Gilet jaune, avenir radieux



La situation est inédite. Depuis bientôt trois semaines un mouvement de contestation générale croît de manière inattendue. Parti du refus de se voir imposer de nouvelles taxes sous couvert de mesures écologiques, il vire en véritable mouvement de destitution. Les perspectives ? À nous de les dessiner.

Le bilan de ces trois semaines de blocage et de destruction est déjà lourd. On annonce 13,5 milliards d’euros de perte dans l’agro-alimentaire, une baisse de 50% du chiffre d’affaire dans la restauration, de 40 à 70% dans les commerce de proximité, de 35% dans la grande distribution et 20% de baisse des réservations hotelières. Le commerce et le tourisme sont au plus mal. 206 entreprises ont fait appel au gouvernement pour financer des mesures de chomage partiel qui concernent 5000 emplois et 300.000 heures, l’état a déjà aligné 2,5 millions d’euros de compensation.
À Paris, les dégats ont été chiffrés à 1 millions d’euros le 24 novembre, 4 millions le 1er décembre, rien que pour la voirie et le mobilier urbain. Pour chaque jour de manif sur les champs élysées c’est 8 millions d’euros de perdus pour les boutiques de l’avenue. Le président de l’Association Nationale des Industries Alimentaires, ex-patron de Nestlé, demande un arrêt des blocages car il affirme que son secteur est en péril.

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Et ça ne suffit pas. À grand coups de mépris, à grand renfort de leçons et en essayant la bonne vieille méthode de la division entre les responsables et les violents, le gouvernement ne bouge pas d’un iota. « Macron, c’est une vrai tête de pioche celui-là », entend-on au détour d’un étal sur le marché.
Bayrou déclare : « À un moment, on ne peut pas gouverner contre le peuple. » Mais n’est-ce pas l’essence même de la gouvernance qui est contre le peuple ? En tout cas le peuple n’en peut plus. Il relève la tête. Il prend son courage à deux mains et il tient des blocages, il charge des lignes de flics qui l’empêchent d’accéder à la préfecture ou à l’élysée. Il persiste, obstiné, plein de confiance dans le fait que partout, dans tous les secteurs, il se sent soutenu, épaulé. Ce sont des années de soumission docile que l’on fait payer aux gouvernants. Et ça tombe sur Macron et sa clique. Ça n’est pas pour rien. Il croyait qu’il allait réussir à détruire tout ce qui n’est pas économie, ce jeune banquier prétentieux. Et bien non. Il suffisait d’un prétexte, d’un symbole, d’une idée qui circule sur les réseaux sociaux. Et c’est dans la réalité des rues et sur les routes que le peuple se retrouve et se décide à faire tomber son gouvernement. Et des scènes troublantes ne nous sont pas montrées, comme celle de ces gendarmes mobiles qui retirent leurs casques en signe d’insoumission le 30 novembre alors qu’ils doivent évacuer un barrage. C’est aussi celle des pompiers qui tournent le dos aux élus venus les saluer le 1er décembre. Ces pompiers si complices alors qu’ils sont si durement éprouvés. Rien que samedi dernier à Paris il ont été sollicité pour intervenir sur 250 barricades enflammées, 6 immeubles incendiés et pour prendre en charge des centaines de blessés. Ils ont su intervenir en toute intelligence avec les émeutiers. Ceux-ci leur ouvrant les barricades lorsqu’il le fallait, les autres n’éteignant pas celles qui brûlaient.

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Face à la contestation, le gouvernement mise tout sur la force brute. Samedi dernier c’est près de 1200 tirs de flashball, 8000 grenades lacrymogènes, plus de 1000 grenades de désencerclement et surtout 339 grenades GLI-F4 (constituées de 25g de TNT) qui ont été utilisées. Un record absolu. Ce sont des centaines de personnes mutilées, 3 personnes entre la vie et la mort et une octogénaire qui a été tuée par les forces de l’ordre à Marseille. Durant cette semaine de contestation lycéenne les mutilations ont été encore plus délirantes, vu que les flics se défoulent sur des gamins. Avec comme point d’orgue la journée de jeudi, ses 700 interpellations et ses images choquantes de lycéens agenouillés. Et comment traite-t-on de cela à postériori ? On impute la faute aux éléments violents qui veulent en découdre, on annonce une prime exceptionnelle pour les forces de l’ordre mobilisées et pour le prochain rendez-vous, on promet 89.000 flics et une douzaine de blindés. Les caisses sont vides pour les écoles, les hôpitaux, l’assurance maladie et les associations, mais quand il s’agit de sauver sa peau, l’État sait graisser la patte aux chiens qui le servent. Au beau milieu du désordre, on offre encore 40 milliards d’euros de cadeau fiscal au patronat en transformant le CICE. C’est souffler sur les braises.

