Tout le monde vient à Chalon dans la rue.
C’est une fête populaire, on le voit dans les rues, devant les spectacles, à la manière dont les voitures débordent sur la ville faute de place dans les parkings.
Le rôle des organisateur·ices du festival est que ce petit monde cohabite pendant cinq jours et que, chacun·e, en prenne plein les mirettes. Ça sert à ça l’art de rue.
Lundi après-midi, après une semaine intense de festivités, un calme inquiétant retrouve la ville et laisse apparaître un arrière-goût amer.
En retraçant le weekend, les morceaux se recollent. Une soirée (le samedi) et les présences ultra-viriles du dancefloor à la police, Cours de l’école de l’est. On se raconte une scène d’intimidation policière inédite jusque là. On se raconte les propos des agents de police municipaux après une tentative d’arrestation ratée, et les gaz lacrymo au milieu d’un cortège festif spontané, (le dimanche) à la fin du festival. À Chalon, c’est si rare.
La rumeur qu’un viol ait été commis dans la nuit de vendredi à samedi se confirme et on observe en conséquence une présence policière de plus en plus importante.
Du côté des organisateur·ices, avec comme seules alliées (ou presque) : les forces de sécurité privées et publics, on constate une volonté affirmée de se former et d’accompagner les victimes de violence.
On comprends aussi qu’après des mois de mouvements sociaux, les forces de l’ordre ne sont pas les bienvenus dans les Cours (lieux de fête du festival). Leur présence dans les rues est plus souvent la cause des heurts que leurs remèdes.
Nous sommes quelque un·e·s à nous être retrouvé·e·s à l’issue du festival, nous : habitant.e.s, militant.e.s, artistes vivant à l’année à Chalon et traversant le festival sous la casquette de spectateur.ices. Nous décidons de proposer ce récit non chronologique : une traversée fulgurante de Chalon-dans-la-rue à travers nos regards vigilants. Nous y retraçons certains événements marquants du festival sous forme de récit ou encore d’exutoire. Nous mettons en avant des initiatives stimulantes... et aussi des zones d’ombre. Nous choisissons ici d’écrire pour tenter d’éclairer cet espace dans lequel rumeurs, faits et émotions s’entremêlent.
SAMEDI SOIR – COMME UNE BAMBA TRISTE – DEFINITIVEMENT ?
Samedi soir, ça danse Cour de l’Est ! (La cour du festival destinée aux pro pendant la semaine s’ouvre en soirée pour accueillir du public). On s’attend à passer un bon moment, à se défouler sur le son et profiter de la fête. Le ressenti est tout autre. On se retrouve dans une cour vide de présences rassurantes. Les serveur·euses au bar sont débordé·e·s, les personnes gérant la cour sont difficilement identifiables.
En quelques minutes il ne reste sur la piste de danse que des hommes virils et oppressants aux comportements agressifs. Certains sont torses nus. Les seules personnes qui y résistent finissent par se faire insulter ou bousculer.
Au coin du bar, près de la sortie, une dizaine de policiers de la bac, des vigiles et d’autres hommes sans aucune identification font le piquet. À l’extérieur, des policiers municipaux bombent le torse au milieu de la chaussée. Ces présences intimidantes nous interrogent et un peu plus tard : deux hommes racisés se font contrôler de l’autre côté de la rue. Les quatre hommes qui procèdent au contrôle ne portent ni brassard ni matricule. Aucun élément visible ne permet de les identifier. Se voyant observés ils ordonnent aux témoins de s’éloigner et de ne pas se mêler de la situation. La question est posée : Qui êtes vous ?
Jeans, t-shirts et mitaines coquées, bombes au poivre à la taille et petit carnet de note où ils relèvent les identités des deux personnes contrôlées, mises à l’écart. La question est posée une seconde fois : QUI ÊTES VOUS ?
L’un d’eux hausse le ton. Il faut maintenant faire taire et écarter les témoins ayant relevé l’anomalie. Cette opération ne se fait pas dans des conditions légales, un point sensible est touché.
La rue est presque vide et il y a peu de monde pour tenir tête à ce groupe d’hommes déterminés à faire leur loi. Une personnes assistant au contrôle passe alors un appel à d’autres festivalièr·e·s au loin : « Revenez ! Il se passe quelque chose d’anormal... nous avons besoin de monde ! Il faut rester ici... ». Cette annonce provoque la colère d’un des hommes aux mitaines. Il agresse verbalement et physiquement la personne ayant passé l’appel - « Mêle toi de ce qui te regarde ! Dégage d’ici ! T’es avocate ? ».
