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[Cluny] Résonance - mobilisation pour l’école


Saône-et-Loire

Mardi 23 mars, près de 150 personnes étaient mobilisées à Cluny pour dénoncer la baisse des moyens alloués l’an prochain aux établissements scolaires de Cluny et plus généralement dans l’éducation nationale, ce qui existe déjà depuis plusieurs années. Pour illustrer ce rasemblement voici un texte écrit et lu pour l’occasion, qui a beaucoup plu aux personnes présentes.

Dans son opus magistral intitulé « Résonance, une sociologie de la relation au monde », le sociologue professeur Hartmut Rosa (professeur à Jena, grande figure d’un humanisme éclairé et un chantre de la décélération) explique sa thèse selon laquelle les grands maux de notre modernité sont l’accélération permanente et l’optimisation, car cette dynamique de croissance ou d’augmentation aveugles entraîne un dérèglement fondamental de notre rapport au monde, dont la crise écologique, le rapport à la démocratie et la multiplication des cas de burnout sont les manifestations les plus visibles.

Dans ce système en tension, notre rapport au monde est réifié, le monde autour est instrumentalisé, car soumis à la contrainte d’une permanente optimisation, faute de quoi nous craignons d’entrer en récession. Nous sommes sommés de produire davantage et plus vite, faire plus avec moins, faire des économies, nous éloigner de ce que nous mangeons ou achetons, fabriquer des machines de plus en plus rapides qui, loin de nous dégager plus de temps pour nous et les nôtres, nous enchaînent à leur logique d’une vitesse toujours accrue, et nous obligent à travailler davantage, à nous déplacer plus vite et à être en permanence disponibles -pour travailler tout le temps, communiquer tout le temps, consommer tout le temps, produire toujours plus de biens qui souvent seront jetés et participeront à la destruction systématique de notre environnement.

Nous savons à quoi nous mène cette logique.

La crise que nous traversons nous contraint, individuellement et collectivement, à effectuer une pause, à prendre le temps de réfléchir au sens de notre travail et à la valeur de notre santé, à la réorganisation de nos vies professionnelles et familiales en cas de confinement, à l’importance de certains métiers souvent peu ou mal considérés. Nous avons l’impression d’être entrés dans une ère post-croissance, dans laquelle les valeurs se rajustent, se rééquilibrent : de quoi finalement avons-nous besoin pour vivre décemment, pour vivre bien ? Quels sont les critères d’une vie équilibrée et réussie ? Comment aider les plus fragiles ? Comment faire face aux bouleversements qui ébranlent notre société ? Comment armer nos jeunes face à toutes ces incertitudes, comment les préparer à entrer sereins dans un monde plus qu’instable ? Comment rester solidaires et parvenir à vibrer encore ensemble quand tout nous pousse à l’angoisse et à l’enfermement ? Comment rétablir ce qu’Hartmut Rosa appelle une résonance, c’est-à-dire une relation vibrante au monde dans lequel nous exprimons quelque chose et percevons un écho, des effets positifs de notre action ?

En tant que personnel travaillant pour l’éducation nationale, quel que soit notre métier, notre statut, quel que soit le niveau des élèves que nous encadrons, nous avons des connaissances et des valeurs à transmettre, des questionnements à faire naître, des idées d’envol à faire émerger. Nous avons surtout la mission d’aider les plus fragiles à suivre les enseignements dispensés. Et celle de permettre à chacun de structurer sa pensée, d’élargir son horizon afin de réaliser son rêve et de s’épanouir. Ou pour reprendre le mot d’Hugo, de fortifier ses racines pour mieux préparer ses ailes.

Seulement, pour éduquer, pour instruire, il faut de la confiance, il faut aussi du temps. Le temps de constituer une équipe autour d’une classe, qui a le temps de se rencontrer, de parler, de monter des projets. Le temps de comprendre un enfant, un ado, un jeune adulte, pris individuellement et aussi dans son environnement. Le temps de lui apprendre à se connaître et à trouver ses propres chemins d’apprentissages et d’adapter ses méthodes de travail à ses objectifs et à la vie en société. Le temps de lui faire découvrir d’autres domaines, d’autres modes de pensée, d’autres chemins pour trouver le sien. Le temps de faire ses propres expériences. Le temps de rencontrer des individus, ses pairs, des étudiants, ses professeurs, toutes les personnes qui font une communauté scolaire. Le temps de parler.
Mais le temps, ce temps si précieux, on dirait qu’on le vole. On nous demande toujours de rendre des heures. De rendre des postes (1883 sur le plan national, 113 dans notre académie). Mais à qui vont ces heures rendues ? A qui vont ces postes que personne ne remplace ?

