Nous sommes quelques-unes des 15 000 personnes présentes au Pont d’Austerlitz autour des 1500 membres du « black bloc ». Si nous n’y étions pas cette fois-ci, nous y avons été lors d’autres manifestations ou nous aurions pu y être. Nous sommes dans le cortège de tête sans user de violence et nous voulons dire pourquoi nous y sommes.
Nous le disons d’abord sous le coup de l’énervement à l’écoute des commentaires après la manifestation du 1er mai 2018. Comment peut-on "célébrer" Mai 68, ses barricades, ses voitures retournées et ses lanceurs de pavés, souhaiter un Mai 2018 de luttes et s’effaroucher de ce qu’il se passe dans le cortège de tête ? Comment peut on soutenir NDDL et ses modes de vie alternatifs, José Bové et le démontage d’un Mac Do et dénoncer avec tant de hargne le saccage d’un magasin de la même multinationale devant la Gare d’Austerlitz ? Comment peut on crier à longueur de cortèges "Ou alors ça va péter" et quand ça pète pousser des cris d’orfraies ? Comment peut-on hurler contre la préfecture de police et ses oukases sur les parcours imposés et accepter de négocier avec celle-ci des itinéraires bis destinés à isoler une partie de la manifestation ? Comment peut-on se dire de gauche et avoir comme principale interpellation de l’État le regret du nombre trop faible de forces de l’ordre sur place, de fouilles, d’arrestations préventives, de flicage d’autres militants ?
Nous refusons de penser avec des évidences, des camps tout tracés, des « méchants casseurs » et des « gentils manifestants ». Nous voulons penser d’abord contre nos propres évidences. Nous sommes dans le cortège de tête et nous ne condamnons pas la violence – voire la soutenons – tout en ayant des interrogations profondes sur son utilisation. Nous sommes sur une limite, sur une crête. Nous savons que Marcelin avant hier, Valls hier, Macron aujourd’hui savent tourner à leur avantage cette façon d’agir, voire de l’utiliser pour justifier des tours de vis sécuritaires. Nous pouvons craindre que cette violence fasse tomber des hésitants du côté du rejet du mouvement social en cours. Nous n’avons pas d’illusion sur l’efficacité « militaire » d’une telle tactique toujours mise en échec par les forces du pouvoir toujours plus fortes. Nous nous méfions du virilisme de ce mode d’action, nous nous inquiétons d’une violence sûre d’elle-même et de sa légitimité, une violence qui oublierait qu’il y a une personne sous l’armure du CRS. Nous savons que la violence est un poison pour ceux qui l’utilisent, pour ceux qui la subissent, pour la communauté humaine. C’est d’ailleurs pourquoi il est bon de rappeler que la violence dans notre société n’est pas d’abord dans la rue mais dans les conseils d’administration, dans les réunions paritaires, dans les lois votées à l’assemblée nationale. Jaurès le disait déjà au début du siècle. Et elle est tellement plus présente et brutale du côté des forces de l’ordre, dans les manifestations comme dans les bavures policières dans les quartiers populaires.
Alors pourquoi sommes-nous dans le cortège de tête et qu’y faisons-nous puisque nous ne lançons pas de projectiles et ne brisons pas de vitrines ?
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