« Les coupures généralisées, c’est devenu un mythe, cela ne devrait plus faire partie de notre culture syndicale. (…) C’est plus compliqué de ne pas mettre la France dans le noir que de le faire, il suffit de trois personnes. Si cela ne s’est pas produit, c’est grâce au niveau collectif de conscience très fort, et non par discipline, notamment chez les jeunes »Sophie Béroud, Les Robins des bois de l’énergie
On s’ennuie dans les défilés syndicaux ! Dites, il reste encore combien de kilomètres ?
On tourne en rond ! Et ça m’amuse même plus de tout casser, en plus y’a J C Decaux et les karchers à la fin de la manif qui vont com’ d’hab tout nettoyer derrière.
Je fais la grève mais l’état s’en balance. Il continue de faire grandir son réseau du futur ultra connecté. En plus, lui il a des bulldozers et moi j’en ai pas. Alors moi je me sens toute petite.
Tout le monde parle de la fin du monde, mais le monde il est déjà fini. Pas la peine d’en faire tout un plat. De toutes manières depuis que je suis née c’est « la crise ». Et puis, on est assis sur une poudrière qui a déjà explosé.
J’aimerais retrouver l’envie d’avoir envie. Je voudrais bien que ça bascule une bonne fois pour toutes. J’ai envie de tout éteindre les interrupteurs. Peut-être même je vais couper le compteur. Je voudrais jouer à cache-cache dans le noir.
Il y a plein d’actions possibles
Le monde est hyperconnecté, et le réseau semble flotter dans les airs, comme si c’était magique, tous ces flux de partout à partout et de nulle part à nulle part. Les data volent de cloud en cloud, l’électricité et les SMS filent dans les airs, nous nous télétransportons en un claquement de doigt d’un bout à l’autre de la planète et tous les jouets dont tu as rêvé peuvent arriver dans tes chaussons demain matin.
Indicible mensonge et aubaine pour nous, il y a un truc, tous ces flux sont bien matériels et tout ce matériel, il faut bien le stocker et l’acheminer.
C’est la grève, alors on a du temps pour jouer, et on est plein à pouvoir faire des bêtises ensemble. Nous c’est les précaires, les profs, les étudiant.e.s, les lycéen.ne.s grève généralistes... Tou.te.s celleux qui n’ont pas la main sur les flux et qui pourraient s’inspirer de celleux qui travaillent tous les jours à les faire fonctionner. Parfois on pourrait quand même les aider.
En plus, les bandes de la CGT Energie, elles ont plein de bonnes idées. Et pas que des idées... Il paraît qu’il y en a qui sont venues en groupe mettre dans le noir des sièges sociaux de banques [1]. Il y en a qui débranchent les compteurs Linky des gens qui ont pas d’argent pour payer l’élec [2]. D’autres qui coupent le courant des plateformes logistiques [3]. Il y en a aussi qui ont éteint le comico et la préfecture de Versailles [4]. Il y en a même qui sont allés à plein envahir la salle de commandement d’une centrale thermique près de Nantes [5]…
Réjouissant non ?
Malgré ce qu’illes en disent
Elisabeth Borne, depuis la tour sequoia de son ministère de la transition écologique et solidaire elle essaie de nous faire pleurer sur les cliniques et les pompiers qui ne peuvent plus sauver des vies à cause des méchants grévistes qui coupent le courant. Quelle menteuse ! Il y a un « plan croix rouge » [6] qui protège ces lieux au moment des coupures.
Après ça elle fait des guillis à Martinez : « On est très loin des modes d’action normaux, de ce qu’on peut attendre d’un Grand syndicat » Sacrée Babette ! Quelle flagorneuse !
Moi je voudrais bien savoir ce que c’est un grand syndicat. Des carriéristes du syndicalisme ? Des « partenaires sociaux » de l’état et de sa police ? Ou des travailleur.se.s en lutte qui veulent imposer un rapport de force ?
On veut mettre la pression à l’état oui ou non ? Si c’est le cas, alors il faut mettre en œuvre les moyens dont on dispose pour entraîner le plus rapidement possible leur réaction aux autres, en face.
Il s’agit là de faire rupture,
rupture par rapport aux « usagers pas contents » dont on nous rebat les oreilles et à « l’opinion publique » et rupture par rapport au patriotisme d’entreprise,
rupture avec les préventions sécuritaires de la frange réformiste de la CGT ancrées depuis 1914,
rupture avec le service d’ordre de la CGT qui veut empêcher toute entrave à la « bonne marche » des manifestations et de la grève et qui ne parle à personne d’autre qu’à lui-même et aux renseignements généraux.
Il s’agit donc de faire lien,
avec la base des organisations syndicales,
avec les syndicalistes qui prennent des risques (sanctions, répression, licenciement pour faute lourde…),
avec les modes d’actions des gilets jaunes et des CGTistes qui gardent encore pour référence le syndicalisme d’action directe.
