Au feu, les pompiers (All Firemen Are Basterds)



Dans l’extrême gauche francophone, scander « tout le monde déteste la Police » semble aller de soi. Il en va de même implicitement pour l’Armée ou les Gendarmes. Aujourd’hui, détournons un peu le regard vers une institution plus discrète, un autre système : les Pompiers. [avertissement : violences sexistes et sexuelles]

Appel à échanges, réflexion, témoignages

L’institution pompière semble avoir un statut à part dans l’imaginaire radical d’extrême gauche en France. Elle ne figure quasiment jamais dans les slogans scandés, les tracts distribués, ou les articles de notre presse en ligne militante et communautaire. Parfois-même, elle marche à nos côtés en manifestation, en tant que gilets-jaunes ou syndicalistes. A l’exception d’un appel à manifestation pour Julie (publié le 5 février 2021, Lons-le-Saunier) et d’un bref article syndical pour dénoncer des cas de harcèlement sexuel et de discriminations au sein de la SDIS 21 (publié le 19 février 2021, Dijon), peu de textes les mentionnent sur notre blog militant régional, ou même dans notre univers révolutionnaire francophone tout court. Et pour cause, à quoi bon s’arrêter sur les pompiers ? Que font-ils de mal ? Ne sont-ils pas des héros, exploités, prolétaires et gilets jaunes comme nous autres ? Ou bien sont-ils plutôt des hommes blancs, cisgenre et hétéro, comme les autres ? Cet article est un premier appel à discussion, à réflexion et éventuellement à témoignages.

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Sapeurs-violeurs, harceleurs-pompiers

La fin de l’article sur l’appel à manifester pour Julie en 2021 termine en esquive :

« L’affaire de Julie nous rappelle désagréablement que, pour l’heure, ni la police ni la justice patriarcale ne protègent encore les femmes. »

Or, cette affaire rappelle plutôt, selon moi, que… les pompiers ne protègent pas non plus les femmes. Ni cis, ni trans. Ni civiles (externes à l’institution), ni pompières (internes). Certains les violent. D’autres les harcèlent. Et aucun ne semble puni.
L’article sur le harcèlement sexuel et les discriminations de la SDIS21 affiche une photographie de banderole « RESPECT POUR LES FEMMES DE LA SDIS21 », mais ne reposte pas l’intégralité de l’enquête écrite par France Bleu Bourgogne. Ce dernier décrit un peu plus en profondeur le déni institutionnel des pompiers et de leur hiérarchie envers les violences sexistes et sexuelles dénoncées en interne par le syndicat autonome des sapeurs de Côte-d’Or.
Avec la confirmation d’impunité des "sapeurs-violeurs" de l’affaire nationalement connue « de Julie » ou le déni institutionnel des violences sexistes et sexuelles dans ce milieu, force est de constater encore une fois que ces affaires de viol et d’harcèlement ne sont pas des cas isolés, des « bavures ».
Les sapeurs-pompiers sont bel et bien au courant qu’il y a des sapeuses-pompières parmi eux [1] : elles ont commencé à rejoindre l’institution depuis 1976 au moins. Même la féminisation du nom de leur métier est connue de leur hiérarchie. Elle est donc possible [2] . Pourtant, elle reste méconnue, rejetée comme l’écriture inclusive, encore plus que chez notre détestée Police Nationale, moins discriminante sur ce plan-là que les Pompiers [3]. En effet, statistiquement en tout cas, la Police compte plus de femmes cis, en proportion des effectifs, que les Brigades de Pompier-es. In fine, je genre donc « sapeurs pompiers » au masculin pour ne désigner que les hommes cisgenre de l’institution.

All Firemen Are Basterds… 1612 !

Allez, osons, et proposons ici de parler un peu… De violences pompières. Et d’un nombre : « 1612 ». « All Firemen Are Basterds » (1-6-1-2) ou « Pompiers Are Basterds » (16-1-2)… Ou pourquoi pas « 1812 » pour éviter l’amalgame avec l’acronyme AFAB (Assigned Female At Birth). Viol en groupe d’une adolescente par 22 pompiers de Paris, harcèlement moral et sexuel en interne de la brigade de Côte-d’Or, harcèlement sexiste de victimes d’incendies via les réseaux sociaux, bizutages sur fond d’agressions sexuelles et de viol… Les articles de presse ne manquent pas sur le sujet des violences en milieu pompier, en France. L’institution "Pompière" n’est-elle pas qu’un énième pion de l’entreprise militaro-patriarcale qu’on pourrait rêver à démanteler, déconstruire, et ensuite réinventer ?

« Oui mais toi le jour où ton immeuble prend feu…

… Tu seras bien content de pouvoir appeler le 18 et voir débarquer leur gros camion dans la demi-heure. »
Effectivement, aujourd’hui, les Services Incendies et Secours Civiles restent un service public utile, utilisé, et à utiliser en cas d’urgence. Tout comme n’importe quelle personne victime de violence a le droit d’utiliser le 17 pour porter plainte sans être jugée, n’importe qui, aujourd’hui, a le droit de composer le 18 sans être jugé·e.
L’enquête sociologique de Romain Pudal « Retour de flammes » [4] présente d’ailleurs bien cette universalité du service rendu, sans condition de revenue, sans distinction, comme étant une valeur de base enseignée lors de l’entrée en service, en tant que volontaire ou que professionnel. Cependant, le sociologue, chargé de recherche au CNRS, décrit aussi dans son livre la « non-universalité » des profils sociologiques qui candidatent. Majoritairement des hommes blancs, cisgenre, hétéro. Il décrit aussi longuement les différentes contradictions propres aux brigades de secours et incendie, telles que l’origine populaire de la majorité des pompiers VS leur mépris de classe envers les « cassos ». Ou leur « humour » sexiste VS leurs codes et règlements « humanistes ». Ou encore la précarisation des sapeur·euses professionnel·les VS la professionnalisation des bénévoles.