D’autres témoins s’interposent et essaient de mettre de la distance entre les groupes afin de calmer l’ardeur des quatre hommes. Une équipe de policiers municipaux et quelques hommes de la bac arrivent. Sans chercher à comprendre la situation, ni ce qui oppose ces hommes gantés aux festivali·ères, ils ordonnent aux témoins d’évacuer la rue. Des explications sont demandées aux force de l’ordre : « Nous sommes témoins d’un contrôle d’identité illégal. Nous voulons savoir ce qu’il se passe... voir les matricules... savoir qui sont ces hommes. »
Leur complicité est flagrante. Des policiers en uniformes, les insultes et les moqueries se suivent - « N’appelez pas le 17, ça ne servira à rien », « Déchet », « Indésirables », « Islamogauchiste », « LFI de merde ». Les idées s’amalgament avec un argument pour unité : « On va rétablir l’ordre nous. On fait ce qu’on veut ici ! On est chez nous. ». Pendant cette démonstration d’autoritarisme et de violence, les deux personnes contrôlées sont emmenées plus loin par des policiers en uniforme. Pour ne pas les laisser seuls avec ce groupe d’homme tenant ouvertement des propos racistes et autoritaires, l’une des témoins du contrôle décide de les suivre. Les policiers tentent de l’en empêcher, l’un d’eux la pousse et hurle « On est chez nous ici ! »
Sur le parking où les deux hommes ont été mis à l’écart, la milice se reconstitue. La pression physique et les insultes à destination des témoins reprennent. Maintenant, un groupe d’une quinzaine de festivali·ères est présent en soutien. La supériorité numérique des force de l’ordre est ébranlée. Le nouveau groupe affirme clairement sa position : iels ne partiront pas d’ici avant que les deux personnes contrôlées soient relachées.
Ils le sont finalement quelques minutes plus tard, mais les sentiments de vulnérabilité et d’humiliation sont partagés par la foule. Impuissante face à un groupe d’hommes violent ouvertement fascistes sous la protection rapprochée de la police municipale chalonnaise. Ces questions restent sans réponse : Qui étaient ces hommes en civil opérant un contrôle au faciès dans la rue, humiliant publiquement deux personnes, faisant preuve de violence sur deux autres qui tentaient de prendre la défense des premières ? Une milice d’extrême-droite ? Des FDO n’étant pas en service ce soir-là ? Et qui compose les rangs de la police municipale chalonnaise ? Ce soir-là, ce sont des silhouettes chargées de testostérone appliquant sous leurs uniformes des idéaux d’extrême droite.
Contre cela ? Allumer une enceinte, danser, se sourire, s’amuser et partir en groupe animer les rues d’autres choses que ce vent aux odeurs nauséabondes. Les festivalièr·es repartent la tête haute, les poings serrés, levés haut, fort. Augmenté à chaque coin de rue par ceux et celles qui passent par là, le cortège se renforce, la rue est à nous !
TABLE RONDE SAUVAGE – ON VIENT DLA RUE PAS DU COURS FLORENT
Avant ce week-end acabradantesque, autour d’un petit déjeuner dans un coin de hangar, une quarantaine de personnes, principalement des compagnies œuvrant dans le secteur des arts de la rue et de l’espace public, tentent d’inventer de nouvelles règles du jeu.
« Comment se fait-il que nos propositions, nos déambulations principalement, soient sans cesse les dernières roues du carrosse des programmations ? »Trop compliqué à accueillir, trop d’arrêtés à prendre, trop compliqué de devoir cadrer systématiquement des formes de spectacle qui justement cherchent ce qui est encore libre et vivant dans l’espace public.
Plusieure idées, ressortent, en plus de celle d’un manifeste, mode d’emploi pour organisateur·ices en détresse.
- Un label, ou plutôt notre label : marre d’être sans cesse mis.e.s de côté, c’est à nous d’exprimer qui tient la route ou pas du côté des programmateur.ices. L’idée c’est d’inverser les rapports de pouvoir, ça peut paraître impertinent, mais de toute façon, on a plus rien à perdre, alors autant se marrer. On pourrait faire un appel à projets auquel les structures de diffusion pourraient postuler pour pouvoir accueillir nos projets, et si leur dossier est sérieux, si on se sent en confiance, alors peut être qu’on pourra venir jouer dans leur festival.
