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Sortie de confinement



Un texte rappel afin de ne pas laisser l’amnésie recouvrir la mémoire.

Le nuage de fumée a fait craindre l’incendie et provoqué la frayeur, mais il n’y a pas eu d’incendie.


Proverbe soufi

La Peur

« Un vieil indien expliquait à son petit-fils que dans chaque être humain il y a deux loups qui se font une guerre sans merci. Un loup représente la colère, la jalousie, l’orgueil, la peur et la honte ; l’autre est la douceur, la bienveillance, la gratitude, l’espoir, le sourire et l’amour. Inquiet, le petit garçon demande : « Et quel loup est le plus fort, grand-père ? » Et le vieil Indien lui répond : « Celui à qui tu donnes à manger. »
Conte de la tradition amérindienne

La possibilité d’un danger arrive. C’est la panique. On se méfie de quiconque à un faciès qu’on assimile à celui d’un asiatique. On se jette sur les masques, les gants, le gel hydroalcoolique. On dévalise les supermarchés. On se terre chez soit avec des réserves pour plusieurs mois.
Le péril est proche, la peur nous le signale. Mais qu’est-ce qui nous menace précisément ? Nous ne le savons pas. Ça change de forme, d’intensité, de dangerosité. Nous sommes promenés d’une émotion à l’autre et notre capacité de discernement s’éloigne. Alors nous choisissons d’accepter la peur, mais refusons de nous y soumettre. Nous la percevons sous sa fonction strictement indicative. Elle transmet un message à notre corps, afin qu’il réagisse. Toutefois si nous la laissons nous envahir, nous risquons la panique, l’anxiété, les phobies, le repli sur soi et sa communauté, l’égoïsme, l’agressivité.
Alors nous avons choisi de l’écouter sans lui obéir, de lui faire face face plutôt que de la fuir, afin qu’elle nous inspire la vigilance et la prudence. Pour narguer la peur, nous avons dû autant faire usage de notre mental que de notre corps. L’expérience de la présence, l’attention à la sensation, la captation des impressions nous ont permis de reconnaître et d’accueillir la peur, d’observer son influence sur nous, notre corps, nos pensées, nos émotions, nos réactions. Nous avons discerné les stratagèmes qu’elle a employés pour nous envahir. Nous l’avons regardé avec une pointe d’ironie et nous avons ouvert notre expérience sensible à tout le reste, les couleurs, les sons, les goûts, les sensations dont la peur ne peut se nourrir. Cela nous a mis dans un état de présence calme et attentive face au potentiel danger. Et cette vigilance nous a semblé aussi importante pour la suite, afin de ne pas laisser s’installer l’habituation et l’amnésie. Pour ne pas baisser la garde, ne pas reprendre l’existence mécanique d’avant.

