Christian : La RCEA [1], c’est la voie la plus importante qui relie l’atlantique au centre-est, l’Allemagne... qui traverse la France quoi. Là c’est des milliers et des milliers de véhicules qui passent. D’ailleurs, on l’appelait - et on l’appelle toujours - la route de la mort.
Dijoncter : Et vous l’avez choisi comme point de ralliement ?
Christian : Bin, étant dans le secteur de Montceau-les-mines, le Magny, et dans un rayon d’une dizaine de kilomètres, c’était le point choisi naturellement. Avec une grosse butte qui surplombe la RCEA. Les gilets jaunes ont pris campement pendant quelques mois sur cette butte et chaque samedi l’opération (en dehors d’autres opérations qui étaient menées), c’était le blocage de la RCEA. On laissait filtrer uniquement les voitures, mais les poids-lourds étaient bloqués pendant un certain temps.
Le choix du blocage c’était à peu près toutes les demi-heure, 45 minutes, et on débloquait par dizaine de poids-lourds. Et on les faisait dévier, c’est-à-dire qu’ils ne passaient pas par la RCEA, on les faisait dévier du point stratégique le Magny par le centre-ville de Montceau-les-Mines. Ça foutait un bordel monstre, mais il fallait bien que ces gens là visitent quand même Montceau-les-mines ! Y’a des commercants et la mairesse qui se plaignaient que Montceau était pas connu, alors comme ça c’était connu.
Vous nous parlez de votre expérience sur le terrain ?
Boris et tout le monde : C’était chaud par moment...
Boris : Avec la police, les crs, les garde-à-vue, les gazages...
Parce qu’ils ont essayé de débloquer le rond-point ?
Boris : C’est pas un rond-point, c’est une bretelle.
Fanny : Ça s’est trouvé qu’ils ont gazé, et matraqué aussi.
Mais vous étiez là-bas au quotidien ?
Boris : On est là depuis le 17 novembre. Pendant 2 mois et demi, ils nous ont délogé plusieurs fois, ils nous cassaient la cabane le lundi, le mardi c’était remonté. On est resté plus de deux mois, en janvier on était encore là.
Fred : Et on s’est fait crâmé la cabane... J’étais dégoûté.
Et avec les flics, c’était tous les jours ?
Boris : Avec les flics c’est pas bien, sont pas gentils les flics... Je crois que le summum c’était le 1er mai. On a fait une petite fête tranquille : une crêpe party. On était tranquille, on nous avait dit : « Vous avez cette zone, mais la butte vous avez pas le droit d’y aller. » On commence, on fait notre petit truc, tout se passe bien, on était une centaine de personnes. C’était très chaleureux. Y’avait 6 voitures de flics, on était un peu surpris. Et qu’est-ce qu’on voit ? Notre grand général, commandant de la brigade de Montceau et derrière lui, les flics. Tout se passe bien, j’étais en train de discuter et tout d’un coup je me retourne et je le vois en train de descendre la butte et sauter sur un jeune. Ce qui s’est passé, c’est qu’on avait pas le droit de monter la butte, y’avait un arrêté préfectorale. Un jeune a monté la butte : un dangereux activiste ! Donc qu’est-ce qu’a fait notre courageux commandant ? Il lui a plongé dans les jambes, il l’a plaqué. Alors là je me dis « ça va mal finir », ils ont commencé de gazer, de jeter des grenades et de matraquer. Y’avait une personnes âgée qui pleurait, gazée, et qui disait qu’ elle avait jamais vu ça. Elle disait « bande de salauds, bande de fumiers », c’est inadmissible de voir ça, ils sont venus gâcher notre fête. Y’a pas d’autres mots.
Julien : Moi j’ai été embarqué ce jour-là. 24h de garde-à-vue, comparution immédiate, pour un truc que j’avais pas dit. Y’a une vidéo, on voit que c’est pas moi, on voit un type qui crie « suicidez-vous », mais c’est pas moi. Mais c’est moi qu’a eu les menottes. Donc je suis sous contrôle judiciaire jusqu’au 15 juillet. Interdit de manif et de tout attroupement gilet jaune. Et tribunal le 15 juillet. Outrage. Mais on voit bien que c’est pas moi.
