Paris en grève. Fragments du 5 et 7 décembre



Récit dijonnais d’une traversée des journées mouvementées du 5 et 7 décembre à Paris.

Jeudi 5 décembre, il est encore tôt quand nous partons à plusieurs pour l’AG des cheminots. Elle a déjà commencé. Nous arrivons vers un tunnel métallique accolé à la gare de Lyon. Un raffut pas possible gonfle déjà nos oreilles. À l’intérieur, nous ne nous entendons pas parler. Les prises de paroles sont ponctuées par des acclamations graves et nombreuses. Une ovation fait vibrer la tôle quand le maître de séance propose de reconduire la grève pour une durée indéterminée.
Dehors, des gens attendent. Ils boivent le café, fument une cigarette. Un cortège s’agrège. Sans banderole, nous nous engouffrons dans les profondeurs méconnues de la gare. Slogans et chansons ponctuent nos pas. Les airs résonnent, fort. Nous marchons vite à la lumière de néons blanc de ces couloirs de jonction habituellement fermés. Finalement, nous grimpons quelques marches et nous nous retrouvons dans le hall central de la gare. Le chef de file craque un fumigène et s’élance sur la balustrade de la grande Brasserie. Elles et ils sont quelques dizaines à le suivre. La fumée rose accompagne une grosse enceinte portative qui crache du vieux rock des années 80. Ils dansent et agitent des drapeaux colorés. Photo de famille.

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À 14 heures, nous rejoignons la gare de l’Est. Une foule tonitruante est déjà là. Les commerces des alentours sont bondés. Gilets jaunes, syndiqués en tous genres, lycéens, gilets noirs... zigzaguent le long du boulevard Voltaire.
Nous décidons de manger sur le pouce un sandwich turque dans un troquet où il est devenu difficile de s’asseoir et encore plus d’accéder à la seule cabine de toilette de d’établissement. Une grande fille arrive. Sans gène, elle demande de manière autoritaire à un homme déjà bien avancé dans la queue de lui prendre un coca. Elle lui file une pièce de deux euros. Je la sens tout droit sortie d’un livre de Virginie Despente. Je dois la regarder malgré moi avec insistance parce qu’elle m’alpague et me demande si je serais d’accord de lui écrire quelque chose sur le corps. L’homme lui apporte son coca sans broncher. Elle sort avec la canette, moi sur ses talons. Là, elle commence à se déshabiller, sous le regard un peu ébahi des gens en terrasse. Elle est en soutien-gorge. Elle enlève son soutien-gorge et me tend un tube de rouge à lèvres rouge, seigneur. Je ne peux pas m’empêcher de regarder ses seins nus. Elle m’explique ce que je dois faire. J’ai les mains froides, son torse est brûlant. Sur sa poitrine j’écris : #Nous Toutes et sur son ventre : respect des droits fonda. Elle enfile son manteau, sans le fermer. Je lui rends le rouge à lèvre. Je glisse : « Tu es vraiment tout droit sortie d’un livre de VD. » Elle répond : « Ben ouai, violée à 13 puis à 23, je peux au moins faire ça ». Un homme arrive avec son smartphone, on est « belles comme des coeurs », il veut nous pendre en photo. Je le pousse et lui dit de s’en aller mais elle lui fait face, elle est bien plus grande que lui et répond : « Non mais laisse le c’est fait pour ça. » Tchik, c’est dans la boite. Je suis effarée et impressionnée en même temps.

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À 17 heures, un journaliste au moins aussi bien équipé que les bleus nous dit au milieu des gaz que les syndicats ont posté sur les réseaux sociaux un message annonçant l’annulation du départ du cortège à cause des dégradations déjà commises. Merci les gas.
Le temps s’étire, nous marchons en ligne droite entre République et Nation. Toutes les rues adjacentes sont bloquées par les forces de l’ordre. Deux chars et trois canon à eau intimident la foule. Puis ce sont les Braves [1]., la nouvelle unité mobile de la police, sur-armée et motorisée qui s’en charge. Le dispositif encadre parfaitement la manifestation. Ou presque, nous croisons un pompier guilleret qui tente de mettre le feu à un sapin de noël sur un rond point. Il gueule que le bois est trop vert. À 20h nous quittons Nation. La place est nacée, saucissonnée.

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Samedi 7 décembre, il est 17 heures. Comme pour l’anniversaire, les GJ se sont donnés rendez vous près des halles. Quand nous arrivons il y a du monde qui s’agite sur l’esplanade devant la Canopée. Des petits groupes un peu partout, ils font le tour pour prendre la température. Une vingtaine de personnes se met à entonner un air bien connu : « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur nous on est là... » Le Cortège se forme, 200 têtes à tout casser. Nous nous agglutinons autour des rambardes. Le grand sapin de Noël du centre commercial brille de mille feux. L’acoustique est incroyable. Nos voix recouvrent tout, les discussions des passants landas venus faire leurs courses de noël et les grelots-grelots sensés les accompagner pour leur soirée shopping. Sur les escaliers de l’entrée du centre commercial, ils sont au moins autant que nous. Bien installés en ligne sur les marches on dirait un public venu assister à notre concert sauvage. On chante, on chante. Finalement, ils s’inquiètent et décident de fermer le centre commercial. Le troupeau est gros, poussé en queue par les bergers vigilants des grands magasins. Ça sent les churros, l’enthousiasme nous gagne : « Manif sauvage ! Manif sauvage ! ». La police charge plusieurs fois. Nous prenons la direction de Beaubourg - Rue de Rivoli – le Marais - de vieux souvenirs font éclater nos sourires. « Paris debout, soulève toi », « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous ! ». Des poubelles font clang, clang sur le bitume. Cette fois nous sommes 500. Au retour nous croiserons les éboueurs. Concert de klaxons, le type au volant est comme un fou. Il à les bras en l’air, les yeux grands ouverts et tape dans les mains de ses congénères, Jaunes.

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La déambulation durera plus de trois heures. Nous reviendrons aux halles et feront une deuxième fois évacuer le centre commercial ; en chantant : « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur nous on est là... »

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Notes

[1BRAV-M, ou Brigades de répression de l’action violente motorisées

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