Fuite de boues radioactives au Valduc non rendue public



Relai d’une enquête de Mediapart

Un avis de l’ancien institut d’expertise sur la sûreté nucléaire, l’IRSN, au sujet d’une fuite de boues radioactives en Côte-d’Or en septembre 2024, n’a pas été rendu public, contrairement aux obligations de transparence.

Début septembre 2024, un incident se produit sur le site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Valduc (Côte-d’Or), où sont fabriquées des parties nucléaires des armes de dissuasion. Des boues radioactives sont chargées à bord d’un camion et transportées jusqu’à la station de traitement des eaux usées de Longvic, au sud de Dijon.

Ces rebuts d’un méthaniseur du site géré par la direction des affaires militaires sont contaminés au tritium, l’isotope radioactif de l’hydrogène, un radioélément particulièrement mobile. Le CEA s’en aperçoit et prévient l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui demande à son tour à l’Institut de radioprotection et de sûreté ucléaire (IRSN) de se rendre sur place.

Le commissariat évalue la valeur d’activité en tritium de ces boues à 520 becquerels (Bq) par litre – l’unité tilisée pour mesurer le nombre de noyaux, par unité de volume, qui se désintègrent chaque seconde et mettent un rayonnement. C’est très en dessous du seuil de potabilité de l’eau, estimé à 10 000 Bq/l par ’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais bien au-dessus de la valeur paramétrique de référence en France, qui a été fixée à 100 Bq/l : à partir de ce niveau de tritium dans l’eau, les autorités doivent éclencher une enquête pour comprendre d’où vient la pollution radioactive.

Sur place, les expert·es de l’IRSN prélèvent vingt-cinq échantillons et les analysent dans leur laboratoire : il y a bien du tritium dans les boues, mais il n’a pas contaminé l’environnement. Le chauffeur du camion qui a déplacé le chargement pollué, les travailleurs de la station d’épuration et les riverain·e·s n’ont été exposé·es qu’à une très faible dose de radioactivité, de l’ordre de quelques dizaines de nanosieverts, soit un million de fois en dessous de la limite d’exposition du public.

Le 6 novembre, l’IRSN rend à l’ASN un avis qui écarte tout risque de pollution et de santé pour la population.

Une non-publication pas fortuite.

Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Car conformément au Code de l’environnement, l’avis de l’IRSN aurait dû tre publié sur son site. Or plus de deux mois plus tard, il n’y figure toujours pas : dans la liste des ocuments en ligne sur le site de l’institut, on trouve les avis 154, 155 puis 157, 158, 159, 160, etc. Il manque donc le numéro 156, qui porte précisément sur « l’évaluation des conséquences sur ’environnement et la population d’un transfert non autorisé d’effluents liquides du CEA Valduc vers la station d’épuration de Dijon-Longvic ».

D’après les informations de Mediapart, cette absence n’est pas fortuite : dans un courrier interne, les expert·es de l’IRSN expliquent que les autorités « préféreraient ne pas communiquer, ayant d’autres priorités ».

Interrogée sur les raisons de cette non-publication, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) – la nouvelle organisation qui fusionne depuis le 1 janvier les anciennes ASN et IRSN – répond que l’avis concernant les boues radioactives de Valduc sera publié « en janvier ». Dont acte.

Mais ce serait tardif – la règle est de les publier immédiatement, dans un délai de quatre semaines. Et cela n’explique pas pourquoi un autre avis du même jour, le 6 novembre, est lui déjà en ligne. Ainsi que d’autres plus tardifs, datés des 7, 12 et 13 novembre, dont un concerne le CEA. Le site militaire de Valduc a lui-même déjà fait l’objet d’avis de l’IRSN, dont un, remontant à 2018, est consultable en ligne.

Sollicité par Mediapart, le commissariat répond qu’« il n’y a pas eu de demande du CEA adressée à l’IRSN de ne pas communiquer d’avis relatif à l’évènement auquel [Mediapart fait] référence ». Et que l’ASNR « étant un établissement public indépendant des exploitants nucléaires, le CEA ne peut en aucune manière interférer dans la politique de communication de ses avis ».

Cette petite histoire soulève la question, sensible, de la transparence. Or ce fut l’un des sujets les plus âprement discutés autour de la loi de réorganisation de la sûreté nucléaire, votée en mars 2024. C’est encore aujourd’hui un point de désaccord entre le président de la toute nouvelle autorité, Pierre-Marie Abadie, et les représentant·es du personnel.

Dans le règlement intérieur de l’ASNR, actuellement en discussion entre la direction et les syndicats, la publication des avis d’expertise est limitée à ceux qui sont rendus au préalable d’une décision de l’autorité. Les organisations syndicales considèrent au contraire que ces avis peuvent être rendus publics indépendamment des décisions. La « mise en œuvre de la transparence » fait partie des missions de l’ASNR. Reste maintenant à en faire la démonstration.

Jade Lindgaard



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