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Les playlists de manifs enfin mises à jour !



Sur les conseils d’un de ses contributeurs régulier, l’équipe de modération de Dijoncter est tombée sur un récit de manifestation égaré dans un quotidien de recommandation musicale. Celui-ci évoque étrangement certains événements des dernières semaines en Bourgogne...

Article initialement publié sur musique-journal.fr.

Loin des métropoles, dans cette petite ville d’environ 50 000 habitants que je nommerai Truc-lès-Muche, quelques milliers de personnes se mobilisent chaque semaine depuis le 5 décembre. Dans les 5000 au début, certainement moins ce mercredi, mais peu importent les chiffres : le mouvement prend une nouvelle tournure depuis que des Truc-lès-Muchois.es ont pris le contrôle des playlists jouées lors des manifs – playlists votées aux CA des principaux syndicats il y a de ça une bonne trentaine d’années… et jusqu’alors jamais remises à l’ordre du jour.

Un putsch qui inquiète.

À Truc-lès-Muche, le visage des principaux RG est connu de tou.te.s les habitué.es de la lutte, la municipale ne fait pas dans la finesse et le grand jeu du Pokécops a déjà supplanté la mode des escape games en fixant un objectif tout aussi simple : photographier un max de flics en civil. « Faites vous plaisir, attrapez-les tous ! » est en quelque sorte devenu le mot d’ordre local. Sauf qu’hier, à l’heure du départ, c’était carrément la PJ et les gars de la scientifique qui attendaient les manifestant.es.

Faut dire que la semaine précédente, on avait déjà senti comme un parfum de révolution : un vrai sound system avait fait son apparition, suscitant un regain d’enthousiasme au sein de toutes les « générations désenchantées » que Mylène berçait depuis le début du mouvement. Sur les sets techno des DJ, on avait tout de suite eu moins froid. De mystérieuses banderoles posant d’autres questions que celle des retraites (par exemple, « Elle est où la moulaga ? ») avaient fleuri hors parcours. Un petit cortège de tête s’était formé de lui-même pour aller accrocher un gigantesque « DESTITUTION » en travers d’une avenue. Certain.es se remémoraient le mois de mai dernier, quand des luchadores masqués avaient fait la une du journal local en bombardant de leur « musique électronique » d’honnêtes citoyens réunis en ce jour de Fête du Travail, tandis que d’autres pensaient à celui de 68, ou bien encore à la douceur des free parties printanières. Le tout s’était joyeusement soldé par un blocage improvisé.

« Lès-Muche se radicalise », les RG auraient-ils fait remonter à leur direction.

Alors ce mercredi, les Truc-lès-Muchois.es étaient au taquet – et les keufs, à bloc.

L’intimidation n’aurait cependant pas raison de la fête.

Point de camion cette fois-ci : une seule enceinte posée sur un diable, et de quoi brancher son téléphone. C’est-à-dire un dispositif dont la place au sein du cortège n’est pas définie, et que chacun peut aisément s’approprier. Pas de micro. Pour ça, il y a MC Grève un peu plus loin, il est assez freestyle et c’est open. Niveau son, il y en a quand même qui font déjà les gros yeux, alors faut y aller mollo. Mais de toute façon, rien que « Don’t stop me now » de Queen, dans ce contexte, c’est un tube qui prend une autre dimension que le jour du mariage de ton beau-frère.

Depuis quelques semaines, une partie des manifestant.es se retrouvent presque tous les jours pour fabriquer des pancartes et des banderoles toujours plus colorées, toujours moins ciblées retraites. Dessiner, peinturlurer, sérigraphier et surtout, trouver des idées, se constituer en tant que groupe, s’inspirer de tout ce qui circule tout en faisant preuve d’inventivité, ça prend du temps et c’est l’occasion de discuter. Alors que le 5 décembre, on se sentait un peu seul et hors-sujet avec son slogan anti-système, là, ya moyen de se faire des potes. Les A3 fluos des « Moins de poulets, plus de frites » ont un franc succès. Après le petit Queen qui met tout le monde d’accord, le mini sound system ultra-mobile décide de feinter pour passer aux choses sérieuses avec « Fuck the Macarena », détournement gabber de ce one-hit-wonder parfaitement à l’image des paradoxes qui nous travaillent : comment dire merde au capitalisme alors qu’on y est jusqu’au cou ? Heureusement, pas trop le temps d’entendre vraiment les paroles… et de toute façon, l’important, c’est l’énergie que l’on tire de cette musique. Ellen Willis l’avait parfaitement compris en décortiquant son rapport à la misogynie du punk.

