Réflexions à propos de la ZAD : une autre histoire



Un regard en arrière un an après les expulsions et un texte pour éviter que les victoires communes prennent un gout amer.

Note de l’équipe de modération : Ce texte est une contibution aux discussions à la fois passionnées et polémiques autour de la situation après-abandon du projet d’aéroport sur la Zad de Notre Dame des Landes. D’autres textes on été publiés, on les retrouve sur le site sous la thématique ZAD.

J’ai écrit ce texte au printemps 2019. Il était en anglais, pour un public anglophone, parce qu’il n’y avait presque pas d’information disponible, et j’étais fatiguée de répondre toujours cette même question : « Mais merde, qu’est-ce qu’il s’est passé ? ». C’était aussi douloureux d’en parler, il me semblait plus simple d’avoir quelque chose d’écrit et partageable. J’ai été longtemps opposée à sa traduction, car il était simplifié et écrit pour des personnes qui ne comprennent pas le contexte en France ni sur la ZAD. J’aurais écrit quelque chose de très différent en français, avec plus d’analyses sur les rôles des différentes composantes, et des groupes qui ont existé sur la ZAD. J’espérais et j’espère toujours que quelqu’un.e va écrire ce texte. Mais évidemment, d’autres sont toujours en train d’essayer de réécrire l’histoire, je ne devrais pas en être surprise, leur franchise [1] dépend de ces mensonges. C’est cette réécriture de l’histoire qui m’as motivé à publier une traduction.

Je suis arrivée sur la ZAD début 2010 cherchant un endroit pour pouvoir prendre de la drogue dans les bois. J’étais au début de ma vingtaine, intéressée dans la radicalité politique mais plutôt investie dans des associations environnementales. À ce moment, il devait y avoir dix ou quinze personnes qui vivaient là, réparties dans quelques maisons. Nous passions beaucoup de temps en réunion à boire du thé avec les voisin.e.s, tout le monde parlant en français (que je ne comprenais pas).

J’attendais des luttes anarchistes quelque chose de plus excitant. À peu près une semaine plus tard, j’ai eu une longue conversation avec un nouvel ami qui me montra un autre chemin que la politique traditionnelle dans laquelle j’étais investie.
Je me plaignais de la frustration que cela provoquait de passer son temps à faire du démarchage téléphonique pour demander à des gens de contacter leurs députés, sachant qu’iels ne le feraient sans doute pas, et que même si c’était le cas, ces députés ne se souciaient que d’argent et de pouvoir, ce dont notre petite association ne disposait pas. Il répondit que toutes ces lettres allaient directement à la poubelle.Le gouvernement n’avait pas besoin de les prendre en compte. Il disait que ce que les gens faisaient sur la ZAD, c’était mettre leur vie et leur corps en jeu, contre l’aéroport et le concept d’aménagement et pour l’auto-détermination de la communauté. Iels ne pouvaient donc pas être mis.e.s de côté ou ignoré.e.s. En habitant là, en jardinant là, en faisant du vélo pour aller voire des ami.e.s et boire du thé avec elleux,les occupant.e.s étaient vigilant.e.s en cas de chantier et pouvaient l’interrompre immédiatement peu importe quand il commençait. Les avancées du projet devaient tenir compte des personnes sur place.Habiter là obligeait le gouvernement à s’engager dans le conflit.Je n’avais jamais entendu parler « d’action directe », mais j’étais convaincue. Cette nuit là, je décidais que je resterais jusqu’au bout.

En 2010, les objectifs étaient de ralentir le projet en utilisant une combinaison de mobilisation, de stratégie légale par des locaux, et de sabotage, et de rendre le projet le plus cher et embarrassant possible.Au lieux d’écrire des lettres, nous allions fermer des bureaux et des conférences. Squatter et apprendre à réparer des vieilles maisons,construire des villages au sommet des arbres et une radio pirate,habiter ensemble et gérer les problèmes collectivement - tout cela était bien plus engageant que de travailler dans un bureaux. En un jour,nous pouvions nous occuper de patates avec des locaux dans un jardin collectif squatté, faire du soutien légal pour sortir quelqu’un.e de prison, et souder une remorque de vélo pour l’usage collectif.Je me rappelle une conversation sur le toit d’un van à propos de nos espoirs pour la lutte de la ZAD. Un ami d’Angleterre disait, « J’espère que l’état n’annulera pas l’aéroport juste parce qu’il perd au tribunal.J’espère qu’un jour cela devienne impossible politiquement pour eux de le construire, parce qu’il y a tellement de personnes ici qu’ils ne le peuvent simplement pas, même s’ils envoient les militaires ». Nous riions, ce scénario était presque trop ambitieux à imaginer.Constamment impressionnée par l’ingéniosité, la confiance et les ressources des personnes autour de moi, j’avais l’impression que les possibilités de création et de résistance étaient presque sans fin.