« Il y a une nuit qui s’est précipitée sur l’après-midi, la chassant prématurément du jour, étendant sa noirceur et ses ombres dans tous les recoins, ne laissant que quelques lueurs et reflets.
Cette invasion obscure a été si rapide qu’elle a surpris Elias Contreras et la Magdalena au retour du champ de maïs.
Ils sont déjà près du village, mais la nuit est si lourde et si imprévue que les brèves lumières qui la peuplent ne sont pas prêtes encore.
Comme si les lucioles, les étoiles, la lune et les scintillements étaient restés dans un autre calendrier ou s’étaient trompés de géographie et n’étaient pas parvenus à temps à la nuit qui régnait déjà en maître sur les montagnes du sud-est du Mexique.
Elias Contreras sait. Il connaît, à force de les parcourir, les chemins que la nuit créé sur les chemins du jour. C’est pourquoi Elias prend par la main la Magdalena, qui est restée paralysée avec un soupir de peur quand elle a vu tout ce noir.
La Magdalena est dans cette région parce qu’elle est venue aider Elias Contreras dans le combat contre le mal et le méchant, mais elle n’est pas sur son terrain. Elle, ou lui, c’est selon, est de la ville. Et dans la ville, du moins dans la ville où vivait la Magdalena, la nuit n’en finit jamais de tomber. Avec toutes ces lumières qui se disputent la place, la nuit est là-bas à peine un prétexte pour que chacune d’elles se précise.
La main d’Elias a rassuré la Magdalena. Un instant, cette main est sa seule prise sur la réalité. Presque aussitôt, Elias met la main de la Magdalena sur le bas de son dos de façon qu’elle se tienne à sa ceinture.
« Ne lâche pas », dit Elias.
La peur empêche la Magdalena d’articuler ; tout juste est-elle capable de penser :
« Pas si folle », ou fou, c’est selon.
Elias quitte le chemin principal et ses grandes flaques et sa boue, et s’enfonce dans la forêt. Il marche lentement, Elias, veillant à ce que la Magdalena ne trébuche pas.
Dans le regard aveuglé de la Magdalena surgissent des terreurs et des fantômes qui n’appartiennent pas à cette terre. Les policiers qui l’entourent, qui lui mettent un sac puant sur la tête. Les coups et les sarcasmes dans l’auto. Ne pas voir, ne pas savoir. Les bruits qui s’éteignent. La dispute entre eux sur l’argent qu’ils lui volent. Les tours pour la, le violer. Le bruit de l’auto s’éloignant. L’évanouissement. Le chien qui flaire le sang des blessures…
« On y arrive presque », dit la voix d’Elias, et la Magdalena tremble encore quand il la fait s’asseoir sur un tronc.
Très vite, la Magdalena arrive à se repérer. Elias sait ce qu’il fait. À cet endroit règne une lumière brune qui permet, si ce n’est d’y voir clair, du moins d’évaluer les formes et les distances.
Elias doit penser que la Magdalena tremble de froid, car il l’enveloppe dans la toile plastique qu’il a dans sa musette en prévision des pluies.
«  ? » dit la Magdalena.
Elias semble comprendre que la Magdalena veut savoir d’où vient cette lumière dispersée et diffuse.
« Ce sont des champignons », dit Elias en grattant une allumette dont la lumière efface tout, ne laissant que son regard. « De jour, ils attrapent la lumière, et de nuit ils la lâchent petit à petit, pour qu’elle dure, pour qu’elle tarde, pour que ce ne soit pas tout de suite l’obscurité qui gagne. »
Répondant à une question non formulée, Elias dit :
« Ceux-ci ne se mangent pas, ils ne servent qu’à y voir. »
Ce n’est pas la voix d’Elias mais son odeur qui rassure peu à peu la Magdalena. Un mélange de maïs, de branchages, de tabac, de sueur.
« On va attendre un peu ici que la nuit prenne son temps et cesse de courir à toute allure », dit Elias.
[…]
La nuit est déjà plus claire quand Elias Contreras descend la colline, la Magdalena à son bras. C’est Elias qui rompt le silence :
« Écoute, Magdalena, n’aie plus peur, tu es avec moi ».
La Magdalena s’arrête juste pour demander :
« Comment tu as su que j’ai eu peur ? »
« La peur a une odeur », dit Elias, reprenant sa marche. « Elle sent le cauchemar, le mauvais rêve, la honte et la peine. »
C’est déjà le petit matin quand ils arrivent aux abords du village.
La Magdalena demande :
« Et qu’est-ce que sens la joie ? »
Elias Contreras, chargé d’enquête de l’EZLN, étend le bras comme s’il déployait l’avenir et dit :
« Comme ça... »
Une odeur d’herbe et de dignes terres rebelles s’élève et sent si fort qu’on peut presque la voir et la toucher et la goûter et l’entendre et la penser et la ressentir.
Comme si demain avait transparu dans aujourd’hui, juste un instant, et avait montré son trésor le plus fantastique, terrible et merveilleux, le fait qu’il soit possible. »

Conte de la tradition zapatiste
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Charles le Brun, La Peur et la Colère

