Sale temps pour les capitalistes : Rabasse.info rejoint le réseau Mutu pour relayer les luttes de Franche-Comté !

Mineurs isolés, mineurs en danger !



Récit du parcours de Manuel, mineur étranger isolé, qui a quitté la Centrafrique depuis un an.

Il y a un an, Manuel quitte son pays d’origine, état centrafricain qui a connu près de trente années de guerre civile (avec la contribution de quelques généreux « sponsors » occidentaux…). Il part pour la France, certainement avec un passeur, dans l’espoir d’y demander l’asile. Ses parents sont tout deux décédés au pays, assassinés pour des raisons politiques. Selon ce qu’ils lui ont dit, il serait né en 1989. Il a donc 16 ans lorsqu’il arrive en France. Manuel est un mineur étranger isolé, il bénéficie donc du dispositif de Protection de l’Enfance.

L’article 375 du code civil considère qu’il y a danger lorsque la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur sont en danger, ainsi que lorsque les conditions de son éducation sont gravement compromises. La situation des mineurs étrangers isolés qui arrivent en France sans représentant légal, sans point de chute, sans relais familial correspond bien évidemment à cette définition. En effet, de nombreux dangers les guettent, liés à l’errance dans la rue, à l’introduction en France par des réseaux souvent liés à la criminalité, à la promiscuité dans les zones d’attente, à l’absence de prise en charge ne permettant pas leur éducation.

Manuel est confié depuis un an par le Tribunal pour Enfants à un foyer éducatif. Le Juge des Tutelles (son représentant légal) l’a placé sous tutelle du Conseil Général, via le service de l’Aide Sociale à l’Enfance. En tant que mineur étranger et protégé (quoique…), il ne se voit pas délivré de titre de séjour, cela n’est pas obligatoire. La position de l’institution l’accueillant est de ne faire la demande d’asile qu’à l’approche de sa majorité. Les conditions d’attribution du statut de réfugié par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) étant draconiennes (soumises à quotas, par ailleurs régies par des accords internationaux et diplomatiques), cela peut permettre d’avoir un maximum d’éléments d’intégration à faire valoir pour une demande de régularisation. En effet, si la demande d’asile est déboutée (un recours restant possible) il est encore envisageable de faire une demande de carte de séjour auprès de la Préfecture.

Le 15 novembre 2006, Manuel est arrêté par la Police pour un contrôle d’identité alors qu’il rentre de l’école vers 15 heures. N’ayant aucun document officiel d’identité sur lui, il est placé en détention sans que son foyer en soit informé. C’est un autre jeune avec lequel il a été contrôlé et emmené au poste qui l’apprend à l’établissement depuis un téléphone public lorsqu’il est lui-même relâché en fin d’après-midi. Les services de police déclarent Manuel majeur après avoir procédé à plusieurs vérifications, dont une radio osseuse des poignets (dont la valeur n’est à ce jour pas reconnue juridiquement car basée sur des critères obsolètes et non-universels de surcroît). Le lendemain, la police des frontières vient perquisitionner sa chambre et l’emmène menotté sur son lieu de vie, en présence des autres jeunes et sans qu’il puisse échanger avec qui que ce soit. De retour au poste, Manuel se voit remettre un arrêté de reconduite à la frontière (48 heures de délai) et est relâché sans solution d’hébergement. Ses éducateurs sont désormais dans l’impossibilité légale de l’accompagner sous peine de poursuites pénales.

Avec l’appui d’un avocat, Manuel dépose un recours auprès du Tribunal Administratif le 17 novembre. Puis il vit quelques jours dans la clandestinité. Un réseau de soutien officieux s’organise autour de lui pour le tenir informé de l’avancée des événements et l’accompagner dans les diverses démarches. L’audience a lieu le 21 novembre (craignant l’expulsion immédiate, Manuel ne s’y présente pas) et le délibéré renouvelle l’arrêté de reconduite à la frontière sous 48 heures. Le 23 novembre, la Préfecture annonce qu’il est permis à ce jeune homme de déposer une demande d’asile. Ceci suite à la mobilisation d’associations de défense du droit des étrangers, de l’association par laquelle il est pris en charge, du service de l’Aide Sociale à l’Enfance du Conseil Général…

Dès le lendemain matin, Manuel est accompagné par une représentante d’une association se consacrant à l’accompagnement des étrangers migrants, et une éducatrice au Service des demandeurs d’asile du Bureau des Etrangers. Il pense retirer un dossier de demande d’asile selon le protocole habituel. Hors, cette demande serait traitée en tant que procédure prioritaire (sympathique petite bête pondue en… 2003 bien sur ! on ne citera pas de nom).

Comme la loi le prévoit, la demande d’asile de Manuel serait donc examinée sous 15 jours maximum, sans que ce jeune puisse être convoqué à l’OFPRA. Tout recours quant à la décision rendue ne serait pas suspensif de l’arrêté de reconduite à la frontière qu’il serait susceptible de se voir délivré en cas de refus de sa demande d’asile. (Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile renvoyant à un décret la détermination des délais de saisine de l’OFPRA et de la Commission des Recours des Réfugiés). Cependant, le récit de vie du jeune homme n’est pas encore porté à la connaissance des instances de décision.