Qu’est-il arrivé à la ZAD ?Il y a beaucoup de confusion dans le monde anglophone sur ce qu’il s’est passé au printemps dernier, et surtout pourquoi des personnes ontchoisit de négocier avec l’État et de signer des contrats. Mon intention n’est pas de justifier les décisions qui ont été prises, mais de parler des facteurs qui ont modelé le processus de décision. Les vulnérabilités des anarchistes et des anti-autoritaires ont été utilisées contre elleux par celleux qui sont devenu.e.s de plus en plus réformistes dans leur collaboration avec les groupes citoyennistes. La ZAD offre une étude intéressante sur la façon dont des tendances autoritaires émergent, se développent, et sapent des situations potentiellement révolutionnaires.Comme cela a pris place sur une échelle relativement grande, il est possible d’identifier des schémas qui peuvent être ignorés comme de simples « conflits interpersonnels » dans d’autres cas.Ce texte tisse ensemble des réflexions personnelles sur ce qu’il s’est passé sur la ZAD avec des analyses des dynamiques au sein de l’occupation et du mouvement anti-aéroport. Mon intention est de tirer des leçons des changements qui sont survenus au cours des plus de 8ans où j’ai habité là bas et qui ont pris de l’importance pendant les expulsions du printemps 2018. Si nous voulons être rusé.e.s et efficaces dans le futur, cela demande un récit honnête - pas juste la construction d’un mythe ou de propagande. J’espère que ces réflexions pourront ouvrir la voie à plus de critiques pertinentes.C’est tentant de construire des justifications politiques à des décisions passées ; mais je ne pense pas que nous devrions glorifier le chemin vers la légalisation comme un modèle victorieux que d’autres devraient suivre.L’État a joué un rôle important dans le renforcement des divisions pré-existantes ; la répression a souvent été dirigée vers des groupes politiques spécifiques afin de monter les gens les un.e.s contre les autres. Ces type de tactiques contre-insurectionnelles sont très simples : se concentrer sur le groupe le plus isolé et convaincre le reste du mouvement que tout.e.s les autres seront épargné.e.s s’iels se dissocient de celleux-ci.

La conséquence est que le groupe le plus isolé éprouve la violence de la répression en même temps qu’il est abandonné par les autres. : un processus qui nourrit l’aigreur et le ressentiment d’un côté, la culpabilité et l’auto-justification de l’autre. Quand l’État se déplace vers la prochaine cible, il y a moins de soutien pour les groupes restants à cause de leur dissociation passée.La répression et la guerre psychologique ont aussi affecté le processus de décision sur la ZAD. La pression ajoutée a aggravé les tensions politiques pré-existantes. Beaucoup des décisions prises en 2018 étaient basées sur la peur : peur de perdre la ZAD comme base, peur qu’une personne soit tuée par la violence policière intense, peur que les maisons et terres dont nous dépendions soient détruites.Par exemple, la préfète a publiquement répété que seules les maisons près de la route à l’Est de la ZAD seraient expulsées et elle a étiqueté leurs occupant.e.s de dangereux.ses radicaux.les. C’est arrivé dans le contexte où le mouvement détruisait les maisons sur la route des chicanes (D281), comme un geste de « bonne foi » pour ouvrir les né-gociations avec l’État, et au moins trois personnalités ont fait des déclarations publiques qu’iels ne soutiendraient ou ne défendraient pas les personnes vivant près de la D281, ni leurs maisons.

Avec le temps, les objectifs et priorités des participants ont changé et le but commun devint moins clair. L’objectif du mouvement anti-aéroport était d’arrêter le projet et d’avoir un certain niveau de protection légale pour la ZAD, mais au sein des personnes qui occupaient le territoire, il y avait trop de divisions politiques pour arriver à un objectif commun. Le slogan « contre l’aéroport et son monde » a servi comme un raccourci pratique au début de l’occupation, rendant possible d’exprimer une critique du système en peu de mots. Le « et son monde » était une des bases de l’occupation,bien qu’il puisse signifier des choses différentes selon les personnes.Les expulsions d’Octobre 2012 n’ont pas juste transformé le paysage en détruisant des maisons et des infrastructures. L’intensité de ces moments, combinée avec le soutien massif et la couverture médiatique ont fondamentalement changé la lutte. Des nouvelles amitiés et alliances ont émergées ; des nouvelles personnes se sont installées, de groupes politiques très organisés à des personnes qui étaient venues pour simplement se battre avec les flics et avoir un endroit où se poser.La population de la ZAD a doublé ou triplé en quelques mois, avec une division entre celleux étiqueté.e.s « intellectuel.le.s bourgeois.e.s » et les autres appelé.e.s « schlags ». Il y eu d’autres nouvelles arrivées,mieux organisées et avec plus de ressources, mais qu’iels gardaient surtout pour elleux dans l’Ouest de la zone, tissant des liens avec les paysan.ne.s.

Une fois que l’occupation militaire a cessé et que l’ennemi commun était parti, il y eu beaucoup de conflits internes,principalement autour des rapports de classe. Cela a contribué à ce que beaucoup d’occupant.e.s concentrent leur attention sur l’intérieur,avec comme conséquence moins d’actions et d’attaques. Au même moment, la focalisation de la lutte se tourna vers l’agriculture. Le changement dans la démographie, en même temps que le désir de certain.e.s occupant.e.s à plus de pouvoir et de légitimité, a conduit à viser au démantèlement des groupes existants et à la construction d’un front uni comme objectif politique principal.

