Après les hangars agricoles destinés à l’élevage intensif de volailles, après quelques champs d’éoliennes, on voit en Côte-d’Or se multiplier les dossiers de méthaniseurs et les projets de champs de panneaux photovoltaïques sur des terres très rarement déjà artificialisées, parfois sur des terrains boisés ou naturels, et souvent sur des terrains agricoles. Qu’on se rassure ! des dossiers de « bassines agricoles » sont aussi en préparation...
Le photovoltaïque, ça eut payé, et ça paye de plus en plus !
► Il ne s’agit pas dans l’immense majorité des cas de projets agricoles, encore moins écologiques, mais de projets économiques et mêmes tout simplement financiers. Seules les plus grosses exploitations peuvent s’engager dans de telles aventures, capables de mettre à la disposition des investisseurs des parcelles de plusieurs dizaines d’ha. Les écarts entre les agriculteurs les plus pauvres et les plus riches continuent ainsi à se creuser. Certains départements tentent de freiner les appétits des plus voraces en réduisant la surface par exploitation, avec par exemple 12 ha et 7.5% de la SAU (surface agricole utile) par exploitation en Haute-Saône, mais 50 ha en Côte-d’Or. La surface totale par projet est aussi souvent « limitée » à 50 ou 60 ha, ce qui reste énorme, ne serait-ce que d’un point de vue paysager. La Haute-Saône, qui elle aussi fait partie de la Région Bourgogne – Franche-Comté, exige aussi (mais pour combien de temps encore ?) que dans la séquence très formelle Éviter – Réduire – Compenser, le promoteur fasse la preuve, pour qu’un projet gourmand en emprise foncière soit accepté, que ce projet ne peut pas être réalisé « en zone sans enjeu agricole ou forestier », ni dans « des friches urbaines ou péri-urbaines pour éviter la consommation de terres agricoles », ni dans des structures « foncières en zone urbaine ou urbanisable » (toitures et parkings).
Ce qui apparaît, c’est donc une prime aux « gros » céréaliers, ceux que François de Closets dénonçait déjà dans Toujours plus, en... 1982. Tans pis pour les petits céréaliers, tant pis pour les exploitations polyculture - élevage, les exploitations situées en zone de bocage, et surtout les éleveurs.
Le marché est juteux : 30 ha mis à la disposition d’un promoteur pendant 30 ans rapportent au propriétaire du terrain environ 3,2 millions d’euros à terme échu (en plaçant le capital et les intérêts cumulés, et ce, même à 3% l’an, sans prendre en compte l’inflation). Si, dans le Sud de la France, certaines locations dépassent aujourd’hui 5000 € l’ha, la somme fluctue, selon certaines indiscrétions, autour de 2200 € en Côte-d’Or. C’est souvent plus chaque année que la valeur marchande du terrain, et ce pendant 25 ou 30 ans. Autant dire que le vœu de Christian Dupraz, chercheur à l’INRAe (cf. Que Choisir, numéro 621, février 2023, page 52) de voir supprimée la rémunération de l’agriculteur a peu de chances de rencontrer un écho favorable dans le monde agricole ! De tels propos sentent la poudre...
« I want my money back ! »
► Ces installations constituent bel et bien une réduction significative de la production agricole, avec leurs classiques 5 brebis à l’ha comme unique enjeu agricole. C’est en fait plus pratique et moins onéreux qu’une tondeuse, mais l’engagement écolo est toujours martelé avec autant de trémolos dans la voix ! Moi, je n’hésiterais pas à peindre les brebis en vert ! Il est fréquent par ailleurs (cf. Que Choisir, numéro 621, février 2023, page 51) que des serres photovoltaïques n’abritent aucune activité agricole. Certains responsables commencent à ouvrir les yeux sur ces élevages fantômes de moutons photovoltaïques. À titre d’exemple, lors d’une journée d’échanges (rencontres professionnelles) sur le thème « Eau et Changement climatique », organisée par la Chambre d’agriculture de Bourgogne – Franche-Comté, le 22 11 2022 à Genlis, 21, Jean-Luc Saublet, ADEME BFC, déclare haut et fort qu’il « refuse que l’agrivoltaïsme se réduise à des projets avec 2 moutons à l’ha comme alibi agricole ». Cause toujours !
La preuve de la perte de production agricole est l’instauration d’une « compensation agricole »
(entre 1500 et 2000 € par ha, selon la qualité des sols, dus en une seule fois en début de mise en œuvre du chantier), autant dire rien dans le budget global des promoteurs. Et les porteurs de projets, qui restent propriétaires des fonds consignés à la Caisse des dépôts, ont le dernier mot, en commission, pour désigner l’opération qui va profiter de cette manne ! « I want my money back ! », comme disait Margaret Tatcher.