Christian : C’est allé jusque dans les fouilles, quand la personne avait un gilet jaune dans la voiture, elle était en infraction.
Fred : On est allé à Paray-le-monial aussi. Parce qu’ y avait un gilet jaune qui s’est fait tabassé par le directeur de l’Intermarché. C’était à Digoin en fait . Du coup on avait bloqué la RCEA l’après-midi et le soir on est allé faire un tour. On est passé au rond-point plutôt que d’aller direct à l’Intermarché donc le comité d’accueil était déjà là... On a rien fait de plus. On a dit : « Appelez-moi le directeur », et on l’ attend encore.
Et du coup sur Montceau, les gens qui avaient le gilet jaune... Vous étiez combien ?
Boris : On était jusqu’à 1500.
Julien : Plus même, plus ! Le dixième de la population.
Les gens ils venaient d’où ?
Christian : C’était incroyable, c’était une fête ! Ça dansait, ça jouait de la musique... Faire ça sur la RCEA, route de la mort, il fallait y aller...
Vous l’avez égayée.
Boris : Oui ! Au début on avait l’autorisation d’être sur le pont. On était des 2 côtés du pont .
De qui ?
Boris : De la Préfecture. C’est normal, c’est accessible, mais maintenant on n’ a plus l’autorisation. Je me souviens au début, on était sur le pont, on ne bougeait pas, il est arrivé 13 camions de CRS, ils nous bouchaient tous les accès. Nous on bougeait pas. Ils montaient lentement, on les voyait se déplier, ils bouchaioent les quatre accès. On a pas bougé, on aurait levé le petit doigt, ç’aurait été la bagarre générale, sûrement y’a des gens qui seraient passés au-dessus le pont.
Julien : Une autre fois, au début aussi, on a quand même eu 14 bus de CRS alors qu’on était une dizaine sur le pont, et qu’on était des saints. Ça fait du monde quand même.
Boris : Et le commissaire de police. Il prenait les carte d’identité, il photographiait.
Christian : Le Magny c’était le point le plus chaud de la Saône-et-Loire, les gens venaient de partout. Avec les ordres de l’Elysée, fallait vraiment casser ce point qui faisait tâche.
Boris : Je veux revenir sur le commissaire quand même. Toutes les violences sur Montceau il est à l’origine. Même quand ça se passait bien, c’était lui qui faisait que ça partait. Il a été muté. Il a été débouté parce qu’il a accusé un gilet jaune de l’avoir frappé avec une bouteille. Alors je vais vous expliquer le dangereux activiste : il a été bousculé et en tombant avec sa bouteille, il a heurté le commissaire. Ils l’ont menotté tout de suite, plaqué au sol, plaqué sa femme au sol. Le commissaire a porté plainte, heureusement pour nous ça avait été filmé, y’avait des témoignages, y’a même une flic qui avait dit qu’il l’avait frappée à la tête (elle aussi elle a été mutée). Ils ont été déboutés parce qu’ils ont rien pu prouver, et en plus il a porté plainte dans son commissariat et c’est ses subalternes qui ont enregistré la plainte. Et il s’est vengé le 1er mai, il a gâché notre petite fête, il attendait qu’une chose c’est ça. Il a été muté et elle aussi.
Et vous dites que y’avait plus de 1500 personnes cet hiver ? C’est Montceau, c’est depuis toute la Saône-et-Loire ?
Boris : Non, c’est le bassin minier. Moi, comme tout le monde, je connais beaucoup de gens de mon entourage qui venaient (qui sont toujours gilets jaunes mais qui viennent plus pour diverses raisons) et qui faisaient le gros de cette troupe. Ils sont toujours sympathisants même s’ils viennent plus.
Julien : C’était Le Magny et un rayon de 15 kilomètres autour en gros.
Vous avez été surpris que y’ait tout ce monde ?
Christian : Oui, agréablement surpris. Mais ça reflète quand même un lieu qui a toujours été révolutionnaire. C’est une tradition la lutte ici. La mine, tout ça... Le Magny d’ailleurs c’était des coins très chauds pendant les grandes grèves de la mine. On reste dans l’image de l’histoire ouvrière.
