En juin 2023, dans la ville de Nanterre, en banlieue parisienne, la police a brutalement assassiné un adolescent du nom de Nahel Merzouk, poursuivant ainsi un modèle de violence post-coloniale dirigé contre une partie de la population française traitée comme des citoyen.ne.s de seconde zone. En réponse, des milliers de personnes dans les banlieues de Paris et d’autres villes françaises se sont révoltées pendant plusieurs jours, attaquant les mairies et les commissariats de police, pillant les magasins et se défendant contre la police. Dans la réflexion suivante, un participant aux mouvements de ces dernières années revient sur la révolte de juin 2023 et les mouvements qui l’ont précédée, en explorant les limites qu’ils ont atteintes et en s’interrogeant sur ce qu’il faudrait pour qu’ils aboutissent à une transformation révolutionnaire.
“Combien de temps tout ceci va encore durer
Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter
Dommage que l’unité n’ait été de notre côté
Mais vous savez que ça va finir mal, tout ça
La guerre des mondes vous l’avez voulu, la voilà
Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ?”
-Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu (What are we waiting for to start the fire ?), NTM, 1996
Si les suites de la révolte ne sont pas encore écrites, nous aimerions déjà proposer quelques pistes d’apprentissages que ce mouvement et ceux des dernières années nous encouragent à creuser pour continuer à chercher des issues victorieuses aux soulèvements à venir en France et ailleurs.
0. Révoltes
Lors de la dernière mobilisation contre la réforme des retraites en France (février-mai 2023), des camarades de la plate-forme chilienne Vitrina Distópica me demandaient si nous assistions à une révolte ou non en France. À l’époque, j’avais conclu que, à l’exception de quelques nuits très chaudes après le décret autoritaire de la loi en mars, peu d’éléments nous permettaient de reconnaître une révolte.
Je pensais alors qu’il s’agissait plutôt d’un mouvement social à la française, très fort mais très classique. Loin d’une révolte réellement dangereuse pour le pouvoir comme ont pu l’être le soulèvement des gilets jaunes ou les révoltes de ces dernières années au Chili, en Iran au Liban, á Hong Kong pour ne citer que eux.
Je concluais cependant qu’il était légitime de se questionner si cette mobilisation, qu’elle soit perdante ou gagnante, n’était pas un signe que nous vivions une période pré-révolutionnaire en France avec sa succession de mouvements toujours plus rapprochés, massifs et offensifs.
Si les événement de ce début d’été confirment l’intensité de la période, le choix du mot révolte pour les qualifier, n’est pas anodin. Si nous utilisons le mot, ce n’est pas parce qu’il serait plus politique que celui d’émeute (qui détient lui même un contenu déjà hautement politique) mais plutôt à cause de caractéristiques particulières présentes cette fois ci dans le mouvement : fulgurant, spontané, offensif, entièrement auto-organisé et enfin sans revendications parcellaires mais bien une volonté claire de “faire justice soi-même” et surtout “faire mal à l’État”.
I. Violence et Dignité
Plus l’humiliation et la dégradation des conditions de vie est importante plus la révolte sera violente. L’exercice de la violence par les opprimé.e.s contre ses oppresseurs est un mode d’expression autant qu’un moyen de recouvrir sa dignité. En effet, la violence révolutionnaire peut être une voie pour les peuples dominés de construire une nouvelle dignité (comme l’ont abordé de différentes manières Elsa Dorlin, Frantz Fanon ou Miguel Enríquez).
L’intensité de la révolte en France mais aussi par exemple au Chili (2019) et en Iran (2019 surtout, mais aussi 2022) nous donne une idée du degré de rage et d’humiliation accumulée par les marges [1] de ces “nations”.
Le rôle des révolutionnaires n’est pas de contenir cette rage mais de l’aider à se choisir un horizon stratégique, à atteindre ses objectifs, et à résister à la contre-attaque de l’ordre. Construire une force capable de convertir la rage en puissance.
II. Médiations
Comme pour les gilets jaunes, le niveau de violence exercée par les insurgé.e.s est aussi une preuve du manque et de la faiblesse de “médiations” (corps intermédiaires dit-on ici parfois) entre ces populations et le Régime. Médiation au sens négatif de maintien de l’ordre social (mairie, police, parfois travailleur.e.s sociaux.ales [2] et organisations religieuses) mais aussi plus positif d’espaces politiques organisés capables de soutenir la juste colère pendant la révolte et dans la durée.
[3] Même quand des associations ou des organisations locales [4] existent, elles ont souvent du mal à mobiliser une base large, notamment les jeunes, et possèdent rarement des objectifs politiques au-delà de leur territoire. [5] Un constat ne se limitant pas aux quartiers populaires mais à la majorité des espaces d’organisations territoriales en France.
Comme ailleurs, cela démontre le manque d’organisations radicales et autonomes issues ou ancrées dans ces quartiers ayant la capacité à la fois d’agir sur la vie quotidienne et d’avoir des objectifs et stratégies politiques à long terme.
En France comme ailleurs, des forces comme celles-ci ont déjà existé. On peut penser bien sûr aux Black Panthers Party (BBP) ou aux Young Lords (organisation d’immigré.es portoricain.e.s construit sur le modèle des BBP), le MIR chilien et son travail dans les poblaciones (quartiers populaires au Chili) ou encore le PKK et de son ancrage populaire à Bakur (Kurdistan turc occupé). En France on peut penser aussi au rôle précurseur du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) qui a tenté dans les années 90 de lier luttes locales et perspectives nationales contre les violences policières et pour l’organisation autonome des quartiers populaires.
Cependant, depuis la révolte de 2005, il semble que, en plus des collectifs pour la libération de la Palestine pendant des moments d’agression comme en 2014, les seules organisations politiques et sociales qui soient parvenues à mobiliser une base populaire dans les banlieues furent, les organisations islamistes dans leurs différentes déclinaisons. [6]
Jusqu’en 2015-2016 seulement, car suite aux attentats djihadistes des années 2010 une écrasante offensive idéologique et répressive de l’Etat contre les musulman.e.s sans distinction (en raison de l’amalgame constant fait entre musulmans, islamistes, djihadistes etc.) a considérablement affaibli des espaces qui paradoxalement étaient aussi des espaces de médiations, et parfois d’apaisement, dans les quartiers.
Une répression sans différence qui a également augmentée la colère et le sentiment d’être des citoyen.ne.s de seconde zone de nombreux.ses musulman.e.s vivant dans les quartiers populaires.
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