La sécurité d’un monde qui s’écroule



« Après une soirée de ce type, de nombreuses personnes ont dit "plus jamais tous ensemble dans la rue". L’idée de ne plus pouvoir vivre un grand événement collectivement est une défaite pour tout le monde, et peut-être notre devoir devrait justement être celui de ne pas céder à la résignation. »

Suite à l’attentat de Strasbourg mardi soir, tous les médias rabâchent en boucle les appels au calme des principaux dirigeants du pays.
Bien sur nous ayons vu la détermination à ne rien lâcher de la plupart des Gilets Jaunes, mais nous avons aussi lu le doute et la peur s’insinuer.
Nous avons alors repensé à ce très beau texte, La sécurité d’un monde qui s’écroule, initialement écrit par des italiens de Qui e Ora, et traduit par lundiMatin en juillet 2017.

Il a été écrit après un mouvement de panique survenu le 3 juin 2017 à Turin, lors de la finale de la Ligue des champions de football, suite à des rumeurs d’attentats sur la place où les supporters regardaient le match, provoquant 1500 blessés.
Vous pouvez le lire en intégralité sur lundiMatin.


Gouvernement de la peur et illusion sécuritaire

D’un côté, les médias, avec leur discours obsessionnel sur le terrorisme, ont alimenté et continuent d’alimenter la psychose. Du reste, ce n’est sûrement pas une nouveauté que la société du spectacle, à travers le perpétuel bombardement de stimuli, agit sur la formation d’une pensée commune. À force d’en parler, c’est comme si le terrorisme était déjà là. Le paradoxe est qu’en Italie, pour le moins jusqu’à maintenant, en réalité il n’y a jamais eu d’attentats de ce type [Ndt : du moins pas depuis les attentats fascistes des années 70 et 80].

De l’autre côté, c’est aussi vrai que le terrorisme est une menace réelle. La contemporanéité entre les faits de Turin et les attaques de Londres doit faire réfléchir. La multiplication des différents attentats qui se sont succédés ces deux ou trois dernières années en Europe a produit des effets sacrément concrets : des milliers de blessés et des centaines de morts. Donc oui, en quelque sorte nous sommes attaqués, et nous ne pouvons pas ne pas nous sentir impliqués. Les cibles ne sont pas les politiciens ou les patrons, mais bien nous. Que cela nous plaise ou non, nous devons assumer cette réalité gênante. Dans l’imaginaire commun la sécurité est devenue un besoin concret, qui nécessite des réponses tout aussi concrètes.

Pour leur part les gouvernements, avec leurs propres modalités, essayent de donner ces réponses. Des militaires dans les rues, des rafles dans les quartiers, des contrôles au faciès sont désormais acceptés comme les seules réponses possibles. Quand la peur règne, quand on se sent impuissant face au danger, on est disposé à tout sacrifier ou presque au nom de l’ordre, et l’état de police est ainsi invoqué. En ce sens, la peur même est devenue une stratégie de gouvernement. Mais cette stratégie naît tronquée. À Turin, par exemple, le dispositif déployé dans la rue voulait précisément être une réponse à ce type d’anxiété. Personne ne pouvait remettre en question la nécessité des contrôles à l’entrée de la place, les fouilles étaient plus que compréhensibles, l’interdiction des bouteilles en verre avait une raison d’être. Il est pourtant tout aussi évident que tout ce dispositif, quoi qu’en disent le chef de la police, le préfet et le maire, n’a absolument pas fonctionné. Au contraire, dans certains cas, en raison de son inefficacité, il a même empiré la situation. Les contrôles à l’entrée se sont révélés être des obstacles au moment de la fuite, les haut-parleurs au lieu de ramener le calme ont provoqué l’effet contraire, on ne pouvait pas entrer sur la place avec des bouteilles en verre pour ensuite se retrouver à les acheter aux bars et aux vendeurs ambulants à l’intérieur de la place.

L’intérêt principal de la question est pourtant ailleurs. Le risque ne peut jamais être intégralement éradiqué. Même si le dispositif mis en œuvre s’était révélé parfait, la liste des éventualités se serait néanmoins avérée infinie. On ne peut même pas imaginer une mise en sécurité absolue d’un événement, ou plus généralement d’une métropole.

Et nous ?

Cette habitude qui consiste à toujours déléguer au pouvoir et qui est typique de la société occidentale et de la démocratie représentative, a fini par complètement déresponsabiliser les gens. Si sur la place il y avait eu le sens commun d’une puissance, ou même seulement un groupe compact de 30 personnes, peut-être que les choses auraient pu se passer différemment. Parmi les premières hypothèses qui ont circulé ce soir-là, il y avait celle d’un attentat au couteau. Si cette hypothèse s’était révélée vraie, il aurait probablement suffit d’un peu de responsabilité collective et d’un peu de courage pour s’occuper du problème. Au contraire, dans la passivité de la délégation, en l’absence de liens de confiance, dans la société de l’individu atomisé, la fuite reste malheureusement le choix le plus compréhensible.

Après une soirée de ce type, de nombreuses personnes ont dit « plus jamais tous ensemble dans la rue ». L’idée de ne plus pouvoir vivre un grand événement collectivement est une défaite pour tout le monde, et peut-être notre devoir devrait justement être celui de ne pas céder à la résignation. Nous ne sommes pas en train de dire que nous pouvons donner du courage au monde entier, mais que peut-être nous devrions assumer de le faire au moins à l’intérieur des espaces d’autonomie que nous sommes en mesure de nous octroyer.

Nous aussi, nous nous sommes sentis découragés en assistant à la fuite générale où chacun pensait exclusivement à sauver sa peau sans trop s’occuper des autres. Pourtant, à bien regarder, la solidarité n’a pas été complètement absente. Il faut lutter contre le discours selon lequel l’échec de cette « société » coïncide avec la fin de toute relation humaine possible. Quelqu’un s’est arrêté pour aider les autres : si l’enfant gravement blessé n’est pas mort c’est parce qu’un jeune homme s’est préoccupé de le porter, certains restaurants ont ouvert leurs portes, certaines familles se sont retrouvées grâce à l’aide d’autres personnes. Et c’est cela la donnée la plus importante, celle sur laquelle il faut maintenant essayer de construire.

La sécurité est une nécessité, la solidarité devrait être sa forme. Cessons de penser qu’il s’agit d’un faux besoin, ou de quelque chose par nature réactionnaire, parce que le problème aujourd’hui est plus réel que jamais. Et si nous ne voulons pas rester écrasés par les ruines de ce monde, nous devons en prendre acte. Commençons à en parler.

Quelques camarades présents Piazza San Carlo



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