C’était quand ?
Boris : La très grande grève c’était 1893 ou 94 je sais plus.
Cette histoire ouvrière elle est encore présente ? Est-ce que les gens de la CGT venaient ?
Christian : Oui bien-sûr, et toujours. Mais c’était quand même principalement gilets jaunes. Ils étaient conviés tout en respectant le... le gilet jaune. Moi y’en a c’est rien qu’après que je l’ai su. Y’en a d’autres ça transparait (rire). Mais ils étaient venus en tant que gilets jaunes, pas en tant que CGT. C’est bien.
Comment ça se passait, vous aviez une cabane ?
Boris : Oui, c’était très très convivial, c’était pas fermé, et on avait des gens qui venaient spontanément nous apporter de la nourriture. Et pendant qu’ils se garaient ils se prenaient des PV.
Fred : Les flics étaient sur le rond-point, ils étaient tout le temps là, sitôt que y’avait un camion qui s’arrêtait ils arrivaient.
Vous avez eu quel sentiment de vivre ensemble ?
Boris : Ça crée des liens, on a rencontré des gens qu’on aurait jamais rencontré.
Julien : On est une grande famille.
Christian : C’est très riche. Moi j’étais un ancien des manifs, en tant que dans la boutique politique à l’époque, on revendiquait énormément et j’avais perdu ça. J’y croyais plus. Et quand j’ai vu l’appel du 17, et bien je me suis dit c’est pas possible, c’est une blague. C’était pas une blague. Je me suis dit enfin, ça se réveille. Et j’ai retrouvé quelque chose que j’avais perdu... la solidarité... la sympathie... on se connaissait pas plus au début.
Julien : On se connaissait pas du tout. Disons-le.
Et vous, vous êtes arrivée comment ? Par l’appel du 17 ?
Fanny : Non moi je suis venue le 19. Direct.
Julien : Elle faisait fort , elle bossait la nuit, elle venait la journée. Chapeau !
Fanny : On est à fond, depuis le début...
Et toujours maintenant ?
Fanny : Oui toujours .
Boris : Oui. Y’a des moments on est un peu découragés. Sept mois c’est dur, tous les week end on est là !
Julien : Aussi des fois, Paris, Lyon, Dijon. Dijon c’était chaud. Tu te rappelles ? Heureusement qu’y a une grand-mère qui m’a sauvé la vie, Madame Claude, elle m’a fait rentrer chez elle. Elle avait presque 80 balais. Je suis rentré sans frapper, on se faisait charger, et je suis rentrer dans une impasse je pouvais plus me sauver, je suis rentrée chez elle j’ai dit « faut nous aider m’dame ». Elle a dit « rentrez les gamins ! », elle nous a payé le café et tout. C’était génial, chaleureux.
Et les gens sont venus chez vous aussi ?
Julien : Oui oui, Digoin, Paray,...
Boris : On avait aussi fait l’opération à Géant. Opération contrôle de prix. Quatre produits sur cinq qui correspondaient pas au prix affiché. On avait la scanette, et on regardait le prix affiché. Ça a fait scandale. Le lendemain ils se sont excusés et ils ont changé les prix. Les grand-mères après elles contrôlaient tous les prix. On y a fait qu’une fois, après c’était compliqué. On a fait Grand Frais aussi.
Christian : Mais Géant Casino on peut pas se rendre compte, c’est incroyable, le prix affiché est toujours différent du prix payé, et la différence est toujours pour le magasin. Sur du pinard, je me souviens, énorme, 50 % d’écart.
Julien : Après on a essayé plusieurs fois d’approcher le Leclerc mais les flics arrivaient toujours avant nous. On s’est posés plein de questions quand même pour savoir comment ils étaient renseignés aussi vite...
Boris : Je pense qu’on est suivi hein. Et puis les téléphones. Parce que les messages qu’on s’envoyait ils devaient les lire.
Et là maintenant. Vous étiez dans l’orga de l’assemblée des assemblées ?
Boris : Bin on a calmé un peu les samedis, fallait qu’on prépare l’assemblée, et pis on avait pas trop le droit à l’erreur. Fallait pas faire d’écart juste avant quoi, sinon ils nous bloquaient l’assemblée. Le préfet avait prévenu « le moindre débordement, pas d’assemblée ».
