarquer par son opposition à la politique de l’UGC : contre les cartes illimitées, pour le pluralisme, contre l’hégémonie des circuits,…
Quelques chiffres : fin 2005, MK2 était le troisième réseau à Paris (2 millions d’habitants), avec 11 complexes cinématographiques proposant 64 écrans.

Un cinéma autoproduit ?
Si les modes de réalisation et de diffusion des produits cinématographiques actuels nécesssitent des budgets conséquents qui ne peuvent se passer d’exploitation commerciale ou de fortes subventions publiques, il peut être intéressant d’évoquer le développement d’une scène cinématographique à petit budget qui bricole, s’auto-produit et crée ses propres circuits de diffusion. Dans l’Angleterre des années 90, en plein boom des mouvements d’actions directes, le collectif Undercurrents [2] a commencé à distribuer des caméras et à former des militants pour qu’ils/elles puissent filmer eux-elles-mêmes des blocages de route et occupations de forêt, des campagnes de longue haleine, des exposés pédagogiques et des expulsions spectaculaires. Diffusées à travers tout le pays, les compilations documentaires Undercurrents ont permis de dépasser le blackout médiatique et de faire émerger une voix autonome dans le monde des images, jusqu’à être courtisées par certaines chaînes télé comme la BBC. Depuis, le vidéoactivisme a explosé et a multiplié sa diffusion avec l’ère numérique et internet.
On pourrait dresser le même constat du coté de la fiction et porter en exemple le festival XXYZ [3] de films Do It Yourself [4] TransPédéGouines de Toulouse ou entre des projections de chefs-d’œuvre indépendants et débridés, les participantes au festival réalisent leur propres films et se les montrent à la fin.



Notes

[1À ce propos, je vous renvoie à l’article des Révoltés du Bounty d’octobre 2006, disponible sur Infokiosques (« Attac 45 et les Amis du Monde Diplo : pour soutenir une SARL, c’est la lutte des places ! ») qui dépeint un peu cet aveuglement que peuvent aisément entraîner les petits cinémas érigés en symbole de « lutte contre le capital ».

[4Do It Yourself (DIY) : Fais-le toi-même.

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