Nous avons maintenant une petite idée de ce à quoi mène l’optimisation de l’hôpital. Sommés depuis des années de devenir rentables, mis en concurrence les uns avec les autres, les hôpitaux ont fermé des lits, se sont séparés d’une partie de leur personnel ou n’ont pas engagé le personnel nécessaire. Il a suffi qu’un minuscule virus parte à la conquête d’un monde soi-disant « dompté » par des humains bien sûrs d’eux pour que l’on constate, ébahi, dans quel pétrin nous nous étions mis.
Nous savons à quoi mène une politique d’optimisation et de concurrence dans le monde scolaire. On publie chaque année des palmarès mettant des établissements scolaires dans la lumière. Des classements de lycée, des classements entre pays. Les meilleurs lycées, les meilleures écoles. Comme si la concurrence avait le moindre sens d’une région à l’autre, d’un public à l’autre. A Cluny, nous dit-on, vous avez de la chance, avec le public que vous avez, vous pouvez bien supporter des plus gros groupes, quelques suppressions de postes. Et puis si on vous laisse toutes les heures que vous aviez, ce sont d’autres établissements qui trinquent, des qui en ont bien plus besoin que vous. On nous culpabilise, comme si nos heures étaient volées à d’autres établissements plus en difficultés qui pâtiraient de nos luxueuses conditions. Alors quoi, à Cluny, les élèves n’ont pas besoin d’aide ? A Cluny, tout le monde est épargné, épanoui, bien orienté ? Personne ne serait à la dérive ?

Est-il légitime, que ce soit à Cluny ou ailleurs, que l’on ferme des options et des enseignements, laissant moins de choix aux élèves, eux à qui on avait vendu un bac à la carte, est-il légitime que l’on charge les classes de nombreux cours, que l’on renonce à des dédoublements indispensables, que l’on refuse d’ouvrir des sections ou que dans le premier degré, on laisse des enfants sans maître ou maîtresse parce qu’un enseignant est malade ?
Est-il légitime d’imposer, pour économiser des postes, des heures supplémentaires aux uns, des classes surchargées ou des compléments de service aux autres ? Le résultat de cette politique ne peut être qu’une dégradation des conditions de vie et de travail des personnels impactés et une dégradation des conditions d’enseignement. Si des AED manquent, les élèves sont moins encadrés, entourés. La tension provoque la tension et le manque de temps entraine une dégradation de l’accompagnement personnel. Si des professeurs deviennent des prestataires qui vont faire 3 heures dans un lycée, 5h dans un collège à 30km, puis de nouveau 10h ailleurs – c’est déjà depuis longtemps la situation de nombreux de nos collègues -, ce sont des projets qui ne pourront plus avoir lieu, des moments de rencontres qui ne seront plus proposés. Des enseignants tiraillés et fatigués qui ne pourront plus accompagner sereinement leurs élèves.

Je crois personnellement que les solutions sont locales. Les équipes devraient fonctionner sur un bassin de proximité, échanger les pratiques entre le premier degré et le second, s’entraider, trouver des espaces de projets durables entre le primaire, le collège et le lycée, plutôt qu’être des réunions éphémères de personnels toujours entre deux portes. Je crois qu’il est stupide de demander aux gens de faire des dizaines de km pour aller travailler à droite et à gauche. C’est aux antipodes de ce vers quoi il faut aller. Je crois que c’est sur le plan local que nous devrions ensemble trouver qui peut remplacer tel instituteur, tel professeur, tel AED. Ce serait une autonomie raisonnée et raisonnable, vraiment au service de ceux que nous avons le devoir d’aider, ceux qui donnent un sens et une résonance à tout ce que nous faisons : nos élèves.



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