Que peut-il y avoir d’énervant que le Directeur Général de Reine de Dijon soit montré comme un exemple de circuit court dans une discussion passionnante avec le président de la chambre d’agriculture, les patrons de Vitagora, d’Agronov et de FoodTech ? Tout va bien. Pourquoi s’offusquer de cette preuve de lucidité et de sincérité de la part d’une partie de la profession agricole, dans la bouche du président de la FDSEA 21 : « on a compris qu’il fallait changer mais laissez nous le temps, c’est pas si simple » ? Tout va bien. Pourquoi sortir de ses gonds lorsque calmement l’ancien président de la Chambre d’agriculture de Bourgogne nous informe que le glyphosate est indispensable à l’agro-écologie ? Tout va bien. Pourquoi hausser le ton lorsque dans un élan de générosité, le président de la chambre d’agriculture de Côté d’Or nous assure de sa volonté de changer de modèle agricole ? Tout va bien.
Tout ce beau monde de messieurs importants – et oui sur 12 intervenants, une seule femme … – aime à jouer la symphonie de l’auto-satisfaction. Mais c’est plutôt à un bal des hypocrites auquel nous avons assisté ce samedi 2 juin à Fleurey-sur-Ouche. Tout le monde est d’accord qu’il faut changer, d’ailleurs les consommateurs le demandent, nous devons aller vers une alimentation de qualité, plus locale, plus soutenable. Mais par contre, pas question de changer les vieux logiciels, pas question de changer les pilotes, pas question de s’appuyer sur la richesse des agricultures biologiques et paysannes qui se déploient sur tous les territoires depuis plus de 50 ans. On veut bien promouvoir les circuits courts mais pas question de reconnaître qu’il existe depuis maintenant plus de 15 ans un mouvement de paysans et de citoyens engagés dans la mise en place de systèmes de solidarités locales permettant l’accès à une alimentation de qualité ; à l’instar des AMAP. On est d’accord pour dire qu’il faudra (un jour) sortir de la chimiculture (ex. glyphosate) mais pas trop vite, les alternatives doivent être créées, ignorant ainsi des décennies d’expérimentation agro-écologique et de réussites exemplaires et reproductibles sur des fermes qui prouvent qu’il est possible d’allier une agriculture économiquement viable à des pratiques écologiques se passant complètement d’engrais et pesticides chimiques de synthèse. On prétend depuis peu vouloir contribuer à la souveraineté alimentaire de Dijon mais pas question de remettre en cause le système pervers et inégalitaire de distribution des subventions PAC qui organise l’accaparement des terres et des financements par les plus gros, et qui pousse à produire plus avec toujours moins de paysans. On se félicite du caractère vertueux de l’agriculture française (par rapport Brésil ou l’Argentine !) en relativisant le nombre suicide chez les agriculteurs français qui fait froid dans le dos (1 tous les 2 jours). On affirme comme un slogan qu’il faut promouvoir une diversification agricole mais il est hors de question de remettre en cause les politiques agricoles menées depuis plus de 40 ans et qui ont abouti à cette situation de crise structurelle dans laquelle nous sommes.
Alors, oui nous sommes énervés par ces discours, souvent mensongers, entendus ce samedi 2 juin à Fleurey-sur-Ouche. Enervés par cette auto-satisfaction sur des politiques agricoles qui continuent à soutenir structurellement le productivisme. Enervés par cette indifférence, voire ce mépris pour les alternatives concrètes qui existent depuis tant d’années, y compris très localement (à Fleurey, à Mâlain, dans la Vallée de l’Ouche, …). Enervés par cette suffisance du sachant qui croit avoir tout compris au problème de la crise agricole et alimentaire et ne voit dans l’agitation de la société civile qu’une carence de communication. Enervés par cette négligence politique face à la crise écologique qui ruine les possibilités mêmes de la continuité d’une vie véritablement humaine sur Terre.
Le panel était donc bien représentatif de la vision dominante de l’agriculture chez celles et ceux qui aujourd’hui tiennent les manettes mais nous savons qu’elle ne l’est pas dans la société. Ce qu’ils appellent l’agriculture de demain ne sera pas celle des drones, celle de la foodtech, celle de la compétitivité. L’agriculture de demain c’est celle que pratiquent tous les jours des millions de paysans dans le monde, une agriculture de petite taille, diversifiée, inscrite dans un territoire et nourricière, une agro-écologie paysanne. Le changement de notre système agricole et alimentaire vers plus de soutenabilité écologique, sociale et économique ne se fera pas avec les mêmes recettes, les mêmes organisations professionnelles, les mêmes institutions qui sont responsables de la crise actuelle.
Enervés de tous les territoires, unissons-nous ! Et transformons cette saine colère en élan positif, continuons à associer à la lutte de multiples expérimentations collectives, partout où cela est possible … et même ailleurs !
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