Une des choses les plus incroyables à propos de la ZAD après les expulsions de 2012 était la façon dont toutes les identités ont glissées :il y avait des squatters cultivant et des paysans ouvrant des squats.Même les Verts ont ouvert un squat. Pendant cet âge d’or, les personnes prenaient des positions en se basant sur la résolution du problème plutôt que l’allégeance à un groupe.Plus tard, les gens ont commencé à s’installer dans des positions ; des groupes comme COPAIN, le CMDO, les comités de soutien locaux, et d’autres.

En 2014, un groupe précurseur du CMDO a cherché des leaders de différents groupes locaux et citoyens pour planifier ensemble une manifestation massive à Nantes, avant de la présenter à l’assemblée du mouvement. Un ancien membre explique que c’était la première fois que les groupes citoyens trouvaient des représentant.e.s qui pouvaient leur offrir une prise au sein de l’occupation ; jusque là, l’occupation priorisait l’organisation horizontale, faisant échouer les tentatives de représentation et faisant tourner les rôles dans la relation avec les locaux et les groupes citoyens. C’est ce que les leaders des groupes citoyens avaient cherché depuis longtemps : d’autres leaders avec qui communiquer pour s’organiser « plus efficacement ». Sans ça, iels n’avaient pas plus de prises que quiconque dans l’assemblée du mouvement. Ouvrir des canaux de communication entre leaders de groupes a court-circuité l’aspect ouvert de l’assemblée du mouvement,pavant la voie vers l’émergence d’alliances exclusives. Ces « amitiés stratégiques » ont créé le contexte qui a amené certain.e.s squatters à décider de s’associer avec les paysan.ne.s et les citoyennistes contre les squatters de la route et leurs soutiens en Janvier 2018.Il y a pléthore de textes dédiés à la critique du CMDO et de leurcamarades « appelistes ». Le but n’est pas de se focaliser sur un groupe, qui peut changer de nom et de forme, mais d’apprendre à identifier et confronter les tendances autoritaires d’où qu’elles émergent.
Je les nommerais quand c’est nécessaire pour être claire parce qu’il serait incomplet de les écarter de l’histoire, mais je ne me focaliserais pas ici sur une tendance politique particulière.« Composition » a souvent été traduit en « coalition » (NdT : dans lemonde anglophone).
Cela a contribué à la confusion autour des termes. Le mot « coalition » existe aussi en français, définit par le dictionnaire Larousse comme « Alliance militaire et politique conclue entre plusieurs nations contre un adversaire commun ». Il y a une différence entre « coalition » et « composition » : une coalition implique des groupes avec des méthodes et des buts clairement différents faisant une alliance temporaire pour combattre un ennemi commun,alors que la composition décrit des groupes avec des méthodes et buts différents essayant de créer une unité basée sur ce que tout le monde peut accepter.Dans la pratique « ce que tout le monde peut accepter » signifie souvent la possibilité la moins menaçante - par exemple, faire une manifestation sur la ZAD plutôt qu’à Nantes, où elle pourrait représenter une menace pour les lieux de pouvoir.
Toutes les composantes - COPAIN, l’Association des Citoyens Impacté par leProjet d’Aéroport (ACIPA), l’occupation, etc. - de ce fait entrent dans cette composition plus large, mais comme un sous-ensemble de cette unité, de fait subordonnées à celle-ci. Vous pouvez lire une critique plus détaillée de la logique de composition sur la ZAD dans « QuandLama Fâché, Lama Cracher ! ».
Il y a toujours eu un aller retour plutôt sain entre les squatters et les citoyennistes au sein du mouvement. En 2011, il y avait une action réussie presque tous les mois ; en 2012, l’ACIPA a organisé plusieurs mobilisations larges avec succès. Comme il arrive souvent quand des personnes différentes s’associent pour combattre un ennemi commun,il y avait des désaccords sur les tactiques, avec des groupes condamnant les actions des uns et des autres dans les médias et des désaccords sur la façon de s’organiser et prendre des décisions.

Début 2014, il y eu une scission quand une manifestation de 60 000personnes à Nantes, coorganisée par les squatters de la ZAD et d’autres groupes du mouvement tourna à l’émeute. La coord (la« Coordination des opposants » du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une coalition créée en 2003) et l’ACIPA refusèrent de coorganiser des manifestations à Nantes après celle-ci,et il y eu beaucoup de méfiance et de réticence à organiser des évènements en commun qui pourraient devenir confrontationnels et de ce fait perdre le soutien des citoyennistes. Cela a augmenté la fréquence des manifestations sur la ZAD, comme « la Marche des bâtons » en Octobre 2016. Avec le temps, les squatters ont été poussé.e.s encore plus vers les citoyennistes, avec l’aide des réformistes au sein du mouvement d’occupation, qui se présentaient elleux-même comme les représentant.e.s légitimes aux autres composantes et à l’état.

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