La colère

Face à la gestion désastreuse de l’épidémie par les soit-disant « gouvernants », une colère est montée. Cette colère a rejoint celle qu’ils nous inspirent à chaque fois qu’ils démolissent tout ce qui est bénéfique à nos vies au nom de l’argent. Le cri de ce psychologue de l’hôpital de Mulhouse illustre pour le mieux cette colère :

« Je suis en colère et j’ai la rage, quand ils défilent dans les médias, montrent leur trogne à la télévision, font entendre leurs voix parfaitement maîtrisée à la radio, livrent leur discours dans les journaux. »
« Je suis en colère et j’ai la rage car je vois toute la journée des dizaines de personnes arriver en urgence dans nos locaux, et je sais que pour une bonne partie d’entre elles, elles n’en sortiront pas vivantes. »
« Je suis en colère et j’ai la rage car je sais que ces personnes mourront seules dans un service dépassé, malgré les courageux efforts des soignants, sans la présence de ceux et celles qu’ils aiment. »
« Je suis en colère et j’ai la rage quand je vois mes collègues soignant se battre tous les jours pour tenter d’apporter de l’aide à toutes les personnes qui se retrouvent en détresse, malgré des conditions de travail inacceptables. »
« Je suis en colère et j’ai la rage car cela fait des années que nous crions notre inquiétude, notre incompréhension, notre dégoût, notre mécontentement devant les politiques de santé menées par les gouvernements qui ont pensé que l’hôpital était une entreprise comme une autre, que la santé pouvait être un bien spéculatif, que nos vies avaient une valeur marchande. »
« Je suis en colère et j’ai la rage envers ces hommes et ces femmes politiques qui n’ont eu de cesse de détruire notre système social et de santé. »
« Sous peu, une fois que ce sera calme, je laisserai jaillir cette colère et cette rage, comme tous ceux et toutes celles qui les ont enfouies. Et croyez-moi ce moment viendra. Elles flamberont, et nous exigerons justice, nous demanderons des comptes. Nous arrivons… »

La colère et la rage ne sont pas seulement alimentés par leurs actes infâmes, elle l’est aussi par leur suffisance et leur mépris.
Scène 1
Le professeur Arnaud Fontanet, de l’Institut Pasteur, affirmait fin mars : « On n’est pas dans l’improvisation, on a depuis 2013 un dispositif de lits dans des hôpitaux de référence qui est susceptible d’accueillir des patients avec des infections respiratoires graves. Ce qui pourra nous permettre de faire face à des introductions épisodiques sur le sol français du coronavirus chinois – le scénario le plus plausible. »

Scène 2
Des infirmières de l’hôpital Saint-Antoine à Paris demandent à être reçues par la direction pour réclamer du matériel supplémentaire dans tous les services : masques, sur-blouses, lunettes. L’adjointe au directeur leur répond : « Vous croyez que j’ai que ça à faire ? ».

Scène 3
Didier Lallement, préfet de Paris, toujours fidèle à lui-même : « Ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux qu’on trouve dans les réanimations, désormais aujourd’hui, ce sont ceux qui au début du confinement, sont ceux qui ne l’ont pas respecté, c’est très simple. Il y a une corrélation très simple. »

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L’opportunisme

Le caractère exceptionnel de la situation nous a aussi parfois rempli d’enthousiasme, d’ardeur et d’exaltation :

