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« On a pas rêvé de venir en France » - Interview au Chemin des Cailloux



« C’est la France qui a créé les problèmes chez nous, qui a soutenu les dictateurs, et c’est pour ça que nous on est venu en Europe, sinon on serait jamais venu. »

La discussion se passe le 24 septembre 2019.
Nous sommes deux à être allé·es au Chemin des Cailloux, parce qu’on avait envie de faire un article où la parole des personnes exilées serait directement lisible.
Nous sommes dans une tente bleue, assez grande, sous laquelle on a rencontré une dizaine de personnes. Les gens sont là depuis l’expulsion de la CPAM qui a eu lieu le lundi 9 septembre.
Il pleut beaucoup et il y a du vent.
Il y a une personne qui traduit ce que les uns et les autres nous disent, et nous la remercions très fortement d’avoir fait ce travail.
À la fin, Adam nous demande de retranscrire le plus fidèlement possible ce qu’ils ont dit, et de garder aussi les mots qu’on ne comprend pas, et ceux qu’on trouve trop violent.
C’est ce que nous avons donc fait.


Peut-être que vous pouvez commencer à nous expliquer comment s’est passée l’expulsion de la CPAM ?

Quelqu’un traduit ce que dit Abakar.
On sait pas. Les policiers ils sont arrivés et ils nous ont expulsés. On sait pas comment ils sont venus, on sait pas comment ils sont rentrés mais ils sont venus expulser.
Comme vous voyez, ils nous ont expulsés et nous on est dehors. Et comme vous voyez on est dans des tentes, les associations cherchent à aider, il y a de l’eau partout, on sait pas coment faire à manger, on sait pas comment dormir, et la mairie nous laisse là. Dans la rue. On est même pas dans la ville, on est hors de Dijon, et on galère ici.
Y’a des gens qui ont pas la procédure, et on est là comme ça, y’a des gens qui ne savent pas comment faire les papiers, y’a des femmes, y’a des enfants, y’a des mineurs aussi ici.

Pourquoi vous avez pas le droit à un logement ?

La préfecture ne veut pas.
Y’a des gens qui n’ont pas leurs droits, l’État il donne pas, il donne pas à loger, il donne pas d’argent, c’est pour ça qu’on est là. 50 % des gens ils touchent rien. Y’a des gens qui sont là, ils n’ont même pas le droit d’asile, ils sont là depuis 6 ans et la France ne leur donne pas de droit.

Toi ça fait combien d’année ?

Il est venu en Europe en 2015, mais en France ça fait 3 ans. Et comme vous voyez y’a des gens qui sont là depuis 4, 5, 6 ans et qui n’ont toujours pas de droit.
Y’a des gens qui se sont fait rejetter leur demande, qui ont demandé des réexamens, et pour ceux qui n’ont pas de droit, ils n’ont même pas le droit de loger. Dans l’expulsion de la CPAM, y’a 11 personnes qui se sont faites arrêter. Et y’a des gens qui sont encore dans la prison maintenant [1].

Et ici comment ça se passe, avec tout le monde ? Entre vous ça se passe bien ?

On a une bonne entente entre nous.
Ici c’est pas notre pays, dans notre pays si tu es refugié, tu galères pas comme ça. Tu vas pas vivre dans des tentes, dans la rue. Nous on s’entend bien entre nous, chacun a ses problèmes.
Ici, si tu demandes l’autorisation de t’éduquer, tu n’as pas le droit, si tu veux te loger c’est pas possible, si tu veux un travail c’est pas possible non plus.

Tu dis que chez vous c’est pas comme ça, quand y’a des réfugiés ?

Nous dans notre pays, au Tchad, il y a des soudanais, des centre-africains, des camerounais, des nigériens, qui sont venus chez nous, mais c’est la compétence de l’État. C’est pas à nous de le faire, c’est l’État qui le fait. Il loge les gens. Ça se passe pas comme ici.

Est-ce que avant de venir ici vous saviez que ça allait se passer comme ça ?

Non, pas du tout.

Parce qu’elle promet des belles choses de loin, la France ?

Non. Jamais on rêvait de ça. Lui, il a même pas rêvé d’aller dans un autre pays, même en Europe ou dans le monde. Lui il a eu des problèmes chez lui là-bas, c’est pour ça qu’il est immigré, il rêve pas d’aller dans le monde, en Europe, il rêve pas ça.

On s’adresse aux autres personnes présentes :
Et vous, vous avez envie de dire d’autres choses ?

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Lui, Adam, il a une question. Il demande dans quelle association vous êtes ?

Nous on va faire un article pour Dijoncter, un site qui relaie les luttes qui se passent dans la ville. C’est pas une association, c’est plein de gens différents. Y’a eu des articles sur l’expulsion, y’a eu les photos de quand vous êtes allés à la piscine, etc.


LIRE AUSSI : Fil info de l’expulsion de la CPAM

Nous on veut que les personnes qui luttent puissent écrire sur internet et que les gens lisent et puissent ensuite vous soutenir.
On est pas d’accord avec les médias, comment ils racontent les choses, donc on a notre propre média.

Adam dit que nous on rêve pas de rester dans la France, la France elle donne pas de papiers aux réfugiés, mais elle a pris nos empreintes, et on est bloqué ici. Nous on voulait partir en Angleterre, ou quoi, ils aident les immigrants. Si on part là-bas, ils vont dire « vous avez Dublin [2] », et ils vont nous ramener ici, en France, et ils nous emmerdent comme ça. C’est pour ça qu’on est là, nous on voulait pas être en Fance, même une journée. Nous on rêve pas de rester en France. C’est tous les migrants qui pensent ça, pas seulement lui, même moi personnellement je voulais pas être ici, dans les tentes, on galère ici. Chez nous là-bas on vit pas comme ça. Si un français vient chez nous, il vit pas comme ça dans les tentes.

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Il a dit que nous on voulait pas venir en France pour rester. On est pas parti en Angleterre mais on a des amis qui sont allés là-bas, ils nous racontent que la vie c’est pas comme ça là-bas. Ici en France si tu es monté dans un bus, si à côté de toi y’a une femme, elle veut pas rester à côté de toi : ils nous traitent comme de la traite négrière.
Si tu es parti dans le train, ils veulent pas rester à côté de toi, ils vont te dire « sale noir », ils veulent pas rester à côté de toi. En Angleterre c’est pas comme ça.
Nous on a pas rêvé de venir en France, c’est parce que dans notre pays y’a des problèmes, qu’elle a créé, la France. C’est la France qui a créé les problèmes, qui a soutenu les dictateurs, et c’est pour ça que nous on est venu en Europe, sinon on serait jamais venu.

Il a dit que y’a des gens qui sont partis en Angleterre, en Amérique, au Canada, et ils ont eu directement des autorisations de travailler, et ils ont été logés et nourris facilement. La France elle nous bloque comme ça ici. Ils nous donnent pas les papiers. Ils ont pris les empreintes et ils nous emmerdent comme ça. Si ils nous donnent pas les papiers, pourquoi ils ont pris les empreintes ? Pourquoi ils nous laissent pas partir ? Comme l’Italie fait. Même l’Italie ils vont te dire que non, si tu veux tu peux aller, t’es pas forcément en Italie. En France, si tu fais pas les empreintes, la police va t’emmerder directement, si t’as pas de récépissé ou quoi. C’est pour ça que nous on perd. La France elle veut pas nous donner de papier, alors pourquoi elle veut nos empreintes ? Pourquoi ils nous emmènent dans le truc Dublin pour nous bloquer ici ? Si lui il veut partir en Angleterre, s’il part là-bas ils vont le ramener ici directement.

Vous vous êtes en procédure Dublin ?

Oui, ils ont pris les empreintes ici. La France t’oblige. Et si tu pars, la France va te ramener ici. À l’aéroport, si tu veux partir, la France va te dire « dégage, t’as pas le droit de partir ». Et alors pourquoi elle nous prend les empreintes ?

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Il donne l’exemple à vous : si vous, vous êtes partis dans un pays, qui te donnait pas à loger ; ni loger ni nourri, ni les papiers, est-ce que tu vas accepter ? Est-ce que un français il va accepter ça ? Et pourquoi ils nous traitent comme ça ? Pourquoi ils nous traitent comme des... comme de la traite négrière. Ni loger, ni nourris, ni papiers.
C’est un nouveau système de colonisation, de la traite négrière, d’une autre façon. Ils ont mis dans la tête des jeunes africains que tu vas aller en Europe pour vivre là-bas. Ils ont créé des problèmes là-bas et quand tu viens ici ils vont te laisser dans la rue comme ça, ils vont te laisser dans les tentes, ils donnent pas de papiers. Et pourquoi ils font ça ? Ils ont qu’à laisser les gens tranquilles là-bas. C’est une nouvelle façon de faire de la traite négrière.

Nous on cherche de partir, y’a des gens qui étaient ici avec nous et qui sont en Angleterre. Et qui ont eu des papiers, et qui travaillent, et qui sont même revenus en France pour visiter les gens, et nous on était dans des tentes comme ça, dans la rue. Aujourd’hui dans la rue, demain dans le squat, après-demain dans la rue, et c’est tout le temps comme ça. Ils ont même pas attendu un an, en 5 mois, 6 mois, ils ont eu des papiers et ils reviennent, ils ont le droit de voyager, ils ont leur passeport. Tu as le droit de travailler, direct, là-bas, il n’y a pas une autorisation de travailler comme ici.

Ici en France, vous dites « Liberté, égalité, fraternité », mais ça se passe pas avec les re-noi, ça se passe que avec les français. Si tu dis que tu as le droit, que tu veux parler, comme ça dans la rue, la police ils vont te chicoter. Et après si ils voient que y’a pas de caméra, ils vont te chicoter. Y’a un ami à Paris, dans la rue, ils l’ont chicoté, et peut-être que vous avez vu les vidéos ? Elles étaient sur les réseaux. À Chenôve aussi ils ont fait ça.

Le jour de l’expulsion ?

Oui, ils ont arrêté mais ils ont aussi frappé des gens, dans le squat. Y’a pas de caméras, y’a des gens qui se sont fait frapper. Ils ont frappé des gens qui les empêchaient de rentrer. Si c’était des français ils feraient pas ça.

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Nous les jeunes, on essaie d’améliorer notre problème à nous, on sait pas comment dormir au chaud, on va essayer d’aller dans notre pays, si y’a pas de problème dans notre pays nous on veut pas rester ici. On veut pas rester en France, dans les tentes, il pleut... Nous on va laisser la France.

C’est pas la secheresse qui nous a amené ici. Nous on avait un problème dans notre pays, c’est pour cela qu’on est venu ici. Mais y’a des gens qui sont des bledards, qui sont en brousse, qui ont des élevages avec des milliers de bête. Ils ont tout laisser pour venir ici, seulement à cause des problèmes politiques. On galère pas là-bas, chez nous.

Nous on est bloqués ici, mais les autres africains ils savent ça. Ils vont pas venir en France. À l’époque on disait « un africain, le ventre plein, il va dormir ». C’est pas comme ça chez nous. Nous on a un cerveau, on gère comment on va faire, cette époque elle est passée déjà, l’esclavage il est passé déjà.

Nous on est bloqués ici, si un nouveau jeune veut venir ici, on va lui dire de rester, même de mourir là-bas, mais de pas venir en Europe. Nous on va dire ça à nos frères qui sont là-bas.

Y’a des personnes qui ont des vrais problèmes là-bas, si ils regagnent le pays ils vont être tués. Une personne, la France elle l’a expulsée, il est parti là-bas et il a été tué. Nous on a entendu ça. Y’a des gens qui ont des problèmes, ils se font arrêtés et mettre en prison. Si un jour ils sont renvoyés dans leur pays ils vont être tués directement.

Nous chez nous, y’a pas un président. Notre président c’est Macron, lui il dirige notre pays. Déby c’est un gouverneur seulement, c’est Macron qui dirige. Il a frappé les rebellions qui sont en train de monter dans notre pays pour que Déby il sort. C’est Macron qui a exécuté pour tuer les rebelles là-bas. Même les enfants et les petits-enfants ils connaissent ça.

Cette année, là ?

Cette année oui, t’as pas vu ? Dans les médias t’as pas vu ? Oui, c’est l’armée française qui a bombardé.

Après, il y a différentes personnes qui parlent, dont Abakar et Adam, avec qui on vient de parler, mais aussi Aboubakar et d’autres dont on a pas demandé le prénom.

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Si c’était pas nous, si vous vous étiez dans un autre pays, 6 ans, 7 ans, sans travailler, sans être nourris, est-ce que c’est possible ? Est-ce que c’est possible ? La France elle va réagir ça. C’est insupportable.

Lui il a dit que dans les élections, si Marine Lepen est élue, c’est bien pour nous parce que les africains vont rester chez eux. Macron il dit oui venez, le statut de réfugié, etc. et il fait ce qu’il veut. Marine Lepen elle le dit direct, je veux pas d’étranger, c’est direct, tu vas pas venir en France.

Si tous les gens que vous voyez, on avait le droit d’aller à l’école, le droit de se loger, le droit de travailler, on va pas rester ensemble. C’est des êtres humains, on va pas rester dans des tentes. Chez nous on reste pas comme ça, chacun a sa chambre, chacun fait son travail.

Si tu veux faire l’asile, pour le moment il faut te loger et tu vas faire les papiers. Si tu es dans la rue, comment tu vas faire ? Si tu veux faire l’administratif, tu vas à l’école. Mais on a pas le droit d’aller à l’école ! Même un enfant de 2 ans il a le droit d’aller à l’école !

Dans la ville de Bourgogne, de Dijon, lui il dit qu’il veut pas rester ici, que Dublin l’oblige et que c’est insupportable. Il dit que si quelqu’un a des problèmes et qu’il est venu ici en France, après il te donne le rejet il vont te dire de quitter le territoire. Mais toi t’as un problème, t’es pas venu t’amuser ici. En Allemagne, Suède, et quoi quoi, ils vont pas te faire comme ça, ils vont te laisser dans le logement, ils vont te laisser travailler. Mais en France, ils vont pas te laisser travailler.

Si tu as un réfugié chez toi, c’est comme un invité. Un invité il a un honneur pour lui !

Y’a des gens qui sont dans les prisons de Strasbourg, ils sont venus en France, et ils ont les empreintes en Italie. Ça fait 3 ans qu’ils devraient être envoyés en Italie et qu’ils sont dans la prison en France.

Y’a des milliers de personnes qui n’ont même pas leurs empreintes dans un pays européen, mais la France elle a donné des rejets quand même. Lui il était là en 2017, il a fait ses demandes, et ils lui ont dit vas-y dégage. Il a gagné l’Allemagne, et en 2019 la France l’a ramené ici, et l’a gardé dans une prison 5 jours, et lui a donné une OQTF. Il avait les empreintes en France, mais il avait une OQTF alors il est parti en Allemagne, et les allemands l’ont redonné à la police française.

On a trop parlé.

Non c’est bien. On va dire qu’on est venus parler avec vous dans cette maison, est-ce que vous voulez qu’on donne un nom à votre maison ? Ici.

Ça c’est pas une maison, on peut pas donner un nom.

24 septembre 2019, Interview pour Dijoncter.Info


Notes

[1A priori, elles seraient au Centre de Rétention Administrative de Strasbourg

[2La procédure Dublin fait que chaque demandeur d’asile est rattaché à un pays (le plus souvent le premier pays d’Europe dans lequel la personne a été), dans lequel ses empreintes sont prises et où il doit faire sa demande d’asile.

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