Je suis épuisée.
Je suis en train de lire une autre longue liste de justifications pour ne pas se masquer de la part d’une personne qui s’identifie comme étant de gauche.
La plus souvent répétée ?
C’est comme ça, il faut juste l’accepter.
Il n’y a rien que nous puissions faire.
Il n’est tout simplement pas réaliste d’éliminer le COVID.
Est-il réaliste de dé-financer la police ? Est-il réaliste de mettre fin à la production de combustibles fossiles ? Est-il réaliste de faire tomber une oligarchie ? Est-il réaliste d’abolir les frontières ?
Était-il réaliste de lutter contre le Sida ? Était-il réaliste de mettre fin à la ségrégation ?
Est-il réaliste de brûler toutes les compagnies d’assurance privées et de construire un monde avec des soins de santé gratuits, de haute qualité et à la demande pour chaque être humain dans ce pays ?
Est-il réaliste d’arrêter le complexe militaro-industriel et d’investir plutôt des milliards dans des programmes sociaux ?
Vous voyez où je veux en venir.
Nous sommes des militant·es de gauche ! Nous vivons et respirons et combattons et mourons et perdons et gagnons les batailles irréalistes, toujours !
Nous ne sommes pas des modéré·es. Nous ne sommes pas des personnes silencieuses, acceptant, soupirant, embrassant le statu quo, allant à un brunch et roulant des yeux quand nous entendons de grandes idées.
Nous ne nous tenons pas tous la main au Rassemblement Centriste en chantant « De meilleures choses ne sont pas possibles ».
Nous ne sommes pas des cadres moyens épuisés qui n’aspirent pas à autre chose qu’à une clôture de jardin blanche et à un plan d’épargne retraite.
Nous ne sommes pas des libéraux portant l’épingle du drapeau américain, aimant Joe Biden et défendant le parti démocrate, qui répètent mot pour mot les communiqués de presse de la Maison Blanche et prennent CNN pour vérité d’évangile.
Nous sommes celleux qui entendent les justifications insipides des politiciens mielleux et qui crient « Vous êtes en train de nous tuer ! » jusqu’à ce que quelqu’un nous sorte de la pièce.
Nous sommes celleux qui postent le plus récent éditorial anti-trans du NY Times avec la légende « Comment peut-on encore croire aux ordures qu’iels publient ? ».
Nous sommes celleux qui voient des enfants enfermés dans des cages, et nous allons chercher la pancarte, et nous allons chercher les marqueurs, et nous ne nous arrêtons pas pour penser « est-ce que mon affiche va libérer ces enfants aujourd’hui », parce que nous allons faire quelque chose, nous devons juste faire quelque chose.
Nous sommes celleux qui voient la violence exercée par la police dans nos rues, et nous marchons, et nous crions, et nous rageons, et nous pleurons, et nous revenons et nous recommençons la semaine suivante.
Nous sommes celleux à qui on a dit, enfants, « c’est comme ça », et qui ont répondu « mais ce n’est pas bien ».
Nos camarades sont en train de mourir. Les nôtres. Des centaines par jour. La majorité d’entre elleux sont vacciné·es. La plupart d’entre elleux sont âgé·es, immunodéficient·es ou handicapé·es. Les plus vulnérables d’entre nous. Celleux qui nécessitent le plus de soins.
Des milliers de personnes deviennent handicapées, tout autour de nous, en permanence.
Et les personnes handicapées ne peuvent pas entrer dans les espaces publics en toute sécurité, aucun·e d’entre elleux. Pas même dans nos espaces d’organisation. Pas même dans nos hôpitaux.
Je comprends pourquoi beaucoup veulent détourner le regard. Je l’ai fait aussi. Lorsque j’ai été vaccinée début 2021, j’ai cessé de me masquer dans la plupart des situations. On m’avait dit que mon risque, même celui d’attraper le COVID, était faible. Je ne savais pas grand-chose sur le COVID Long, voire rien. Je voulais tellement retrouver mon ancienne vie. Cet été-là, pour mon anniversaire, je suis allée dans un bar miteux et j’ai chanté avec le groupe de mon ami. On a ressorti notre interprétation du duo June Carter/Johnny Cash, « Jackson », et c’était comme au bon vieux temps.