- Assumer : dans un des deux groupes qui réfléchit à des actions concrètes, on parle d’assumer nos pratiques pirates (représentations sauvages, gestion du voisinage, de la circulation en direct, etc...). A un moment, il va falloir assumer d’être des expert.e.s, on sait ce qu’on fait, on le fait à la marge et globalement, on gère, on prévient, c’est ce qui fait que la prise de risque est un moteur dans nos créations, mais aussi dans la manière de les montrer au public.
- Des actions sauvages, imprévues, impromptues qui viennent mélanger art et politique, voilà ce qu’on veut. On a qu’à se donner plusieurs rendez-vous dans l’année, à Chalon, Aurillac, mais aussi dans de plus petits festivals. Chacun apporte du matériel, et on improvise, on apprends en faisant ensemble, on prouve que c’est possible de continuer à créer librement, simplement dans la rue, work in progress...
Au moment où nous écrivons ce texte, il nous semble important de venir proposer d’autres perspectives à cette table ronde sauvage au regard des agressions sexuelles qui sont venus ternir cette édition du festival.
Cette année, on a pu observer du côté des organisateur·ices que face aux agressions dans des spectatrices ont été vitcimes, iels se sont retrouvées débordées avec comme seules alliées (ou presque), les forces de sécurité privées et publics. En parallèle, on constate une volonté affirmée de se former et d’accompagner les victimes de violence. On a aussi constaté qu’après des mois de mouvements sociaux marqués par la répression, les forces de l’ordre n’étaient pas bienvenues dans les cours (lieux de fête du festival), ni dans la rue : leur présence étant plus souvent la cause des heurts que leur remède.
Samedi, la rumeur qu’un viol ait été commis la nuit passée se confirme et on observe en conséquence une présence policière de plus en plus importante.
Comment se positionner en tant de compagnies face à cette mécanique répressive systémique ? As t’on envie de participer à des festivals où les forces de l’ordre sont en roue libre ? Et la question des agressions sexuelles, qui va s’en occuper dans le fond ? Pourquoi accepter de participer à cette grande fête si elle ne nous ressemble pas ? Et si on s’emparait de toutes ces questions ?
Prenons pour exemple la manière dont les collectifs artistiques (ils gèrent une bonne partie de la programmation du festival au sein de leur cours d’écoles transformées temporairement en lieux de spectacles et de fête) prennent en charge la gestion des comportements oppressifs sur leur lieux de fête. Ils ont décidé que malgré la foule et le croisement des publics, les espaces qu’ils gèrent ressembleraient à ce qu’ils considèrent être des bonnes conditions de fête. En travaillant principalement sur la prévention, en étant suffisamment nombreux.ses à être vigilent.e.s et donc à pouvoir réagir en cas de besoin, ces groupes assurent au public que la fête se déroulera dans le respect et la bienveillance. En même temps, ils permettent aux spectateur-ices éloignés de ces questions d’y avoir accès, de se poser des questions. Parfois, lorsque les situations se tendent, au lieu de virer manu militari les fauteur de troubles, des membres des collectifs prennent le temps d’expliquer pourquoi tel ou tel comportement est inapproprié, histoire de venir combler les fossés qui existent lors de ces événements publics de grande ampleur. Faire appel au forces de l’ordre devient une preuve d’impuissance face à une situation conflictuelle, en revanche, en travaillant en amont sur la prévention, ces organisateur.ices évitent de mettre en route la machine répressive.
Et si nos pratiques venaient s’imposer dans l’organisation de ces festivals ?
ON ECRIT SUR LES MURS NOTRE FIN DE FESTIVAL
Dimanche, c’est déjà le dernier jours du festival, il s’est passé tellement de choses, on est toustes remontées comme des pendules, et il nous semble important d’affirmer que l’espace public n’est pas le terrain de jeux de quelques masculinistes en quête de domination, qu’ils soient vêtu d’un uniforme ou non. Alors l’enceinte est beaucoup plus grosse que celle de la veille, la foule plus grande, les paillettes plus brillantes et la fête de fin de ce festival d’art de rue sera tout bonnement que ce qu’elle doit être : une reprise de cet espace qui, chaque jour dans ce pays, est tâché par les violences, les armes et les actes d’une poignée d’hommes protégés par l’État.
Ce dernier soir de Chalon dans la rue 2023, les rues sont reprises, les murs se colorent, la musique résonne, comme ce fut le cas ces derniers mois lors des mobilisations contre les retraites, contre les violences policières, contre la politique du gouvernement Macron. Dans un défilé festif, détendu, mais déterminé, la foule s’amuse et vient réparer ce que ceux en uniformes ont encore abîmé.
