Il y a quelques semaines on s’offusquait encore de l’usage de drones par les autorités chinoises pour faire respecter le confinement en surveillant la population.
À peine un mois plus tard, on apprend dans un article de France Bleu Bourgogne que cette pratique est déjà reprise en France, ici en banlieue de Dijon, dans les quartiers populaires de Quetigny et Chevigny.
On retrouve là deux motifs typiques des technologies sécuritaire.
L’expérimentation coloniale et endo-coloniale
Comme tout produit à introduire sur un marché, ici le marché de la coerciction, les nouveaux dispositifs de maintien de l’ordre passent par des phases plus ou moins longues d’expérimentation, avant leur généralisation. Ces expérimentations ce sont les territoires coloniaux et endo-coloniaux [1] qui en font les frais.
Comme le rappelle le sociologue Mathieu Rigouste dans ses différents ouvrages, les « cités sensibles » - comme on a coûtume de les appeler dans les médias dominants, afin de légitimer l’état d’exception policière permanent qui y règne - ont été le théâtre de la mise en place des polices de choc, comme la BAC, mais aussi des armements dits « à létalité réduite » comme les Flashball dans les années 90 et les LBD dans les années 2000. Concernant la surveillance, des hélicoptères sont expérimentés dans les banlieues à partir de la révolte de 2005.
Pour ce qui est plus précisément des drones, ceux-ci ont fait leur apparition en contexte de maintien de l’ordre en juillet 2006 avec le survol de la Seine-Saint-Denis par un avion de type Cessna équipé d’une caméra vidéo télécommandée. Un autre vol a eu lieu en décembre 2006 équipé d’« une caméra thermique embarquée pour déceler d’éventuels débordements et les voitures brûlées à la Saint-Sylvestre. » [2]
Antoine Di Zazzo, PDG de SMP Technologies, qui fournit déjà les forces de l’ordre françaises en Taser, expliquait en 2010 travailler au développement de drones armés « capables de répérer « les meneurs » « dans le cadre d’une émeute » et de les neutraliser à l’aide d’une balle lançée par le X pistol, un petit canon qu’on a placé sous le drone » [3]. Développement pour une application endo-coloniale donc, et pour lequel « on a fait des exercices de simulation à l’étranger » ajoute le PDG.
La naturalisation des technologies sécuritaire dans les « démocraties libérales »
Ces drones on les retrouve depuis régulièrement, que ce soit dans les cités, mais aussi dans les manifestations depuis le printemps d’émeutes contre la Loi Travail en 2016, ou sur les territoires en lutte comme les alentours de Bure ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ces dernières années.
Le 31 janvier, alors que l’épidémie de coronavirus battait son plein en Chine dans la relative insouciance des nations occidentales, le Global Times, un tabloïd officiel du régime chinois, publiait une video montrant l’usage fait par les autorités locales de drones, pour ordonner aux passants de rentrer chez eux ou de porter un masque.
Walking around without a protective face mask ? Well, you can't avoid these sharp-tongued drones ! Many village and cities in China are using drones equipped with speakers to patrol during the #coronavirus outbreak. pic.twitter.com/ILbLmlkL9R
— Global Times (@globaltimesnews) January 31, 2020
« Entrain de marcher sans masque ? Eh bien vous ne pourrez pas échapper à ces drones à la langue bien aiguisée ! De nombreux villages et villes de Chine utilisent des drones équipés de hauts-parleurs pour patrouiller pendant l’épidémie de coronavirus. »
Cette vidéo de propagande du PCC, fut largement relayée dans les médias et réseaux sociaux occidentaux où elle a suscité de nombreux commentaires s’inquiétant des pratiques « orweliennes » du régime chinois.