Diviser pour régner
► Les dossiers sont scindés en deux volets : permis de construire d’une part, qui inclut l’étude d’impact écologique, et volet agricole d’autre part (« étude préalable » avec compensation éventuelle si le projet dépasse 5 ha, du moins en Côte-d’Or). Donc, dans les communes dépendant d’un SCOT, d’un PLU, le volet PC échappe à la CDPENAF (à moins qu’elle fasse l’effort de s’auto-saisir), donc avec lui l’étude des enjeux environnementaux. De plus, les études d’impact écologique sont à de rares exceptions près des pavés de 500 pages constitués de copiés-collés d’un dossier à l’autre pour 95% du volume. Il n’y a souvent que quelques rares visites formelles sur le terrain. C’est affligeant.
Greta attendra !
► Autre problème : Il ne pas négliger les années de fonctionnement d’un panneau pour compenser la masse de GES émis par sa fabrication, son transport, son installation, son démantèlement et son recyclage, qui gomme pour une part non négligeable le bénéfice d’une énergie électrique dite "propre". Et il paraît que les terres rares se font de plus en plus rares...
Le grand écart
► Le monde agricole en général et la FNSEA (syndicat majoritaire) en particulier jouent un rôle ambigu. D’un côté, ils se plaignent à très juste titre de voir se poursuivre l’artificialisation des sols agricoles, malgré tous les gardes fous existants et en préparation, mais d’un autre côté ils sont complices par leur vote généralement favorable en commission de tous les projets photovoltaïques de dizaines d’ha qui sont une forme d’ « artificialisation rampante ». Je ne connais pas un seul cas où les propriétaires exploitants auraient été contraints d’accepter un projet photovoltaïque, sans même oser évoquer une expropriation... L’argument, partiellement recevable, que ce type d’opération pérennise des exploitations fragiles dans des secteurs en difficulté se heurte à l’évidence de montages financiers où les enjeux agricoles deviennent dérisoires au regard des loyers perçus.
Une représentation à géométrie variable
► La constitution de la CDPENAF donne un poids démesuré aux agriculteurs – propriétaires fonciers, autant dire, en caricaturant à peine, à la FNSEA : deux voix pour les écologistes, deux voix pour les représentants des forêts, une voix pour l’INAO, très sensible aux enjeux climatiques, une voix pour les chasseurs, deux voix pour les représentants de l’État. Pour le reste, en s’en tenant aux membres de la commission qui font l’effort de se déplacer ou de donner une procuration, cinq voix sont détenues par les agriculteurs (Chambre d’agriculture, Coordination rurale, FDSEA, Jeunes agriculteurs, Confédération paysanne). À noter que la Confédération est généralement plus proche des positions des écologistes que de celles des autres représentants du monde agricole. Les représentants des collectivités territoriales (Conseil départemental, EPCI, maires...) et de la propriété privée détiennent quatre voix. C’est le cheval de Troie de la commission car, et c’est bien évidemment légal, plusieurs de ces représentants appartiennent au monde agricole, qui se retrouve surreprésenté dans la commission. Il reste qu’en Côte-d’Or, la parole est libre et le respect des prises de position de rigueur. Mais au moment du vote, les intérêts écologiques ne font pas le poids face aux intérêts corporatistes.
Un oranger, sur le sol bourguignon...
► Les promoteurs vantent souvent les vertus écologiques des champs de panneaux (herbe plus dense sous les panneaux, protection des brebis contre les prédateurs (loup, y es-tu ?), absence d’impacts sur la faune et la flore, etc. En fait, la réalité est moins réjouissante. Les champs sont clos, ce qui rompt les couloirs écologiques pour les mammifères (je préfère ne pas parler de « gibier »), et pour les promeneurs. S’il est vrai qu’une prairie, même artificielle, est moins pauvre en terme de biodiversité qu’un champ de céréales NPK-BAYER-MONSANTO, la flore y reste pauvre. Si les insectes sont assez peu impactés, les chiroptères et les oiseaux le sont, eux, beaucoup. De plus, ces derniers, quand les panneaux sont implantés sur des couloirs migratoires, prennent ces panneaux pour une étendue d’eau, et sont « déboussolés ». La seule étude sérieuse sur le sujet est celle de l’OFATE. Elle date un peu mais ses conclusions sont très réservées. La seule approche positive est celle que l’article de L’Âge de Faire relate, à savoir des ombrières sur des arbres fruitiers de type abricotiers dans le sud de la France. Ce n’est pas tout à fait encore au programme en Bourgogne...
En conclusion, on peut donc être écolo ET hostile à cette politique qui ne profite qu’à une minorité (promoteurs et grands propriétaires fonciers), mais qui sait se parer de superbes plumes vertes... Et la loi APER ne peut que conforter un peu plus cette dérive…
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info