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Pour ce qui est de l’ordre d’une réponse politique, Griveaux martèle : "Nous ne changerons pas de cap car le cap est bon." Le gouvernement est sûr de lui, tenant les deux chambres il fonce droit dans le mur. Face à la gravité de la situation, les élus continuent à faire preuve de mépris et d’ignorance. Lorsque Chassaigne propose de déposer une motion de censure, ce ne sont que des sourires hautains qui étirent les lèvres des députés LREM. Dans son obstination le gouvernement renforce la colère. Et ce n’est pas l’instrumentalisation médiatique des plus déterminés qui va retenir les gestes. Quiconque a éprouvé les dernières journées de contestation dans la rue a inscrit dans sa chair le fait que le cortèges, en un bloc, tiennent face à la police qui les empêche de s’exprimer où ils veulent.
Malgré les tentatives de division, de désolidarisation, les pressions physiques et morales, l’intimidation des RG, le soutien populaire aux gilets jaunes continue de prendre de l’ampleur. On entend des grands-mères parisiennes, à qui on voudrait faire condamner la casse, affirmer que : "il n’y a pas de révolutions sans violences". On voit des couples de cinquantenaires bien apprêtés refuser de se désolidariser du mouvement. C’est même Pamela Anderson qui de manière inattendue soutien les insurgés : "Je méprise la violence... mais quelle est la violence de toutes ces personnes et de ces voitures de luxe brûlées par rapport à la violence structurelle des élites françaises et mondiales ?" Ça paraît évident.
On sent pourtant poindre un soupçon de frayeur qui parfois parcourt l’échine de quelques gouvernants s’imaginant démis, lynchés, avilis. « Il faut réformer l’État. Et vite ! », supplie notre conseiller général et régional François Sauvadet. Effectivement, si ça ne se fait pas vite il n’y aura peut-être bientôt plus d’État. Alors on promet quelques mesures, illusoires, un gel, pour calmer la populace. Mais elle n’est pas dupe, et à chaque annonce du gouvernement la colère augmente et le mouvement gagne de nouveaux éléments.

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Au sein de l’euphorie, on se pose la question de la direction. Vers où se dirige cette puissance ? Où nous emmène cette irruption incontrôlable ? L’impression qui ressort de ces moments éprouvés dans la rue avec des milliers d’inconnus pourtant si complices l’espace de quelques instants, c’est que la cible n’est pas dessinée. Le mouvement s’imprime de ce qui s’y exprime, s’y discute, s’y réfléchit. Si la place est laissée vacante aux remarques racistes et aux réflexions sexistes, alors ils s’installeront bien confortablement. Si au contraire au sein de l’exaltation des repères sont bousculés, remis en cause, bouleversés, alors nous décloisonnerons ce qui nous sépare dans la complicité ou le conflit.
Il s’agit maintenant de s’atteler à toutes les questions que soulèvent cette irruption désordonnée. Aujourd’hui on s’insurge contre une éducation en miettes, un avenir de merde, un horizon écologique qui sert à s’en prendre aux plus pauvres, des conditions de travail de plus en plus invivables dans pratiquement tous les secteurs. C’est face à cette misère, pas seulement financière, que l’on redresse l’échine. Et il est important de s’organiser localement pour mettre en place des manières d’en sortir. Pour que cela ne se termine pas en un misérable combat électoral Marine vs. Mélenchon.
Pour samedi, le mot d’ordre est clair : « À l’Élysée ! ». Plus localement cela peut vouloir dire : « À la Préf ! ». L’intimidation et le climat de terreur ne nous retiendront pas chez nous. Jettons toutes nos forces dans la bataille !

Prochaine station, destitution

« Contrairement à tout ce que l’on peut entendre, le mystère, ce n’est pas que nous nous révoltions, mais que nous ne l’ayons pas fait avant. »

5 décembre 2018
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