Vers une abolition de la police ?



Le mouvement international contre le racisme et la violence de la police a révélé l’existence de quelques organisations aux États-Unis dont l’objectif est d’abolir la police. C’est le moment de s’y pencher de plus près et de s’en inspirer.

  • Nouvelle version - septembre 2020

     

Destitution de la Police

Le mouvement pour la destitution de la police est bien installé aux États-unis. Et si « tout le monde déteste la police » en France, l’abolition de celle-ci semble inenvisageable. Afin de libérer l’horizon, laissons la parole aux organisations qui travaillent concrètement dans le sens d’une dépolicisation du monde :

Pour For a World without Police, nous vivons dans une société où presque tous les problèmes sociaux - des voisins bruyants aux feux arrière cassés - sont devenus un point d’intervention de la police. Il en résulte une épidémie de harcèlement et de violence. Ils posent alors la question suivante : Mais que se passerait-il si nous trouvions d’autres moyens de résoudre nos problèmes ? Et si nous réduisions le pouvoir de la police et abolissions entièrement l’institution ? Ils nous invitent alors à rejoindre leur travail et à réfléchir et à agir pour trouver des moyens de parvenir à un monde sans police.

Aux États-Unis, 1 146 personnes ont été tuées par la police en 2015 [1]. 97% des tueurs n’ont pas été inculpés. Plus nous en apprenons sur les brutalités policières et les meurtres, plus il devient clair que ce comportement est un schéma permanent et systémique. La violence fait partie intégrante du rôle du policier dans la société moderne.

La police décrit son travail comme étant la lutte contre la criminalité, le maintien de la sécurité publique ou la défense de l’ordre public. Mais depuis leur création, les institutions policières ont en fait servi à défendre les biens des riches et des puissants, tout en maintenant les gens de la classe ouvrière et les gens de couleur dans la pauvreté et le désespoir. Pour faire ce travail, il faut battre, mettre en cage et tuer.

La violence policière ne découle pas seulement de mauvaises pommes ou de mauvaises attitudes, mais de ce que la police doit être et faire en Amérique. La seule façon de mettre fin à la violence est d’abolir la police et de transformer les conditions qui l’ont engendrée.

Pour beaucoup de gens, la police est une présence si constante qu’il est difficile d’imaginer ce que serait la vie sans elle.

Nous ne pouvons pas savoir exactement à quoi ressemblera un monde sans police. Mais nous voyons la possibilité d’un avenir meilleur dans les efforts déployés par des groupes du monde entier pour contrôler les pouvoirs de la police, la dépouiller de ses armes et dissoudre des unités de police et des départements entiers. Ici, les gens travaillent déjà ensemble pour résoudre les problèmes sociaux, tout en faisant reculer l’institution qui nous tue.

Rejoignez le mouvement pour un monde sans police, en discutant et en développant des stratégies, en vous joignant à des campagnes locales, en approfondissant vos connaissances par l’étude et en suivant les derniers développements.

L’organisation 8toAbolition résume son projet dans ses « 8 points to abolish the police », dont la traduction est lisible ici : 8 mesures pour abolir la police.

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Et si la municipalité de Minneapolis envisage de démanteler sa police, c’est grâce à l’avancée des travaux de groupes comme MDP150, pour qui :

La police a été créée pour protéger les intérêts des riches et la violence racialisée a toujours fait partie de cette mission.
La police ne peut être réformée en s’éloignant de sa fonction principale.
La police criminalise la peau noire et la pauvreté, en canalisant des millions de personnes vers le système carcéral, en les privant du droit de vote et du droit à l’emploi et en préservant ainsi l’accès privilégié au logement, à l’emploi, à la terre, au crédit et à l’éducation pour les blancs.
La police militarise et aggrave les situations qui nécessitent l’intervention des services sociaux.

Et surtout :

Il existe des alternatives viables, existantes et potentielles au maintien de l’ordre pour chaque domaine dans lequel la police s’engage.

L’organisation Assata’s Daughters a été créée en 2015 à Chicago sous la bienveillance d’Assata Shakur. Elle est dirigée par des femmes et des jeunes afro-américains, et enracinée dans la tradition radicale noire. L’AD organise les jeunes afro-américains à Chicago en leur offrant une éducation politique, un développement de la capacité à initier des actions, une relation d’aide et d’échanges, et des services révolutionnaires. Par le biais de ses programmes, elle vise à approfondir, à intensifier et à soutenir le mouvement de libération des Noirs. Notamment en travaillant pour l’abolition de la police.

Pour approfondir la réflexion à propos de la destitution de la police, quelques articles d’analyse commencent à paraître en Français :

« What a world without cops would look like », interview du sociologue Alex Vitale par Madison Pauly sortie début juin dans le journal Mother Jones, traduite par Rebellyon ici : « À quoi ressemblerait un monde sans policiers ? »

« Que faut-il faire pour empêcher la police de tuer ? », article paru le 2 juin sur Crimethinc.

