S’attacher à la zad : de quel patrimoine pourrions-nous parler ?



Il y a une dizaine de jours, le Comité de soutien à la ZAD DéfendreHabiter réunissant architectes, paysagistes, urbanistes et anthropologues écrivait publiquement à la ministre de la culture et à l’Unesco pour soumettre l’inscription des 1650 hectares de Notre-Dame-des-Landes au patrimoine mondial de l’humanité.

C’est au moment où l’État engageait la deuxième phase des expulsions et des destructions à la zad de Notre-Dame-des-Landes que Nicolas Hulot lançait une opération de communication autour de son plan biodiversité. La coïncidence a pris une tournure singulière avec, concomitamment, l’annonce par des habitant.es de la zad de déposer une demande d’inscription de la zad et ses habitats sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité [1]. La zad à l’UNESCO ! On peut mettre cette initiative sur le compte de l’inventivité, du sens de la facétie et du détournement des « zadistes », ainsi que sur la nécessité d’une riposte médiatique devant l’ampleur des destructions, tant elle peut paraître incongrue non seulement pour les puristes et des professionnels du patrimoine mais aussi pour les intéressés eux-mêmes, peu enclins à identifier leurs actions – peut-être même la défense des tritons crêtés et autres espèces remarquables du bocage et des milieux humides – sous le vocable de patrimoine [2].
Pour autant le télescopage des trois faits – destructions, plan biodiversité et candidature patrimoine mondial – pointe en creux l’insigne incomplétude du projet ministériel, autant qu’il interroge la possibilité de réinventer et sans doute de renommer ce qui s’énonce sous le nom de patrimoine.

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En effet, les documents proposés sur le site du ministère de la transition écologique relatifs à la biodiversité, reproduisent sans surprise une conception dualiste – et par conséquent patrimoniale – de la biodiversité. Pour le dire vite, s’il est établi que « nous autres, humains, appartenons à une espèce, homo sapiens, qui constitue un des fils du tissu vivant de notre planète » (« l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie – plantes, animaux, champignons, bactéries, etc. – ainsi que toutes les relations et interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie ») [3], il est notable que la biodiversité est traduite concrètement en « un patrimoine naturel d’une grande richesse », des outils pour le connaître et le préserver – parcs, réserves, arrêtés, sites, et des services écosystémiques : en d’autres termes, une traduction qui consacre l’extériorité de l’humain et sa position de pilote-exploitant. On n’en sera pas étonné, l’écologisme mainstream n’est pas près de remettre en question la dichotomie nature-culture, voire le concept même de nature. On peut sans doute tenir là un élément de compréhension de la mécompréhension, à moins que ce ne soit de l’hostilité idéologique, que le ministre nourrit à l’égard de l’expérience totale qui se déroule à Notre-Dame-des-Landes, là où précisément tout s’est enchevêtré – à l’image de la vie – depuis l’opposition à un aéroport jusqu’à l’expérimentation d’un nouveau monde.

La notion de patrimoine naturel, en elle-même et en son histoire, ne suffit pas à dire et à prendre en compte les enjeux et les gestes que réclament les êtres vivants de notre planète, avec lesquels nous devons inventer de nouvelles manières de cohabiter si nous voulons les (et nous) protéger. Nombre de travaux anthropologiques et philosophiques plaident aujourd’hui pour dépasser le couple nature-culture et s’en débarrasser. L’Unesco même, à partir de débats permanents sur la convention pour la protection du patrimoine naturel et culturel (1972), s’est confronté à cette question en promouvant dans les années 1990 la catégorie de paysage culturel et en fusionnant plus récemment en une seule liste les critères appropriés aux sites culturels comme aux sites naturels. Pourtant, l’organisation internationale reste trop contrainte par la notion de patrimoine et par la prééminence de sa conception eurocentrée dans le concert des nations (malgré même l’invention de la catégorie de patrimoine culturel immatériel) : tout se passe comme si cette notion empêchait de penser réellement la biodiversité comme un tissu vivant et de tirer les implications du fait que l’espèce humaine en fait partie – tout comme d’ailleurs, elle est engagée dans ses relations avec le non vivant.

Lire la suite ici : https://lundi.am/S-attacher-a-la-zad-de-quel-patrimoine-pourrions-nous-parler-1392

[1] Voir : https://blogs.mediapart.fr/defendrehabiter/blog/260518/pour-une-inscription-de-la-zad-de-nddl-et-de-ses-habitats-lunesco.

[2] Autant que je puisse en juger de l’extérieur, ma connaissance de la zad procédant surtout de la prise de connaissance de la diversité de textes et d’images que l’expérience a produites.


P.-S.


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