« Eh bien, allez à Jackson, » j’ai sorti mes bijoux fantaisie et mon accent, « allez-y et ruinez votre santé ! »
On a fait des shots de whisky. J’ai serré tout le monde dans mes bras.
Des mois plus tard, j’étais en Argentine. Mon amie Yesenia et moi logions dans un appartement moderne à Palermo, avec un escalier vertigineux, sans rembarde, dans lequel je craignais de dégringoler après avoir bu trop de vin. Elle m’a dit qu’un nouveau variant avait été découvert.
« Il comporte 35 mutations sur la protéine spike », m’a lu Yesenia.
Dans ma mémoire, j’ai posé le pinceau de maquillage que je tenais, mais c’est peut-être un embellissement dramatique. Après tout, pourquoi aurais-je été dans notre salle de bain à me mettre du fard à joues pendant que Yesenia me faisait la lecture ? Elle prend toujours plus de temps que moi pour se préparer. Elle met sa musique à fond, et je me contente de la même routine de maquillage légèrement modifiée que j’ai depuis le collège pendant qu’elle fait des lignes, des moues et des peintures. Parfois, je lui demande de faire mes yeux, et elle me fait une tête qui ne me ressemble pas du tout.
Mais à ce moment, quoi que je sois en train de faire, je me suis souvenu de quelque chose que j’avais lu des mois plus tôt. Que le vaccin était conçu pour imiter la protéine spike, et qu’avec un peu de chance, la protéine spike ne muterait pas rapidement.
J’ai eu une boule dans la gorge. Mon esprit s’est emballé. Je ne savais pas alors que le variant Delta présentait déjà un nombre important de mutations sur la protéine spike. Je ne savais pas qu’Omicron allait tuer près de 200 000 Américain·es en moins de 10 semaines. Je ne savais pas alors que Joe Biden allait réussir à baptiser cet hiver « La Pandémie des Non-Vacciné·es ». Je ne savais pas alors que 40% des morts seraient vacciné·es.
Je ne savais pas alors qu’une propagation effrénée engendre des variants, et que les variants engendrent inévitablement une résistance au vaccin.
J’ai mis mes inquiétudes de côté et j’ai laissé nos nouvelle·aux ami·es argentin·es nous emmener dans un club underground voisin, conçu pour ressembler exactement à une station de métro de New York. Mon sourire sur les photos est si large. Je brandis une rose jaune qu’un homme m’a achetée à un vendeur de fleurs de passage.
On a fait des shots de tequila. J’ai serré tout le monde dans mes bras.
Quand je suis rentrée chez moi à la mi-décembre, Omicron était en mouvement. J’ai décidé de m’enfermer chez une amie proche pour la durée de la vague, qui a finalement duré plus d’un mois. Alors que je m’attachais à son nouveau bébé et que j’apprenais quelles chansons d’ABBA, exactement, pouvaient le calmer ( ce bébé a des goûts fantastiques ), j’ai observé avec une horreur croissante le nombre de cas, d’hospitalisations et de décès.
L’horreur n’était pas seulement d’assister à un bain de sang au sens figuré. C’était aussi de voir le message de plus en plus dystopique « La pandémie est terminée, peu importe ce qui arrive » du New York Times et des autres grands médias. Alors que le nombre de morts atteignait *un 11 septembre par jour*, il était clair qu’aucun nombre de décès ne pouvait être considéré comme une mauvaise nouvelle pour notre cher président Biden. La stratégie était en béton ; aucun média n’allait mentionner que c’était, objectivement, un désastre.
Mon père, qui a la soixantaine et qui, à l’époque, souffrait d’un cancer du rein de stade 2 non diagnostiqué, m’a appelé pour me dire que peut-être, d’après ce qu’il lisait dans le journal, nous devrions tous « sortir et l’attraper ». (Grâce à de nombreuses séances où j’ai hurlé des statistiques à mes deux parents, iels n’ont jamais cessé de se masquer et iels n’ont pas contracté le COVID).