La Chine est en effet devenue ces dernières années l’épouvantail idéal en matière de technologies de surveillance. Le journaliste Olivier Tesquet, auteur de À la trace, enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance dresse ainsi un tableau inquiétant de la surveillance, en particulier dans la province du Xinjiang :
« Cette vaste région du nord-est de la Chine, à majorité musulmane, peut aisément être considérée comme la zone géographique la plus surveillée de la planète. [...] À Urumqi, la capitale, les caméras de surveillance, équipées des dernières technologies de reconnaissance faciale, sont omniprésentes, tout comme les contrôles de police. Aux check-points, les forces de l’ordre scannent les cartes d’identités des habitants et peuvent à tout moment réquisitionner leurs téléphone pour en consulter le contenu. À l’entrée des supermarché, des banques, les 13 millions de Ouïghours, ces sunnites turcophones traqués par le pouvoir central, peuvent être oscultés informatiquement. Lorsqu’ils achètent un couteau dans une droguerie, leur état-civil est gravé sur la lame sous la forme d’un code QR. Inscrits dans une base de donnée vertigineuse, les résidents sont classés en trois catégories : sûr, normal, dangereux. Leur ADN est méticuleusement collecté, leurs empreintes digitales, consignées, l’empreinte de leur iris, archivée, leur groupe sanguin, inventorié, leur voix, enregistrée. » [4]
À ces sombres observations, on peut ajouter les nombreuses inquiétudes autour du crédit social, grace auquel « les citoyens sont désormais notés en fonction de leurs bonnes et mauvaises actions » [5].
Si ces inquiétudes sont légitimes, on a du mal à ne pas y voir une sorte d’exotisme malsain, héritier du péril jaune et de l’image du despote oriental, qu’ont pu incarner tour à tour les Ottomans, les Soviétiques, puis aujourd’hui la Chine, la Russie, ou l’Arabie Saoudite. Et pour cause, pour reprendre l’analogie d’Olivier Tesquet, ces technologies, tout comme le nuage de Tchernobyl, ne connaissent pas les frontières.
Un coup d’oeil sur leur origine suffit à s’en convaincre. Un dispositif comme le crédit social trouve ainsi son origine dans le « score FICO », développé par un organisme de crédit américain dans les années 60 pour évaluer la solvabilité des souscripteurs. Faut-il par ailleurs rappeler comme le fait Mathieu Rigouste l’implication des forces de l’ordre française dans la formation de l’appreil sécuritaire chinois ?
« Deux mois après la répression sanglante d’émeutes au Tibet, au printemps 2008, la Chine reçoit une délégation de la gendarmerie française pour former ses policiers en partance pour Haïti et le Soudan, avec un volet spécialement consacré au maintien de l’ordre. À la suite de cette présentation, elle se serait « montrée vivement intéressée » et aurait envisagé « un développement en continu de la coopération franco-chinoise dans le domaine de la sécurité » ». [6]
Qui plus est - et cette importation de l’usage des drones pour faire respecter l’« état d’urgence sanitaire » en est une nouvelle illustration - les expérimentations sociales de ces dispositifs finissent inexorablement par s’imposer jusque dans les régimes dit « libéraux ». Ainsi, en France, si le scoring [7] est interdit, Olivier Tesquet souligne qu’on en retrouve l’esprit dans la volonté sarkozyste de conditionner l’octroi d’aides sociales au comportement des enfants, notamment dans la lutte contre l’absentéisme en classe. Quant à la reconnaissance faciale plusieurs expérimentations sont déjà en cours dans des villes comme Valenciennes ou Toulouse, des expérimentations épaulées par l’américain IBM et... le chinois Huawei.
L’exemple de cette rapide naturalisation du drone pour surveiller massivement la population n’a donc rien de surprenant. Elle s’insère dans des échanges néocoloniaux qui sont monnaie courante dans le domaine sécuritaire, et elle est facilitée par un « état d’urgence sanitaire » qui permet de transgresser aisément les maigres barrières symboliques entre les « états autoritaires » et les « démocraties libérales ».
Rappelons qu’il y a quelques mois Mounir Mahjoubi, qui était alors candidat à l’investiture LREM pour la mairie de Paris, proposait déjà d’équiper la police municipale parisienne de 240 drones de surveillances. Une proposition défendue localement par le conseiller municipal dijonnais Laurent Bourguignat (LR).
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info