Pendant ce temps, ça colle tranquillou planqué derrière une banderole et sous des parapluies, avec la dose de faux sang pour bien décorer le tout. Belle orga. Un peu plus loin, devant la cathédrale, ça monte encore d’un cran. « Nique la BAC » résonne sur le parvis. Pas le tube de Lorenzo, l’autre. Le message est on ne peut plus clair : « Tout le monde nique la BAC, ma grand-mère nique la BAC, ouais, j’nique la BAC. Tout le monde nique la BAC, j’kiffe la ZAD ». Et ça danse sur le parvis. Et ça converge sur le parvis. GJ, syndicalistes, citoyens en colère et heureux de l’être, nous sommes les manifestant.es, nous sommes la grève.

Le cortège s’engouffre dans une rue piétonne où il se sent peut-être un peu à l’étroit, mais soudé. Ça gueule « Débordement » avec la team queer de Jardin et la foule (oui, la foule, car ce n’est pas le nombre mais l’élan qui la constitue) commence à se sentir invincible : « Les gens qui dansent ne meurent pas », scande-t-elle devant la mairie. Elle voudrait bien que ce soit vrai. Elle danse pour Steve sans même en avoir forcément conscience.

Des « jeunes » ont rappliqué, bien plus que d’habitude. À eux, à elles de s’emparer du système. C’est leur son qui nous guidera jusqu’à la fin de cette manifestation, hormis le temps d’un raid contre la sous-préfecture rondement mené sur La Chevauchée des Walkyries. Le matin-même, des dizaines de tracts dépassés ont été transformés en avions de papier. Les manifestant.es s’en donnent à cœur joie. C’est un imaginaire, celui de l’enfance. C’est une réalité, celle de la guerre. C’est un geste, celui de lancer, le plus fort possible. Et puis quand un pays demande de trier les emballages qu’il force à acheter, on peut bien mettre de côté sa bonne conscience écologique pour balancer sur les institutions les déchets qu’elles nous forcent à produire. Retour à l’expéditeur.

On repart sur des sons acides plus fédérateurs que corrosifs, mais sur le boulevard, un rappeur divise : les lycéen.ne.s se marrent, bien qu’autour le malaise soit général. Une GJ s’offusque et veut changer de morceau sous prétexte que « ce n’est pas de la musique ». Une femme essaie de lui dire que le problème n’est pas là, entre ce qui est musique et ce qui ne l’est pas, et qu’il vaudrait mieux aller leur parler au lieu de les censurer, tandis que d’autres GJ approuvent et tentent de raisonner leur amie. Les manifestant.es échangent des regards perplexes : « J’suis bon qu’à niquer des mères » ? « J’baise…mères…Macron » ? Ça va trop vite et ça sature, on n’y panne rien. Ah mais non, en fait il dit « je baise que des maires de Macron », tout va bien, se conforte-t-on pour ne pas trop désespérer de la jeunesse. Vérification faite, aucun jeu de mots dans les paroles du titre “Cougar Gang” de Kalash Criminel, qui s’explique : « Au quartier quand « tu niques des mères », ça veut dire que « tu es chaud » et pour moi Macron il est chaud ! Il est président à 40 piges, c’est un truc de fou ! Pour moi il a niqué des mères. Après, c’est à double sens aussi, c’est plus une déclaration d’amour pour sa femme. En gros j’ai les mêmes goûts que le président de la République, c’est tout ! ». J’aurai au moins appris une expression. Et puis si la manifestation n’est pas le temps de la réflexion, ce moment de malaise et de débat, même maladroit, même avorté dans la précipitation, aura suffisamment marqué les Truc-lès-Muchois.es présent.es pour que chacun.e s’en fasse une idée à son rythme, au fil des conversations qui suivront.

Une banderole ayant fait diversion, le cortège rejoint la gare, son terminus, où Truc-lès-Muche se montre à la pointe de la new-wave française en tirant sa révérence sur le tout dernier morceau d’Infecticide sorti le jour-même, « La Voiture de la police », sous les yeux de la PJ prête à ficher tous ces dangereux radicaux de la playlist et probablement déçue de ne pouvoir embarquer personne.

Joli pied de nez d’un cortège sans queue ni tête.

La playlist :

Photo de Serge D’Igniazio.



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