Pour une fois les dirigeants ne mentent pas : l’après se joue bel et bien maintenant. C’est maintenant que les soignants ont à récuser toute obéissance à ceux qui les flattent en les sacrifiant. C’est maintenant qu’il nous faut arracher aux industries de la maladie et aux spécialistes de la « santé publique » la définition de notre santé. C’est maintenant que nous devons mettre sur pied les réseaux d’entraide, de ravitaillement et d’auto-production qui nous permettront de ne pas succomber aux chantages à la dépendance par quoi on cherchera à redoubler notre asservissement. C’est maintenant, depuis la prodigieuse suspension que nous expérimentons, que nous avons à nous figurer tout ce dont nous devons empêcher le retour et tout ce dont nous aurons besoin pour vivre au-delà de l’économie. C’est maintenant qu’il nous faut nourrir les complicités à même de borner l’impudente revanche d’une police qui se sait détestée. C’est maintenant qu’il nous faut nous déconfiner, non par simple bravade, mais de proche en proche, avec toute l’intelligence et l’attention qui sied à l’amitié. C’est maintenant que nous devons élucider la vie que nous voulons – ce que cette vie exige de bâtir et de détruire, avec qui nous voulons vivre et avec qui nous ne voulons plus vivre. Pas de care avec des dirigeants qui s’arment pour la guerre contre nous. Pas de « vivre ensemble » avec ceux qui nous laissent mourir. Nous n’aurons eu nulle protection pour prix de notre soumission ; le contrat social est mort ; à nous d’inventer autre chose. Les gouvernants actuels savent très bien que, le jour du déconfinement, nous n’aurons d’autre désir que de voir leurs têtes tomber, et c’est pour cela qu’ils feront tout pour qu’un tel jour n’ait pas lieu, pour diffracter, contrôler, différencier la sortie du confinement. C’est à nous de décider de ce moment et de ses conditions. C’est à nous de donner forme à l’après. À nous de dessiner les chemins praticables pour sortir du règne de l’économie.

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Le pacifisme

« Nous sommes en guerre », on l’aura compris. Et comme c’est la guerre, on ressort le mythe de la grande union nationale. Nous rappelons à ces salauds qui nous incitent à nous unir derrière eux dans leur guerre que c’est eux qui l’ont déclaré. Et qu’ils ont d’abord déclaré la guerre à ceux qui sont du côté de la vie. Ils ont déclaré la guerre à ceux qui soignent, à ceux qui enseignent, à ceux qui produisent leur marchandises, à ceux qui maintiennent en état leurs infrastructures, à ceux qui refusent de se soumettre à l’ordre économique. Une banderole prophétisait en novembre dernier : « L’État compte ses sous, on comptera les morts. » Et maintenant qu’ils ont réussi. Maintenant qu’ils ont soumis le vivant à la sphère financière et ont bousillé les services de base. Maintenant, ils nous jouent les grands airs de la solidarité, de l’union nationale. Fumiers. Vous êtes les plus adversaires les plus accomplis de la solidarité. Le lavage de cerveau que vous avez opéré sur nous a très bien fonctionné. La peur a terré la plèbe au fond de ses clapiers. Et la police règne. Mesquine, elle distribue amendes et coups de tonfas à qui pointe le bout de son nez. Qui pensait qu’un ordre autocratique pouvait s’imposer aussi vite, avec l’assentiment général. La menace, la peur et l’intimidation triomphent. Restez chez vous sinon vous allez mourir, ou vous allez faire mourir les autres, insensibles monstres.
Nous répondrons à cela : « nous ne sommes pas en guerre ». Nous préférons faire sécession, déserter, faire rupture, vivre l’autonomie. Nous sommes du côté de ceux qui ne sont rien, comme vous dites, ceux qui vident les poubelles, qui tiennent les caisses, qui livrent tout et n’importe quoi, qui continuent de s’échiner dans des conditions insupportables. Nous sommes de ceux qui ouvrent des brèches propices aux remises en cause. Nous sommes de ceux qui inspirent de nouvelles pratiques, de nouveaux désirs. Des pratiques et des désirs ingouvernables. Ceux de prendre soin de nous, de nos proches, de ce qui est là. Et d’entrer en résonance avec ceux et celles qui sont dans les mêmes dispositions que nous. Nos penchants tendent vers l’essentiel. Se nourrir sainement, se soigner simplement, se loger décemment, apprendre ensemble joyeusement, cultiver…

Le sentiment que nous avions au tout début de l’épidémie, c’est qu’il y avait un risque de mortalité élevée. Plus nous en apprenons et plus nous réalisons que la dangerosité a l’air de diminuer.
Un spécialiste

Alors on se souvient qu’en 1979 Neil Young chantait : It’s better to burn out than to fade away Mieux vaut brûler franchement que s’éteindre à petit feu. »).



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