De la vergence des luttes soixante-huitardes et dix-huitardes



Une brève « poésie » contributive à la guerre en cours

Et puisque l’époque semble soudain vouloir faire anniversaire en rejouant cinquante ans plus tard un fameux mois de mai du siècle dernier, puisque le réel, qui n’a cessé d’être relégué toujours un peu plus au loin depuis cinquante ans au moins, semble vouloir faire retour sur la scène-monde, autrement dit puisqu’en ces temps troublés la révolution refait quelque peu parler d’elle alors même que le spectacle-marchant n’en finissait plus devant ça d’annoncer sa victoire définitive, en particulier médiatiquement, il nous a semblé de quelque importance, ici, d’interroger la situation présente dans ce qui la lie ou la distingue de l’année 1968.

À dire vrai, l’évidence veut que 1968 et 2018 ne soient comparables qu’à bien peu d’égards ; comment pourrait-il en être autrement étant donnés les 50 ans qui les séparent, et ce, qui plus est, quand ces 50 ans ont vu une contre-révolution s’engager dans une marche en avant qui n’a guère rencontré d’oppositions que partielles et momentanées.
Là où sévissaient le plein emploi et les afflictions qui l’accompagnent, sévissent aujourd’hui le chômage l’intérim le « techno-travail » l’uberim et les ruines de l’âme qui les accompagnent. Là où la rue les bars les amicales et nous en passons étaient parmi les principaux lieux où s’exerçaient la palabre et d’haptiques rencontres, la télévision les réseaux sociaux et les téléphones portables ont présentement séparé les êtres au point d’en faire de simples atomes digérés dans d’infinis flux numériques, ou coagulés dans des images. Enfin, pour aller vite, là où la campagne la ville et la nature « sauvage » traversaient encore les consciences au point d’y faire demeurer quelques insignes beautés, l’industrie l’architectonique policière et la pollution sauvage, elles, frappent seulement les esprits de leurs désespérantes laideurs nihilistes ; l’événement n’est plus depuis longtemps qu’un coucou régulier géré par la domination, la festivité a remplacé la fête, et nous en sommes là.
Le tableau, pourtant, n’est pas si sombre, qui voit maintenant se dresser face à lui des résistances toujours plus nombreuses et profondes. Il n’est pas si sombre, non, ne serait-ce qu’en ceci que c’est paradoxalement sa noirceur même qui, en ayant atteint un certain paroxysme, finit par écœurer ses « ouailles » à un tel degré qu’elles commencent justement d’en devenir révolutionnaires.
Le dégoût marque le début d’un renouement avec l’être, dont les Zones A Défendre, qui n’ont cessé de se multiplier ces dernières années, sont comme une expérience active et pratique entre terre et ciel ; la poésie du vivant s’y manifeste à nouveau, et ce d’autant plus qu’au contraire des tentatives communautaires post-soixante-huitardes, qui ne furent bien souvent qu’une retraite entérinant la défaite, un refuge, les ZAD ont pour elles d’avoir été d’emblée aussi bien offensives, c’est-à-dire pour le moins des praxis ne s’en tenant pas à l’isolement. Or cette combativité, en ayant tôt fait de se trouver en affinité avec la quiétude et la beauté quotidienne d’une vie s’affirmant enfin hors du spectacle de l’avoir permanent, a su faire naître des amitiés sans pareilles, lesquelles amitiés, rencontrant dès lors une auto-organisation immanente, embrassent dans la lutte une spontanéité plus efficiente que celle que connurent les soixante-huitards ; les cortèges de tête en témoignent, et ce malgré l’armement policier sans commune mesure avec celui de la fin des années soixante qui leur fait face. Bien entendu, les « zadistes » ne constituent qu’assez rarement l’essentiel des animateurs d’un cortège de tête, mais les formes de vie qu’ils expérimentent et les actions qui en découlent ont fini par inspirer beaucoup parmi celles et ceux qui luttent, en particulier concernant le champ humain des affinités électives, au travers desquelles naissent les spontanéités nouvelles dont nous parlions plus haut, et que la belle résistance actuelle au force de l’ordre des occupants de Notre-Dame-des-Landes ne pourra manquer d’animer encore et encore.

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Le mouvement universitaire, quant à lui, ou du moins celui d’une partie de la jeunesse, si il a eu son importance en 1968 en étendant le domaine de la lutte jusqu’à son point d’embrasement révolutionnaire - en particulier par la grâce des enragés ouvrant le bal et de l’influx situationniste dans son ensemble -, a connu toutefois dans le même temps bien des difficultés a rencontrer réellement ce que chacun alors convenait d’appeler le « monde ouvrier ». Il y eut bien une grève générale, et pas des moindres, mais hormis surtout quelques jeunes parmi eux, la plupart des travailleurs, plus ou moins contenus par leurs principaux syndicats et le partie communisto-stalinien, s’en tinrent à des revendications partielles qui n’invitaient en rien à sortir du capitalisme. Revendications que les accords dits de Grenelle, quoique non adoptées par les salariés, entérineront. Or là encore la situation actuelle se distingue positivement en ceci que l’union de la jeunesse en lutte - étudiante ou non - avec le salariat semble se réaliser plus vivement qu’en 1968, sinon idéalement. Car, entre autres, le mouvement de lutte contre la loi travail du printemps 2016 l’a déjà bien montré, c’est dans l’action que se crée cette convergence, bien plus qu’à longueur de discussions qui, pour nécessaires qu’elles soient, eurent trop souvent le malheur par le passé de s’éterniser en d’inutiles combats entre idéologues de tout poils. Si cependant l’actuelle convergence des luttes ne parvenait pas à dépasser la seule défense des acquis sociaux où elle traîne encore trop largement ses guêtres, elle pourrait bientôt s’avérer plus infructueuse encore que la maigreur de son aînée soixante-huitarde, et ne pas même obtenir un « grenelle ». Une convergence authentique ne peut guère en effet se réaliser minimalement qu’en outrepassant les habituelles réclamations corporatistes, et maximalement en tendant tous ensemble vers un objectif commun nécessairement général, et par là même nécessairement révolutionnaire ; mai 68 a sans doute connu quelques jours de convergence minimale, il s’agit à présent d’inscrire une telle convergence dans la durée tout en s’acharnant à la porter à son degré maximal de conflagration, dont l’insurrection n’est qu’un moment spécifique.

Qui dit que la révolution en tant qu’elliptique n’a d’autre option qu’un éternel retour à son point d’origine veut négliger par là que rien jamais ne repasse au même endroit. Nous mouvant sur l’ellipse révolutionnaire, nous empruntons d’un même trait le chemin de l’Histoire sur lequel elle se meut elle-même immanquablement. En quoi nous commençons nerveusement de sentir que la révolution ne peut plus nous laisser consentir ni à un simple changement de pouvoir ni à nous emparer d’icelui, mais à son abolition, absolument.

Léolo, du Comité A.E.C. Le 13 avril 2018

Voir en ligne : Amour Emeute & Cuisine


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