Je vous raconte cette histoire parce que j’espère qu’elle aura plus de résonance que le simple fait de dire « Je porte le masque et vous devriez en faire autant ! ». J’espère pouvoir décrire mon propre processus d’acceptation de quelque chose qui n’aurait jamais dû être difficile à croire pour moi, en tant que militante de gauche : que notre gouvernement nous mentait. Que nous étions contraint·es de retourner travailler dans des conditions dangereuses. Que « la fin » du COVID était une commodité politique plus qu’une réalité scientifique. Que les personnes vulnérables, comme toujours, étaient laissées de côté.
Un an s’est écoulé depuis mon épouvantable hiver Omicron de reconnaissance du COVID, un an depuis que j’ai lâché en larmes mon fantasme de « retour à la normale ». C’est une année pendant laquelle j’ai été attentive aux voix des personnes les plus touchées et je me suis raccrochée à mon expérience d’activiste de gauche.
Je me suis demandé à qui servaient ces récits de la « fin » du COVID.
Je me suis demandé : qui est le plus touché par la pandémie ?
Je me suis demandé : si ce n’est pas maintenant, quand ?
Je me suis demandé, si ce n’est pas moi, qui ?
Et au cours de cette année, beaucoup de choses ont changé pour moi. La première est que je me masque à l’intérieur avec un masque de haute qualité dans les espaces publics, toujours. La deuxième est que j’ai commencé à considérer le COVID non pas comme un désagrément temporaire que je pouvais enfin « surmonter », mais comme une réalité de la vie avec laquelle je devais apprendre à vivre, en toute sécurité, et de manière à minimiser le mal que je fais aux autres.
Je construis une communauté avec d’autres activistes du COVID, des rédacteur·ices et tous·tes celleux qui osent imaginer avec nous un monde meilleur, plus sûr et plus généreux.
Mais surtout, j’apprends, je travaille, je fais des recherches et j’écris. J’ai appris que le COVID Long est courant et qu’il présente des marqueurs physiques dangereux comme de minuscules caillots dans le sang, des dommages cognitifs et une persistance virale. J’ai appris que, selon les estimations prudentes du Brookings Institute, 16 millions d’Américain·es vivent actuellement avec un COVID Long, soit 5 % du pays, et que 2 à 4 millions d’entre elleux sont trop handicapé·es pour travailler.
J’ai appris qu’il existe des solutions techniques ! Des solutions comme la ventilation de haute qualité et les rayons UV ! J’ai appris que les milliardaires connaissent ces options et les utilisent.
Plus important encore, j’ai appris que l’élimination du COVID est à la fois essentielle et possible.
Il y a eu beaucoup de colère en ligne, mais je veux inviter tous·tes celleux qui ne savaient rien de tout cela à rejoindre le mouvement pour sauver des vies, arrêter la propagation, purifier l’air et traiter le COVID Long. Je veux vous inviter tous·tes à vous masquer, à riposter et à vous joindre à nous pour imaginer tous les beaux avenirs irréalistes que nous pourrions avoir si seulement nous nous battions pour eux.
Je veux vous inviter à nous aider à tenir Joe Biden et le parti démocrate responsables d’avoir rompu leur promesse de campagne de mettre fin à cette pandémie, et de poursuivre au contraire les politiques violentes et eugénistes de l’administration Trump.
Je veux que vous portiez un masque non pas parce que je le veux, mais parce que vous le voulez.
Je veux que nous mettions fin au COVID ensemble parce que nous le pouvons.
Et j’apporterai les marqueurs. Si vous apportez la pancarte.
Julia Doubleday
paru le 22 février 2023 sur The Gauntlet, une newsletter sur les infos et les commentaires à propos du COVID.
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Lire aussi :
Pourquoi la presse financière fait-elle mieux que la gauche sur le COVID ? Julia Doubleday
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