« Pour une rupture politique avec le système policier », tribune de Fatima Ouassak parue le 4 juin sur Mediapart.

« Penser l’abolition de la police », entretien avec Gwenola Ricordeau paru le 10 juin sur Acta.

« The Fight to Abolish the Police is the Fight to Abolish Capitalism », article paru le 10 juin sur Left Voice, traduit sur Révolution Permanente : « Lutter pour l’abolition de la police, c’est lutter pour l’abolition du capitalisme. »

« Yes, we mean literaly abolish the police », tribune de Mariame Kaba parue le 12 juin dans le New York Times, traduite sur L’Autre Quotidien : « Oui, nous voulons littéralement abolir la police. »

« Peut-on abolir la police ? », article paru le 14 juin sur The Conversation.

« Never Give Up », texte de Noémie Serfaty paru le 16 juin sur Lundi matin.

« Un futur sans police est-il possible ? », article de Pierre Longeray paru le 18 juin sur Vice.

« Abolir la police », article paru le 24 juin sur Rebellyon.

« Le mouvement Defund The Police veut démanteler la police aux États-Unis », article paru le 3 juillet sur Mediapart.

« 12 Things to do Instead of Calling the Cops », brochure sortie sur Sprout distro en 2017, traduite le 28 juillet sur Rebellyon : « Si tu vois quelque chose, fais quelque chose ! »

« D’une aspiration utopique à un programme réalisable », entretien avec Kristian Williams paru le 31 août sur Acta.

Sans oublier un article paru dans la revue Jef Klak en janvier 2017 qui explore les organisations communautaires pour l’abolition de la police à Chicago : « Tout le monde peut se passer de la police ». Jef Klak a également publié un article le 24 juin en posant une très bonne question : « Que faire de la police ? »

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Plusieurs récits situés permettent de se représenter ce que signifie plus concrètement l’abolition de la police :

« Une société sans police ? », article dans lequel Hawzhin Azeez tire des leçons du Rojava, paru dans Kurdistan au féminin le 4 juin.

« Sans la police », témoignage à partir d’une situation vécue dans le quartier Moulins à Lille publié sur Cerveaux non disponibles le 22 août.

Justice transformatrice

La justice étant au service de la police [2], que deviendrait-elle si la police disparaissait ? Là aussi aux États-Unis la réflexion est bien plus avancée qu’en France. La mise en place de nombreux processus de justice réparatrice ou transformatrice ouvre la possibilité d’un monde sans tribunaux.

La justice transformatrice est une façon de pratiquer une justice alternative qui reconnaît les expériences et les identités individuelles et s’efforce de résister activement au système d’injustice criminelle de l’État. La justice transformatrice reconnaît que l’oppression est à l’origine de toutes les formes de préjudice, d’abus et d’agression. En tant que pratique, elle vise donc à aborder et à confronter ces oppressions à tous les niveaux et les traite comme une partie intégrante de la responsabilité et de la guérison.
La justice transformatrice est une approche qui libère de la violence, qui recherche la sécurité et la responsabilité sans s’appuyer sur l’aliénation, la punition ou la violence étatique ou systémique, y compris l’incarcération ou le maintien de l’ordre.
Dans le processus de transformation, la justice individuelle et la libération collective sont aussi importantes l’une que l’autre, elles se soutiennent mutuellement et sont fondamentalement liées - la réalisation de l’une est impossible sans la réalisation de l’autre.
Les conditions qui permettent à la violence de se produire doivent être transformées afin d’obtenir la justice dans les cas de violence individuels. Par conséquent, la justice transformatrice est à la fois une politique libératrice et une approche visant à garantir la justice.
Les réponses étatiques et systémiques à la violence, y compris le système judiciaire pénal et les organismes de protection de l’enfance, non seulement ne font pas progresser la justice individuelle et collective, mais tolèrent et perpétuent les cycles de violence.
La justice transformatrice cherche à offrir aux personnes qui subissent la violence une sécurité immédiate, une guérison et des réparations à long terme tout en tenant les personnes qui commettent des actes de violence responsables au sein de leur communauté et par celle-ci. Cette responsabilité comprend l’arrêt immédiat des abus, l’engagement de ne pas amorcer des abus futurs et l’offre de réparations pour les abus passés. Une telle responsabilisation exige un soutien continu et une guérison transformatrice pour les personnes qui ont subi des abus, de quelque ordre qu’ils soient.

Le Projet NIA fait partie des organisations qui travaillent à mettre en place une forme de justice restauratrice. Le projet Nia - "nia" signifiant "avec but" en swahili - est une organisation de base qui travaille pour mettre fin à l’arrestation, la détention et l’incarcération d’enfants et de jeunes adultes en promouvant des pratiques de justice réparatrice et transformatrice.