Toujours le 24 novembre, le foyer éducatif reçoit un fax du Tribunal pour Enfant confirmant l’ordonnance de placement de Manuel, en tant que mineur, ce qui, selon la jurisprudence, devrait le rendre in-expulsable car protégé.

Mardi 28 novembre, Manuel se présente sur rendez-vous, et avec une éducatrice à la Préfecture afin de déposer son dossier de demande d’asile complété. Il se voit alors questionné sur sa date de naissance. Le jeune homme maintient que selon ce qu’on lui a toujours dit, il est né en 1989. Lorsque l’agent administratif lui demande où il vit, il répond qu’il est de retour au foyer suite à la décision du Juge des Enfants et montre l’ordonnance de placement.

Une décision de Justice prévalant sur une décision de Police, Manuel est de nouveau considéré comme mineur. La procédure doit donc être reprise. Il doit ainsi constituer un nouveau dossier de demande d’asile, écrire de nouveau l’histoire de sa vie, venir encore le déposer une fois constitué, changer une fois de plus de statut.

Manuel est actuellement dans une situation insécurisante qui le dépasse et le met en danger moralement. Il tient effectivement des propos suicidaires, submergé par l’appréhension et l’incertitude quant à toute protection judiciaire ou administrative. De plus, il a investi une énergie considérable dans son projet d’insertion en fonction de « notre » mode de vie et des exigences des fonctionnements éducatif, social et administratif de « notre » pays. A son arrivée, il ne parlait pas du tout le français. A l’heure actuelle, après avoir travaillé durement tout au long de l’année, il parle couramment « notre » langue. Manuel est scolarisé depuis septembre en classe d’accueil, scolarité pour laquelle il s’est énormément investi.

L’arrestation subie le 15 novembre, les conditions de détention (aucune nourriture ne lui aurait été proposée, des propos racistes lui auraient été tenus) et leurs conséquences, ont fait resurgir l’angoisse dûe au traumatisme que ce jeune homme a subi dans son pays. Certes, il est protégé par son statut de mineur. Mais il s’agit d’une protection entre parenthèse, source de doute, de peur, de non-sens dans les projets investis…

Le contexte politique tel qu’il est (et bien pire tel qu’il pourrait devenir…) fait peser de réelles menaces sur la situation de Manuel, qui de plus, sera majeur en mai prochain. La durée des procédures de demande d’asile (1re demande et recours) a été diminuée, et de toute évidence, les chances de régularisation par ce biais sont infimes. Quant à l’attribution de première carte de séjour, les conditions de délivrance sont de plus en plus restrictives.

La notion d’immigration choisie est une absurdité. Les préfectures deviendraient-elles des agences d’intérim, participant à un écrémage élitiste et n’ayant aucune considération pour la situation réelle des intéressés ? On te prend, on t’utilise, on te jette.

Connaissez-vous la nouvelle carte de séjour portant la mention « compétences et talents » ? Figurez-vous qu’ « elle peut être accordée à l’étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et du pays dont il a la nationalité. Elle est accordée pour une durée de trois ans. Elle est renouvelable. Lorsque son titulaire a la nationalité d’un pays membre de la zone de solidarité prioritaire, son renouvellement est limité à une fois. » (Loi du 24 juillet 2006, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Rien que ça…

Pour combattre son ennemi, il faut parfois utiliser les même armes…Et bien nous sommes plusieurs à penser que Manuel, de part ses qualités humaines, la pondération qu’il amène au sein du groupe d’adolescents (de nationalité française) en grande difficulté avec lequel il vit, sa volonté d’adaptation participe au mieux être de ces jeunes fâchés avec les institutions dans leur ensemble. Poussons les choses jusqu’à leur paroxysme : Manuel ne serait-il pas en mesure de réconcilier, en partie, ces jeunes avec l’image qu’ils ont de leur vie en France ? N’est-ce pas là une bien belle contribution au « rayonnement » de ce pays ? On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a et ce qu’on est. En tant qu’éducateurs, nous intervenons auprès des personnes les plus en difficultés, dans le respect de leur parcours et de leurs potentialités. Les populations dites « défavorisées » sont surtout porteuses de stigmates. Notre rôle est d’accompagner quelle que soit l’origine sociale, culturelle ou ethnique.

Comme nombre de mes collègues travailleurs sociaux, je ne me sens pas concernée par cette élite toute désignée selon les critères d’une classe dominante dont elle ne semble plus avoir conscience de la réalité qu’elle cherche à légiférer dans ses moindres aspects. Je rencontre parfois des gens exceptionnels dans le cadre de mon travail. Pour jouer le jeu de la fashion-attitude des statistiques, je n’en rencontre pas plus dans d’autres sphères plus instruites, plus stables, plus fortunées.

Cette « élite » ne passe pas à la télévision, du moins pas à son avantage. Cette « élite » n’a pas de compte épargne. Cette « élite » ne fait pas de vernissages ni de brunchs. Cette « élite » ne fera jamais d’études supérieures. Mais elle a du cœur et des valeurs.

Une personne péoccupée par les temps qui courent, et accesoirement éducatrice.



Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document