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Un service public au service… des forces de l’ordre

Romain Pudal écrit que les Pompiers sont à la fois « la main gauche et la main droite de l’Etat ». Ils sont autant au service de la population qu’au service du gouvernement. Avons-nous besoin de ces pompiers qui viennent expulser des camarades de nos zones à défendre, comme celle du Jardin de l’Engrenage en 2020, sur ordre des autorités municipales ? Avons-nous besoin de ces pompiers qui éteignent la flamme de nos colères, nos colères qui incendient des poubelles, des voitures et des distributeurs automatiques ? L’histoire de la Street médic et ancienne Gilet Jaune assignée à 10 mois de prison ferme pour avoir manifesté sa colère contre un pompier de Paris lors d’une manif du 1er mai, en l’empêchant d’éteindre un feu de poubelle, rappelle que ces « soldats de feu » sont intouchables, non-violentables, au même titre que des CRS ou des PDG, et que toute agression mérite réaction et sentence rapide. L’État n’a bizarrement pas eu la même réactivité ni la même sentence pour aucun des 22 pompiers accusés de viol et violence en groupe dans la fameuse affaire de Julie.

Quel avenir pour ce boys’club ?

Avons-nous vraiment besoin des sapeurs-pompiers ? Leur travail est-il efficace ? Y a-t-il de moins en moins de blessé-es ? Moins d’accidents ? Moins de mort-es ? Moins d’incendies depuis leur institutionnalisation par les grandes métropoles occidentales ? Que font-ils pour lutter contre le changement climatique ? Que font-ils contre le sexisme ? Que font-ils contre le racisme ? Contre le colonialisme et contre la guerre ?
Les 5 % de pompiers militaires [5]… que font-ils pour la guerre ? Quelle différence entre l’uniforme bleu-rouge des gendarmes et l’uniforme rouge-bleu des pompiers ?
L’institution pompière respecte-t-elle le droit du travail ? Est-elle privatisable ? A qui profite-t-elle, financièrement ? Comment justifie-t-elle le travail titanesque mais gratuit et précaire effectué par les volontaires ? Par les stagiaires ? Par les prestataires et intérimaires ?
Nos imaginaires utopiques féministes, écologistes, décoloniaux et antiracistes veulent-ils conserver ses énormes entreprises de l’intervention en camions, en hélicoptère et 4X4 diesels ? Reposent-ils encore sur l’industrie mondialisée du pétrole, de la haute-technologie polymère, sur les mousses anti-incendies chargées de PFAS [6], et les canons à eau ? Comportent-ils ces métiers carriéristes et virilistes qui laissent peu de place aux sapeuses-pompières, mais en laissent beaucoup à la culture du muscle, du bizutage, à la fierté du sport et de la blessure [7] ? Existent-ils d’autres manières de porter secours, dans l’histoire, dans d’autres pays ?

Petite comptine traditionnelle en guise d’ouverture

« Au feu, les pompiers !
La maison qui brûle,
Au feu, les pompiers !
La maison brûlée.
C’est pas moi qui l’ai brûlée, c’est le p’tit gendarme,
C’est pas moi qui l’ai brûlée, c’est le p’tit pompier. »


P.-S.

Pour échanger, témoigner, n’hésitez pas à m’écrire à just-do-it [at] riseup [point] net !


Notes

[1Des femmes sapeuses depuis 1976 au moins, article sur Devenir-pompier.com (consulté le 09/10/2024)

[2Extrait de Pompiers.fr, article sur une « Sapeuse-Pompière » pour favoriser la mixité(consulté le 6 septembre 2023)

[3article sur hal.science "DES FEMMES CHEZ LES SAPEURS-POMPIERS de Roland Pfefferkorn" (2006), texte défendant que les écarts statistiques, d’effectifs sur le plan du genre, et les violences masculines y sont plus fortes que dans la Police Nationale.

[4PUDAL Romain « Retour de flammes », éditions La Découverte, Paris, 2016, ISBN 978-2-7071-8188-6

[5Selon Pompiers.fr, article « Devenir Sapeur Pompier militaire » consulté le 6 septembre 2023)

[6L’eau du robinet contaminée par des polluants éternels, Radio France, jeudi 19 septembre 2024 (consulté le 09/10/2024)

[7doc PDF : Corps, Masculinité, Virilité défensive des Sapeurs-Pompiers à l’épreuve du sport au travail de Christian Grijalvo dont seule l’introduction et le sommaire sont disponibles, aborde leur masculinité par l’angle du sport. Selon lui, les activités sportives chez les Sapeurs-Pompiers sont intégrées au quotidien à la journée de travail. Or, trente sept pour cent des accidents du travail chez les Sapeurs-Pompiers à l’échelon national sont imputables au sport.

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