Ce ne sera pas la première fois [7]
Suivons l’exemple d’Emile Pataud [8], l’« éteigneur d’étoiles » :
Dans Comment nous ferons la Révolution, révolution-fiction de Emile Pataud et Emile Pouget parue en 1909, les auteurs placent les producteurs d’énergie à l’avant-garde du mouvement social, en compagnie de l’élite militante de l’époque, les ouvriers du bâtiment. La situation révolutionnaire, ils la doivent à leur capacité d’user d’une pratique de rupture telle que préconisée par les syndicalistes d’action directe de la CGT, dont les plus radicaux justifient alors le sabotage comme arme de la lutte sociale.
Le livre débute par un arrêt de travail du bâtiment parisien qui dégénère en échauffourées meurtrières. La solidarité prolétarienne entraîne la généralisation de la grève. Après les conducteurs de métro, les électriciens-gaziers entrent très vite en scène. Le quatrième chapitre, au titre évocateur : « Que les ténèbres soient ! », leur est entièrement consacré. En quelques heures, la lumière artificielle n’éclaire plus Paris, les ténèbres recouvrent la capitale ! Pour éviter la mobilisation de l’armée et la remise en fonction des usines électriques, le sabotage est abondamment pratiqué :
« De la poudre d’émeri avait été jetée dans les paliers et dans les coussinets ; certains enduits avaient été arrosés d’acide sulfurique, ce qui provoquait leur incendie, au bout de peu de temps ; des appareils, des tableaux de distribution avaient été mis en court-circuit. »
Gagnés par la formidable contagion de l’action directe, les gaziers réputés plus pusillanimes se convertissent également au sabotage : « Connaissant les points vulnérables des canalisations, ils les ouvrirent ou les blessèrent… Et, des usines, s’éleva la pestilence de l’hydrogène fusant par les plaies béantes ! »
« La privation de lumière se doublait de la privation de force ! Quantité de moteurs, mus par l’électricité ou le gaz entraient en sommeil, obligeant nombre d’ateliers à l’arrêt du travail. De plus, l’obscurité allait faciliter l’action ultérieure des grève-généralistes. Ils seraient plus libres d’opérer, moins à la merci des forces gouvernementales. (…) Cette phase de la lutte (…) fut, avec la grève des cheminots et des postiers, le pivot de la grève générale dont, dès ce moment, on pouvait entrevoir le triomphe »
Souvenons-nous aussi qu’au cours du conflit de février 1905, le courant est interrompu un soir pendant 45 minutes dans un quartier proche de l’Opéra, ce qui suscite aussitôt la réaction du préfet. Les électriciens parisiens obtiennent alors des améliorations substantielles de leurs conditions de travail (augmentation des salaires, repos hebdomadaire, congés payés…). Le 17 mars 1906, c’est à la centrale de Puteaux que des coupures ont lieu mais les ouvriers sont remplacés. Trois jours plus tard, c’est à la centrale de Saint-Denis que le courant est suspendu. Deux ans après, en mars 1907, des coupures de courant à plus grande échelle sont décidées. En mars 1909, l’éclairage de l’hôtel Continental est interrompu par le personnel, en présence du ministre du Travail René Viviani ; en novembre, l’Opéra de Paris est plongé dans le noir alors que le roi du Portugal est dans la salle. Pataud négocie les accords qui interrompent ces conflits brefs mais spectaculaires.
Et moins loin que ça, en 1968, des coupures ont ciblé les quartiers des ministères ainsi que les Champs-Elysées à Paris et c’est à l’automne 1995 qu’interviennent les dernières coupures de courant significatives.
Et ça n’est pas près de s’arrêter
La victimisation des usagers c’est pas nouveau, au moment de la grève d’août 1908 où, pendant deux heures, Paris perd ses lumières, est lancée la première campagne de presse sur le thème des « usagers-victimes » et trois artistes de variété assignent même Pataud en justice pour « entrave à la liberté du travail ».
À en croire ce qu’il se disait le 18 décembre 2019 [9], il faut encore aujourd’hui s’expliquer :
« On ne cible pas les usagers, mais c’est un effet inévitable, parce que le réseau est fait ainsi », a justifié Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT Energie, sur RTL « Ce qu’on recherche, c’est peser sur l’économie ». Ce mode d’action pourrait être à nouveau utilisé. C’est en tout cas la volonté affichée au sein de la CGT. « Pendant les fêtes de Noël, on pèsera aussi par des formes de mobilisation et des rassemblements », a prévenu le même Menesplier.
Pour Francis Casanova, délégué syndical central CGT au sein du Réseau de transport d’électricité (RTE) , le gouvernement doit « prendre ça comme un premier avertissement ». « Il s’expose à des coupures plus massives », a-t-il lancé.
Julien Lambert, responsable fédéral de la CGT mines énergie, avait annoncé sur LCI l’intention du syndicat de procéder à des « coupures visant les bâtiments publics » et « tout ce qui est administration », à l’instar des préfectures, mais aussi « les entreprises où les salariés sont en action ». Ces coupures ne devaient cependant pas affecter les usagers, ou encore les hôpitaux. « C’est une journée de grève, on se réapproprie l’outil de travail », avait-il fait valoir.
Et Martinez sur BFM TV : « