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Ernest Pignon Ernest



« La poésie est une arme, chargée de futur »

À proximité d’une usine maussade, je vois venir à moi un ouvrier décharné, bouche ouverte en grand sur sa propre mort, la tête en arrière. Ses jambes déchiquetées tourbillonnent dans l’air vicié. L’impact est désigné par une flèche noire de nuit. Trompe-l’oeil vertigineux, collé au mur. Silhouette éphémère. Forcément éphémère. Ernest Pignon Ernest ne colle pas ses figures au hasard dans les villes-dédales. Comme un formidable poète, il saisit parfaitement l’essence et l’histoire du lieu. Il les fait vibrer. Son art a un sens lorsqu’il occupe l’espace urbain, et pas autrement.

Paris 1871, l’utopie généreuse des communards est noyée dans le sang par l’armée régulière d’Adolphe Thiers, héros républicain. Un siècle plus tard, les marches du Sacré-Coeur (cette abomination qui a noyé le souvenir de la Commune dans la merde) sont recouvertes de centaines de corps massacrés, sans identité. La mémoire des vaincu·e·s se diffuse dans les rumeurs de la ville. Sur les marches du métro Charonne, les mêmes supplicié·e·s sont piétiné·e·s par les salarié·e·s pressé·e·s.

Mais les yeux d’Ernest Pignon ne sont pas seulement braqués sur le rétroviseur de l’Histoire. Il fait jaillir dans la ville l’horreur du présent. Immigré·e·s aux allures de condamné·e·s. Baluchon sous le bras, matelas au bout des doigts. Exil permanent. Ces vies dissoutes peuplent les ruines du cancer urbain. Derrière le grillage, une famille immigrée nous regarde, fixement. Les vagues d’expulsions de 77 furent tellement violentes qu’elles rappellent tristement le présent. Ernest Pignon Ernest accuse et revendique. A Nice, sa ville natale, 800 affiches sont disséminées pour le droit à l’avortement. Une femme. Un cri dans une déchirure. Mains crispées sur le ventre, jambes sectionnées à la frontière horizontale-verticale se prolongent sur le trottoir. Le sang poisseux, le placenta noirci, et la souffrance s’étalent comme un drame sur la ville. Ses sérigraphies torturées confrontent les passant·e·s à leur propre mauvaise conscience, à nôtre lâcheté ordinaire. Elles provoquent en nous de nouveaux possibles et un insatiable besoin de révolte.

Dans votre errance planifiée, vous rencontrerez peut-être des poètes comme Rimbaud ou Artaud. Ce n’est pas un hasard. Leur sensibilité et leur liberté révélaient d’effroyables vérités, ébranlaient le conformisme et les institutions. Ils nous restituaient notre regard et notre mémoire. Sur les murs de Certaldo, Pasolini est crucifié à l’envers.

Ernest Pignon Ernest est un authentique poète. Sa technique, il ne la met pas au service du beau, idée asservie à l’idéologie de la bourgeoisie, mais au service de la conscience. C’est pour cela que dans l’enfer du quotidien, il ne nous divertit pas, il nous interroge. L’autodidacte a compris que toute tour d’ivoire est illusoire... et barbare.

Quand l’art s’égare dans le lupanar consumériste, c’est du rêve sucré à l’arrièregoût de charnier. Une caution à l’aliénation. L’art ne doit pas être une décoration de salon, c’est un cri lucide et infini.

Les créations d’Ernest Pignon Ernest se situent dans la deuxième catégorie.



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