Un Urbaniste qui construit des écoquartiers



Pour commencer l’été, des récits d’auto-stop pour se donner envie de prendre la route, et parce qu’on se répète toujours qu’en stop, on rencontre des gens incroyables. De l’emballage de poulets morts au maçon mystique, un premier récit sur le Spleen d’un constructeur de l’écomonde.

C’est le plein milieu de l’après-midi, sans ombres. La station service déverse ses services, et les gens baissent les yeux, prétextant n’importe quoi plutôt que de m’embarquer avec eux.

Un homme, propre sur lui, le crâne luisant et une petite fille au bout du bras me propose de venir avec eux, c’est ma route, c’est parfait. Je ne lui avais même pas demandé, prévoyant par avance un « non » gêné.

On entre dans sa voiture luxueuse, aux sièges de cuir blanc qui collent sur les cuisses. Ces voitures où l’odeur n’est plus humaine, purement machine, purement moderne, ce monde où la sueur n’existe plus, climatisée.

La conversation stagne, sans éclat, sans âme.
Jusqu’à ce qu’après avoir fait le tour de l’activité de la famille complète, parlé classes préparatoires, aumônerie, Parcours’Sup, je lui demande ce qu’il fait dans la vie.

« Je suis urbaniste. Je m’occupe de construire des ZAC. »

Je pousse un petit cri, mi-effarée, mi-excitée. Je lui annonce que nous sommes ennemis, ce qu’il a l’air de trouver honnête.
Ma première question porte sur le sens de sa vie : comment il peut faire trouver du sens à construire un monde d’écoquartier en plastique et en béton ?
Il hausse les épaules, c’est sûr qu’il y a pleins de problèmes et de questions dans ce secteur, mais lui, il croit faire le bien, il veut faire le bien.

Avons-nous la même notion du bien ?
Faire bien, ce serait construire des écoquartiers, en prenant plus de temps, avec des circuits courts. Développer l’industrie locale. Mais, là il doit travailler avec des éco-briques (petit jeu à faire entre amis : choisis un mot. Rajoute éco. Et voilà, le tour est joué) importées d’Autriche par camions entiers. Il trouve cela absurde.

Les communes l’empêchent de faire bien. Les communes veulent construire plus, toujours plus. Ensuite, des riches achètent des appartements, car en investissant ils paient moins d’impôts, puis ils sous-louent. Au final, ce sera des logements où « personne ne se sent impliqué ». Il parle de fantômes, il parle de l’échec de ce qu’il voudrait dans ces écoquartiers, du voisinage, des espaces partagés. Sans grande compassion pour ces états d’âmes, j’acquiesce, en effet, c’est râpé.

Mais pourquoi construire autant ?
Évidemment, il est plus facile de construire sur du vierge. On préempte une terre agricole, et on construit. C’est réglé assez vite, on appelle cela écoquartier et puis en quelques années, ça se délabre.
Il me parle de sa région, une région ensoleillée et qui accueille plein d’usines de technologie de pointe. Une zone attractive. Une région qui respire, qui attire plein de parisiens en mal d’un sentiment de nature ou de province.
Que faire de tous ces travailleurs aux salaires élevés et aux éco-aspirations ? Et bien, construire des éco-quartiers.
C’est étrange, objecte-je. Nous, dans notre région pluvieuse et froide, « l’éco-quartier des maraîchers » est habité par des gens qui n’ont pas de salaire élevé, que l’on a relogé là, un peu en périphérie, parce que c’est comme un éco-HLM, où tout est pensé, architecturalement pour que ce soit le plus triste possible. Vis-à-vis de quelques mètres, une ville de western, en carton peint couleur béton.
Il hoche la tête. Il a chaud. Sa fille lui parle, il la rembarre de son ton mielleux. Pas maintenant, ma chérie, je parle à la dame.
La dame sourit à l’enfant qui enfourne des biscuits au chocolat sans discontinuer dans sa petite bouche barbouillée en regardant une tablette. L’enfant se sert de la tablette avec virtuosité.
Il continue.
Oui. Le problème, c’est que ces quartiers pour les pauvres, on les met loin du centre-ville et loin des transports en commun. Il en a fini un il n’y a pas longtemps. Il l’a fini, même si « évidemment, plein de choses lui posent problème. Mais bon, je n’ai pas le pouvoir. » Je souris, gênée. Quand même, il choisit ce qu’il fait, je ne vais pas le plaindre dans sa voiture au cuir qui colle.

Et les enquêtes publiques ? Qu’en pense t-il ?
Bien sûr, une enquête publique n’a jamais été une concertation, ou lui, il ne le voit pas comme ça. Une enquête publique, c’est ce qu’il faut faire, mais bien sûr, ça ne change rien. Ce qui compte, c’est les dossiers des experts. Les communes engagent des conseillers écologiques, qui truffent leurs dossiers de plusieurs milliers de pages de « il faut veiller à », « il faudrait ». Les experts sont payés par la commune. Logiquement, ils soutiennent la commune et veulent que les projets se fassent, du moins, ils ne remettront jamais en question leur légitimité. Il pointe un problème de partialité, faisant appel à cette bonne vieille expression juge et parti.

Je lui demande ce qu’il faut faire pour le combattre, pour lui mettre des bâtons dans les roues.
Il réfléchit. Le problème des espèces protégées, c’est qu’il y a énormément d’espèces protégées, à différents niveaux. Alors, un projet pourra obtenir une dérogation à la destruction d’espèces protégées et devoir mettre en place des mesures de compensation (par exemple, recréer des zones humides).
Je le regarde. On n’arrête pas le progrès, hein ?

Je suis face à un homme, qui aime ses enfants, qui parle à sa fille très gentiment (trop même, c’est avilissant) qui ne croit pas vraiment à son métier, mais quoi, il faut bien travailler, et tenter de faire des choses bien, de l’intérieur. Bref, un homme blanc, bourgeois, de tradition catholique, démocrate et que cela rend triste que les animaux disparaissent, qui se plaint des cahiers des charges, mais qui fait quand même son beurre.
Un homme qui dit qu« on consomme la planète trop vite. Il faudrait mieux la consommer ».

Puis, il lâche ce qui le contrarie, au fond. C’est que dans ces projets, on appelle les appartements, « cellules ». Et ça, c’est quelque chose qui l’embête. Quand même, il ne voulait pas construire des prisons, lui. Mais tout est pensé en cellules, c’est l’unité de valeur. On compte tout en cellule maintenant.

Sa fille se plaint qu’il n’y a plus de batterie dans la tablette. Son fils l’appelle en haut-parleur dans la voiture luxueuse, et d’un geste, il décroche son smartphone. Il est dans le monde qu’il construit, cet éco-monde, rempli d’éco-briques, qui nous feront consommer moins de chauffage, dans le but, bien sûr, de consommer mieux la planète.
L’autoroute finit de dérouler, bandes blanches après bandes blanches dans un silence irréconciliable, celui de deux mondes, qui quoi qu’il arrive s’affronteront.



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