Incendie à Notre-Dame, réactions à chaud



Nous avons profité d’une flannerie sur les quais de Seine lors d’une nuit de printemps éclairée par le brasier ardent de la dame de pierre pour interroger quelques illustres passants.

Des journaux serbes parlent de punition divine en réponse au fait que la France ait reconnu l’indépendance du Kosovo ; deux abrutis de l’UNEF créent le scandale en déclarant qu’ils s’en tamponnent de Notre-Dame ; on accuse Macron d’avoir commandité l’incendie pour se défiler au moment de son allocution ou pour porter l’estocade au mouvement des Gilets Jaunes ; on va jusqu’à imaginer une manipulation de la franc-maçonnerie pour mettre en place une guerre civile ; des élus n’ayant pas froid aux yeux parlent d’un 11 septembre français ; musulmans, juifs, franc-maçons, gilets jaunes,… les boucs-émissaires ne manquent pas. L’incendie de Notre-Dame de Paris aura suscité un sacré éventail de réactions. Quelques amoureux pleurent, certains étriqués se réjouissent, des entrepreneurs s’organisent. Scandale honteux, les grands financiers sont capables de débourser des centaines de millions d’euros en une nuit pour radouber l’échine d’un monument national. Cela alors qu’ils entretiennent la misère sociale qui fait que tous les samedi depuis cinq mois des centaines de milliers de personnes se mettent en jeu face aux forces de leur ordre, avec l’espoir de leur arracher quelques gestes de largesse.

C’est l’occasion pour nous de récolter quelques réactions à chaud d’illustres témoins sur leur perception du plus emblématique des vaisseaux de pierre européens.
Commençons par Victor Hugo, qui voit en l’incendie un surgissement fantastique :

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté
sur les ténèbres de la façade inférieure. A mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi ré-
veillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher, comme une chauve-souris devant une chandelle. »

Et il twitte dès le lendemain matin :

« Notre-Dame est aujourd’hui déserte, inanimée, morte. On sent qu’il y a quelque chose de disparu. Ce corps immense est vide ; c’est un squelette ; l’esprit l’a quitté, on en voit la place, et voilà tout. » [1]
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Apollinaire, lui, est envoûté et comme pétrifié il déclare :

« Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé. » [2]

Théophile Gautier se fait un peu plus mystique :

"Comme, pour son bonsoir, d’une plus riche teinte,
 Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,
 Ébauchée à grands traits à l’horizon de feu ;
 Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,
 Semblent les deux grands bras que la ville en prière,
 Avant de s’endormir, élève vers son Dieu" [3]

Au petit matin c’est Aragon qui chante :

« Qui n’a pas vu le jour se lever sur la Seine,
Ignore ce que c’est que ce déchirement,
Quand prise sur le fait la nuit qui se dément,
Se défend se défait les yeux rouges obscène,
Et Notre-Dame sort des eaux comme un aimant. » [4]

Gérard de Nerval, confiant en l’avenir, invoque la reconstruction :

« Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
-* Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! » [5]

Trotsky profite de l’événement pour se confier à nous :

« Inviolable, Notre-Dame vous remplit d’admiration chaque fois que vous apercevez "par hasard" cette création des mains de l’homme. Marinetti, le braillard futuriste italien, veut débarrasser la surface de la terre de toutes les cathédrales et de tous les musées, afin de préparer la voie aux nouvelles formes d’art de l’avenir. L’artillerie est en train de réaliser une partie de ce programme de démolition. Il ne fait aucun doute qu’après cette liquidation, qui n’est toutefois pas menée selon les principes de l’esthétique futuriste, va commencer un nouveau chapitre de l’histoire humaine, et, par suite, un nouveau chapitre de l’histoire de l’art, l’art n’ayant jamais eu de nouveaux chapitres indépendants. La distance historique qui séparera l’humanité de l’avenir, lorsqu’elle se retournera sur elle-même après la guerre, et ce Moyen Age qui a trouvé une expression si parfaite dans les arches de Notre-Dame, se sera accrue, sans conteste, infiniment. En dépit, ou plutôt à cause de cela, l’humanité, capable de créer de nouvelles formes de vie et d’art, pansera toutes les plaies supportées par les vieilles cathédrales et les vieux musées… Il est bon que Notre-Dame existe. » [6]
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Il ne fallut pas moins qu’un tel événement pour qu’une bande d’agitateurs lettristes viennent provoquer le scandale en clamant sur la chaire au milieu des ruines :

"Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte
Ici, dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de Paris,
J’accuse
l’Église Catholique Universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide ;
J’accuse
l’Église Catholique d’escroquerie ;
J’accuse
l’Église Catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire,
d’être le chancre de l’Occident décomposé.
En vérité je vous le dis : Dieu est mort.
Nous vomissons la fadeur agonisante de vos prières,
car vos prières ont grassement fumé les champs de bataille de notre Europe.
Allez dans le désert tragique et exaltant d’une terre où Dieu est mort
et brassez à nouveau cette terre de vos mains nues,
de vos mains d’orgueil,
de vos mains sans prière.
Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte,
Ici, dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de France,
nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’Homme." [7]

Un dernier mot de ce bon vieux Victor qui nous rappelle que :

« Les plus grands produits de l’architecture sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales ; plutôt l’enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie. » [8]

Et pour un témoignage un peu plus actuel, lisez Sauvons la cathédrale du coeur.



Notes

[1Victor Hugo, Notre Dame de Paris, 1831

[2Guillaume Apollinaire, Zone, 1912

[3Théophile Gautier, La comédie de la mort, 1838

[4Aragon, Le Paysan de Paris, 1926

[5Gérard de Nerval, Odelettes, 1853

[6Léon Trotski, Carnets

[7Quelques membres du mouvement lettriste (Michel Mourre, Serge Berna, Ghislain Desnoyers de Marbaix et Jean Rullier) commettent un acte d’agitation anticléricale connu sous le nom de Scandale de Notre-Dame le 9 avril 1950 durant la messe de Pâques à la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

[8Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831

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