Christian : Mais moi ce que je retiens depuis le 17. C’est qu’on a retrouvé une dignité, et que beaucoup apprennent à écouter et aller dans ce sens. C’est quelque chose qu’on avait perdu complètement, cette approche, cette amitié, cette dignité, on l’avait perdue, et on l’a retrouvée.
Boris : C’est ce qu’on a gagné déjà, on se parle entre nous.
Vous voulez dire trois mots sur ce week end ?
Boris : Bin c’est une grande victoire.
Julien : Moi j’ai servi des pressions tout le week end. J’ai cru que j’allais faire une tendinite.
Boris : Quand je regarde la carte, avec les épingles qui représentent les délégations, on se rend compte que y’en a de toute la France et tous les coins de France. Et ça, ça réchauffe le coeur, de voir que des gens sont venus de si loin pour l’assemblée des assemblées. On voit l’intéret pour le mouvement, c’est important.
Christian : On a aussi lancé l’idée de voir comment faire pour avoir des liens avec la Réunion, la Guadeloupe, on a des amis qui reviennent de la Martinique, ils ont croisé les gilets jaunes. On se dit comment on peut les faire participer, comment les faire voter, est-ce qu’on peut les faire venir, les financer, etc.
Vous êtes en contact ?
Christian : On va essayer, ça a été lancé. Pour leur dire, vous êtes pas tout seuls, on est là !
Julien : Une assemblée à la Martinique, je suis partant les gars !
Communiqué du Magny, 6 janvier 2019
« La montée en puissance du capitalisme et ses dérives financières ont conditionné durant des années les esprits des citoyens à épouser un modèle égocentrique axé sur le désir de consommer. Ce système nous a tous poussé vers le besoin d’obtenir toujours plus, toujours plus vite, au détriment des écosystèmes, des relations humaines et de nos conditions de vie et de travail. Le constat reste amère vue l’hécatombe que nous observons aujourd’hui mais que beaucoup dénoncent depuis des années. Chômage, dégradation de notre qualité de vie au travail, désastres écologiques, malbouffe, esclavagisation des pays sous-développés, guerres induites pour des ressources rares, noyautage de nos institutions les plus éminentes par les lobbys, concentrations des richesses et des pouvoirs dans les mains d’une partie infime de la population mondiale, tandis que les autres ne peuvent que constater le résultat de cette politique mondialisée, sans règles si ce ne sont celles qui les arrangent. De ce constat est né la notion du plus grand nombre, d’appartenir à une classe autoproclamée, celle des 99%.
La seule arme opposable à l’égoïsme est celle de la solidarité.
Dans les ronds-points les gilets jaunes redécouvrent l’esprit du collectif. Sortis de chez eux, loin des écrans, des tablettes, de la pollution marketing incessante et récurrente qui avait envahi leur quotidien, les relations humaines se sont renouées. Les valeurs humaines comme la solidarité, l’entraide, la socialisation, les amitiés naissantes et l’envie de construire son avenir et celui de leurs enfants les a fait renouer avec la vraie vie, celle que beaucoup avait occulté, ou avait même parfois oublié. Les yeux se sont ouvert sur le fonctionnement du système, des médias, du comportement abject de leurs classes dirigeantes. L’aspect multi-classes, pluriculturelle, et toutes tendances politiques confondues, les gilets jaunes, mouvement ni de droite ni de gauche, commencent de vouloir réinventer leur vie. Il n’est plus possible pour les gilets jaunes de continuer à marcher sur le chemin qui leur avait été tracé dans le conformisme de la finance et de ses détracteurs. Si Emmanuel Macron continue à propager des mensonges via ses ministères sur les mesurettes prisent en décembre, et s’il continue de nous considérer comme « une foule haineuse », nous nous renforcerons dans notre mouvement. Le comportement de nos dirigeants se révèle dans tout ce qui nous insupporte le plus, plus leur égoïsme transpirera au travers de leurs actes et de leurs paroles, plus la solidarité des gilets jaunes y fera front.
Au rond-point du Magny à Montceau les Mines, on pense donc on ne suit pas. »
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