Lettre à l’Intérieur



Nous y étions. Dans la fumée. Dans le brouillard toxique. À se faire disperser par les gaz. Puis par les charges. Nous demandant ainsi de rentrer à la maison. Et de nous taire. Une lettre en réponse. Une lettre à lire à haute voix. En attendant la suite.

Lettre à l’Intérieur,

On se vouvoiera. Nous ne sommes pas des proches. Vous, cadres de sécurité d’une République occidentale du 21e siècle. Le « vous » est donc de rigueur, en cette période de trouble, pour ne pas semer davantage de malentendu entre nos deux mondes.

Vous l’avez décidé : vouloir en terminer avec la contestation de ces dernières semaines et de ces derniers mois. En finir avec les personnes en désaccord. En terminer avec ces regroupements qui disent « non » à vos choix, à vos réformes et à votre manière de gouverner. Je n’évoquerais pas ici vos manières de vivre. Elles feront l’objet d’une autre discussion.

Vous l’avez décidé : ne plus écouter la rue. Disperser les manifestant-te-s. Vite fait. Bien fait. Celles et ceux qui résistent. Les provoquer pour ensuite les faire taire. Les faire disparaître. De préférence sous la fumée et sous la honte. Ne plus voir d’opposition populaire inscrire son action dans la réalité quotidienne et dans les médias dominant... à coup de gaz lacrymogène et de charge. Et dans cet élan de domination policière, de spectacle et de précipitation, vous n’épargnez personne : ni enfants, ni ancien.ne.s, ni simples pieton-ne-s en libre circulation. Applaudissons.

Vous l’avez décidé : ne plus vouloir donner vitrine à la colère des précaires, des travailleur-euse-s, des exclu-e-s et des solidaires. Ne plus savoir publiquement ce qu’il se dit chez nous. Nous ignorer. On ne doit plus entendre nos voix. Tout doit redevenir calme. Mais non... la colère ne s’évapore pas comme de la fumée… reste alors la violence de certain-e-s d’entre nous, que vous aimez exacerber pour vous rassurer et vous protéger médiatiquement… Mais qui crée les situations de violence ? La surdité et la cécité d’un gouvernement qui devient dangereux dans son déni d’autoritarisme. Gouvernement dans lequel vous avez laissé la police s’attribuer l’autonomie et la protection nécessaire pour exercer des actes de répression et d’étouffement de la parole populaire et sociale. Police devenue milice privée et organisée, protégeant uniquement le pouvoir et non son peuple. Ce même gouvernement qui fait disparaître des mots pour que nous ne puissions plus nommer les choses : « violences policières ». Groupe de mots, d’après vous, trop assimilé à la violence d’état ou institutionnelle. C’est pourtant le cas. En faisant disparaître des termes, vous pensez faire disparaître des actes. Le premier acte d’une dictature est de faire disparaître le langage commun… Nous sommes la mémoire des mots et l’enregistrement des actes.

Rappelez-vous, cadres de la sécurité en Marche. Votre parcours. Chaque jour se mettre à dos et à sang : les avocat-e-s, les instituteur-trice-s et les professeur-eure-s, les pompiers, les ouvrier-e-s, les cheminot-e-s, les conducteur-trice-s, les fonctionnaires, les médecins, les infirmier-ère-s, les retraité-e-s, les chomeur-euse-s, les précaires, … et celles et ceux qui rejoignent les défilés les jours de grève. Nous sommes nombreuses et nombreux. Et nous sommes lassé de votre discours de la « représentativité ». Regardez et écoutez. Vous compterez demain. Nous sommes les métiers et l’intérieur de votre république.

Vous l’avez décidé : passer les choses en force. Et faire pourrir la situation. Incendie mal éteint. Poussant les personnes à durcir leurs positions et à user les moyens en leurs possessions : bloquer l’outil de travail. Bloquer les réseaux. Bloquer la rue. Bloquer les productions. Et s’appauvrir pour lutter. Mais vous ? Rien vu. Rien entendu. Et accuser le mouvement de grève de violence et d’égoïsme… Hypocrisie et lâcheté...

Écoutez chers cadres de sécurité. C’est l’oubli et l’ignorance qui nourrissent les drames. Sans détour. C’est le déni et l’injustice qui sont les réelles violences de cette société que vous défendez.

Lutte d’idées. Lutte d’idéaux. Lutte inégale, hélas, face à vos policiers. Donc écoutez. Le droit de manifester. Le droit de se regrouper. Le droit de dire non. Le droit de lutter.

Vous n’y ferez rien. À discours techniques : réponses affectives et éthiques. La réponse est non. La table des négociations n’est pas uniquement dans vos ministères. Elle est aussi dans la rue.



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