Nous soutenons les jeunes en difficulté avec la loi ainsi que ceux qui sont victimes de violence et de criminalité par le biais d’alternatives communautaires au processus judiciaire pénal. Nous travaillons en partenariat avec des militants et des organisations locales pour créer de telles alternatives.
Nous croyons que nous pouvons transformer le mal en guérison en créant des liens et des opportunités dans nos communautés. Par l’éducation, la recherche et la défense des droits, nous créons des moyens de traiter les préjudices de manière productive, plutôt que de s’en remettre à la police et au système juridique pénal. Au cours des dix dernières années, nous avons proposé plus de 200 ateliers communautaires sur la justice pour mineurs et le complexe industriel pénitentiaire et publié des dizaines de programmes éducatifs sur la manière de mieux aborder les préjudices dans nos communautés. Parce que les jeunes ne devraient jamais se retrouver derrière les barreaux.

Les femmes de Survived + Punished ont fait le constat que les violences domestiques, le viol et d’autres formes de violences sexistes sont liées au système d’incarcération et à la violence policière. Le fait d’être confrontés à la police, aux procureurs, juges, services de l’immigration, sécurité intérieure, centres de détention et prisons ne permet pas de surmonter la violence domestique et les agressions sexuelles. Survived And Punished Project exige la libération immédiate des survivantes de la violence domestique et sexiste qui sont emprisonnées pour des actions de survie, notamment : l’autodéfense, le « manque de protection », la migration, le retrait des enfants des personnes maltraitantes, la contrainte d’agir comme « complice » et l’obtention des ressources nécessaires pour vivre. Elles dénoncent le fait que la police et les procureurs se placent comme les défenseurs de la lutte contre la violence. Pour elles ils ne font que criminaliser et créent un gouffre entre « bonnes victimes » qui ont facilement accès au système pénal et « criminalisées », parce que connues des services de police, noires, sans papiers, pauvres, trans, homo, femmes, ou handicapées. Ces dernières sont confrontées à l’hostilité de la police, des procureurs et des juges, et on leur refuse souvent le soutien que les « bonnes victimes » reçoivent des défenseurs de la lutte contre la violence. Face à cela elles déclarent :

Nous affirmons l’autodétermination de toutes les survivantes de la violence domestique et sexuelle. Nous approuvons les efforts visant à abolir les systèmes punitifs et discriminants et à créer de nouvelles approches qui donnent la priorité à des réponses responsables et basées sur la communauté. Nous devons nous organiser pour un monde dans lequel les survivantes sont toujours soutenus par leurs communautés. Nous attendons avec impatience le jour où les survivants n’auront plus à recourir à la police, aux lignes téléphoniques anonymes, aux abris restrictifs loin de chez elles et aux systèmes juridiques défaillants. Nous rejetons l’individualisation et choisissons plutôt de cibler les problèmes systémiques qui facilitent davantage les abus. Nous nous concentrons sur les survivantes parce que nous voulons mettre en évidence le lien spécifique entre le fait de survivre à la violence sexuelle et domestique et celui d’être arrêtée, enfermée et/ou expulsée. Nous appelons les mouvements de lutte contre la violence domestique et le viol à lutter sérieusement contre la façon dont leurs relations enchevêtrées avec les procureurs et la police limitent la capacité à considérer les victimes criminalisées comme méritant des ressources et un soutien. Nous appelons les mouvements de justice raciale et de justice des migrants qui s’organisent contre la violence des services de police, des services d’immigration et des prisons à mettre systématiquement en avant les survivantes de la violence sexiste dans leurs analyses et stratégies politiques. Nous vous demandons de soutenir sans crainte les survivantes qui vivent au carrefour de la violence sexiste et de la criminalisation. Elles ont besoin de notre solidarité et la méritent.

Suggestion d’articles pour approfondir la réflexion à propos de la justice transformatrice et de l’abolition de la prison :

« Pas de recette miracle », texte écrit pas des femmes de la Caisse de Solidarité de lyon et publié sur Rebellyon le 20 juillet.

« La cause des femmes sert de prétexte pour justifier des politiques de plus en plus punitives », entretien avec Gwenola Ricordeau publié sur Basta ! le 23 juillet.

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En France, l’ambiance est au réformisme. Les collectifs les plus radicaux parlent tout au plus de « désarmer la police ». Il est tant de passer à la possibilité d’une abolition de la police, ici aussi. On peut s’inspirer de ce qui a déjà été tenté, comme ce cycle de discussions qui s’est tenu à Lyon en mars 2018 : « Justice, la connaîte, y faire face, vivre sans ». Le premier pas est peut-être du côté de ce Manifeste pour la suppression générale de la police nationale.

Et rappelez-vous : « La meilleure des polices ne porte pas l’uniforme ! » (La Rumeur).


P.-S.

Un peu de rêve et d’imaginaire avec « Pas de police, pas de problème », lettre lue par Loïc Citation lors de son procès le 9 juillet 2020.


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