Le 11 janvier 2014, La Horde avait organisé, au cinéma La Clef à Paris, une rencontre avec Adolfo Kaminsky, qui, en fabriquant des faux papiers, a sauvé de nombreux Juifs et résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui poursuivit après la guerre son travail en se mettant au service de luttes de libération nationale, dont celle pour l’indépendance de l’Algérie. Nous avions alors sympathisé, nous promettant de nous revoir pour prolonger la rencontre. À l’approche de la date anniversaire du massacre du 17 octobre 1961, nous avons demandé à Adolfo et à sa femme Leïla de bien vouloir nous faire partager leur expérience et leur analyse de la mémoire de cette date.
Comment cette journée du 17 octobre a-t-elle été vécue ?
Adolfo : Pour ma part, au moment du 17 octobre, j’étais clandestin en Belgique en raison de mon implication dans les réseaux de soutien à l’indépendance algérienne, qui m’avait obligée à quitter la France avant d’être repéré. J’ai donc été tenu informé par les soutiens du FLN qui nous ont fait savoir ce qui s’était vraiment passé cette nuit-là, et par les radios étrangères qui donnaient tous le détails sur les atrocités commises et sur les centaines de morts, bien loin de la version officielle des trois morts donnée par la préfecture de police à l’époque. Le rôle joué par la police française montre qu’il y a eu bien peu de résistance en son sein, mais en revanche beaucoup de zèle… Comme sous Vichy, d’ailleurs : il ne faut pas oublier que le camp de Drancy, comme d’autres, n’était pas gardé par les nazis, mais par la police française qu’on retrouve une fois de plus à la manœuvre.
De quelle façon la mémoire de cette date a-t-elle été transmise par la suite ?
Adolfo : En Algérie, la date a bien sûr été commémorée, mais pas avec l’importance qu’il aurait fallu donner à cet événement, pour des raisons liées à l’histoire politique algérienne : pour le pouvoir militaire de Boumédiène, la résistance armée devait rester la seule véritable force de libération et les héros de l’indépendance, ceux qui les armes à la main s’étaient battus sur le sol algérien.
Leïla : En 2013, une exposition de photographies sur la guerre d’Algérie au Mama, le musée d’art moderne d’Alger, a permis de faire connaitre l’importance de l’apport de la résistance extérieure, à travers les films, les reportages, qui ont fait découvrir ou redécouvrir cette solidarité venue de l’étranger.
Adolfo : Je souligne l’importance du travail du photographe Elie Kagan, qui a photographié le massacre du 17 octobre et qui a aussi fait connaitre par son travail le bidonville de Nanterre d’où étaient issus bon nombre de manifestants ce soir-là. Cette réalité-là est encore bien souvent méconnue dans la population algérienne.
Et bien sûr, il y a eu le remarquable travail de recherches réalisé par l’historien Jean-Luc Einaudi, qui a mis au jour le contenu des archives de la police, et à qui je souhaite rendre hommage aujourd’hui (Jean-Luc Einaudi est décédé le 22 mars 2014).
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