Samedi 8 décembre, nouvelle journée de mobilisation des gilets jaunes à Dijon. On décide avec quelques copains, copines, d’y faire un tour. Depuis le début, on n’est pas à l’aise. Partout les mêmes questions se posent. Notre place là-dedans ? Est-ce que l’on n’est pas en train de soutenir l’insurrection qui mettra l’extrême-droite au pouvoir... ? Comment cohabite-t-on avec des propos qui nous gênent, nous choquent, nous blessent… ?
Malgré tout, pour la 1ère fois depuis le début de ce mouvement, on se dit qu’on va le mettre, ce fameux gilet jaune dont tout le monde parle.
Nous voilà donc place de la République, il est 13h. Tout·es sapé·es comme jamais avec nos gilets, on suit le mouvement.
On commence à bouger rue de la pref’, pas possible d’aller bien loin. Grilles anti-émeute, flicailles et commissaire Di Bartolo qui vit son heure de gloire, se la jouant cow-boy solitaire face aux manifestant·es mais bien protégé par ses pions juste derrière. Rien de bien étonnant.
On remonte place Darcy. Arrivé·es là-bas, nouveau barrage de keuf, belle brochette de bacqeux prêts à en découdre. Bloqué·es, on fait face pendant un moment, regard de défi, provoc’ tranquille. Aucune insulte ne fuse, plutôt des trucs navrants, mais auxquels on s’est peu à peu habitué·es, genre « la police avec nous... »
Un jeune gars s’assoit sur une chaise à quelques mètres des bacqeux, il les fixe.
Un gros mec se pointe, sûr de lui dans son gilet jaune (hé oui, ça fait pas le même effet à tout le monde). Il prend à parti une clique de jeunes un peu plus bronzés que la moyenne à côté de nous, dont le gars sur la chaise, qu’il chope à la gorge violemment. Il lui balance salement « on veut pas de ta sale race ici, dégage ! ». « T’es pas un gilet jaune » (paye ton insulte)
Quelques personnes se mettent entre eux. Ils disent aux jeunes de partir pour que la situation se calme. Le jeune se tire, le facho reste, peu de personnes réagissent.
Visiblement le rapport de force au sein des manifestant·es a l’air d’inciter les gens à penser que le plus simple est de virer l’arabe plutôt que le facho vu l’ambiance dans le cortège. Un gars se met à pleurer, choqué par l’affichage de propos racistes sans aucun complexe. Trop sensible, diront ses potes.
La scène se déroule à moins d’un mètre de la BAC, on ne doute pas de leur jubilation intérieure. Les gens continuent à se friter quelques minutes autour de « il faut pas se friter entre manifestants ». Le facho est vite oublié, les jeunes gars sont bien loin... Le motif de l’embrouille, si grave qu’il est, n’est pas l’important. Le tout est de rester unis, coûte que coûte, fachos et gens raisonnables ensemble. Tous ensemble mais sans cette clique qui faisait tâche…
On part dans la foule avec des copines, ventre noué, cerveau en vrac, à la recherche de ce jeune. On veut prendre de ses nouvelles, voir s’il veut témoigner, lui exprimer du soutien... on se cogne à la Marseillaise, à des drapeaux français, à des « Dieudonné président », à des gars avec fleurs de lys, des drapeaux régionalistes... c’est un peu l’étouffement.
Boule dans la gorge, les larmes montent, ça sort pour certaines, ça rajoute de la rage dans le cœur pour d’autres. C’est trop, c’est le moment où l’on décide de l’enlever, ce gilet.
Les moments qui suivent, c’est la parano. On regarde chaque groupe avec suspicion. Peut-être c’est des fachos ? Sombre impression d’être au coude à coude avec des néo-nazis. Nos peurs planent au dessus de nous.
On se rappelle de ce gars la semaine dernière qui criait aux keufs « d’aller se faire enculer, on n’est pas des pédés, aller plutôt taper ces tapettes des Grésilles, eux ils sont pas français ! » ... dans une indifférence générale.
Moment banal, composition à l’extrême... certains camarades nous diront que les mots utilisés sont vidés de sens... Mais certains sont pour nous malgré tout remplis de nos histoires. Une de nos consolations aurait pu être de se sentir soutenues dans ces moments où c’est trop. Malheureusement on n’a pas eu et on a toujours pas l’assurance que, autour de nous, les gens auraient réagit en notre faveur si on avait interpellé celui qui aurait dit le mot de trop.
On ressort de ce samedi avec un goût amer en travers de la gorge. C’est sûr qu’on ne va pas aller faire la morale à chaque « enculé », c’est sûr qu’on ne changera pas les gens. Les seules idées qu’on ait eu dans ce grand bordel jaune c’est d’être là, d’apporter nos slogans, nos tags, nos affiches... de faire en sorte que ces gilets soit-disant apolitiques soient plus rouges et noirs que bleus marines.
Mais au lendemain de cet acte 4, malgré tout notre enthousiasme pour la révolte et l’insurrection, ce qu’il nous reste c’est un goût amer.
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