Car cette année c’est certain il y en a eu de la casse. Et ces affrontements, ils ont eu lieu ici, sur le goudron, dans les ruelles et les allées de toutes les villes du pays. Alors à cette montée des violences policières et de la répression nous répondons par la foule, par les pas de danse et par la fête. Tant qu’ils crieront « haine » nous hurlerons « fête », tant qu’ils vomiront « fascisme » nous répondrons « collectif ».
Nous ne resteront pas silencieuxses, car vous l’avez compris, nous c’est les grosses sono qu’on kiffe.
Mais ce soir-là, cette initiative n’est pas du goût d’une poignée de cow-boys de la police municipale, eux c’est clair, ils sont venu jouer le dernier spectacle du festival, car comme ils l’ont expliqué à de multiple reprises, ils sont ici chez eux. Ils se lancent alors dans une grande improvisation chaotique, la dramaturgie est pitoyable, les textes grossiers, on notera tout de même de l’audace dans la mise en scène qui laissera au public la possibilité d’écrire la fin de ce spectacle. C’est une mission suicide, ils sont prêts à tout pour « protéger et défendre le maire de Chalon », ils suivent de près puis remontent un cortège coloré et festif. L’objet de leur intervention : un tag en mémoire à Nahel et aussi des affiches qui reprennent des citations du maire de Chalon. Visiblement, ils ont réussi à identifier l’auteur-ice d’une des décorations de rue, ils tentent de s’infiltrer grâce à leur fameuse technique de la Queueuleu dans un groupe qui se densifie pour freiner leur avancée. Au carrefour suivant, ils bondissent sur la personne suspectée, pour tenter de l’interpeller, sous les huées de la foule. Dans la panique, ils grillent leur dernière carte et usent d’effets pyrotechniques à base de poivre mais faute de mode d’emploi, ils réussissent à se gazer eux-mêmes, du Grand Guignol comme on n’en fait plus.
Tout à coup, un.e catcheur.euse bondit sur la personne prise en chasse et maitrisée par les molosses et s’agrippe à elle avec une telle conviction que même les corps bodybuildés des policiers municipaux ne parviendront à les détacher ni même à les soulever. L’épuisement se fait sentir, les discours deviennent incohérents « parasites, on est chez nous, on protège le maire de Chalon, rentrez chez vous, ça fait une semaine qu’on vous supporte », certains d’entre eux crachent encore le gaz au poivre, le final est raté, ils ne font même pas passer de chapeau et s’éloignent finalement. La désarrestation est désormais effective, ils repartent avec le peu de fierté qu’il leur reste, leur spectacle est encore frais.
On apprendra quelques jours plus tard qu’après s’être fait sermonnés par la police nationale, ils justifieront leur geste par une mission d’exfiltration d’une de leur recrue, retrouvée encerclée au centre du cortège, une autre version que celle que nous avons vécue.
La fête ambulante reprends alors doucement, encadrée par un bal de voitures de police (qui resteront jusque tard dans la nuit), mais sous les feux d’artifices. Pour le maire de Chalon, « un groupe d’extrémistes politisés, anti-police et anti-maire de Chalon, a voulu en découdre avant de finalement aller se coucher pour cuver les liquides et substances absorbés... ». La fête de fin continuera alors jusqu’au petit matin dans un parc, clôturant ainsi ce festival dans un bel élan de fête libre et respectueuses de toustes.
Ce qui est certain c’est que cette édition de Chalon dans la Rue comme cette dernière soirée nous a toustes dépassée, elle ressemble étrangement à l’année que nous venons de traverser, comme si après autant de mois à être ensemble dans la rue, on ne pouvait plus fermer les yeux et faire comme si tout allait bien. Ce festival est est le reflet de la société, il ne tient qu’à nous de nous en emparer.
« Ambiance scandale, danses de vandales, sens d’où vient la chaleur.
Gloire à l’art de rue […]
C’est un mode de vie, quelque chose qui nous rend sérieux
Un besoin unique vécu jour et nuit
On désire toujours faire mieux, vu que la vie n’est qu’un test
Et que toutes les situations sont complexes
On pense et l’esprit dit "fais-le"
Fonce tant qu’on respire et qu’on est libre
Y’a qu’à oser vieux
Savourer l’existence comme on peut
L’essentiel est de faire ce qu’on aime et comme on veut »
Art de rue – Fonky Family
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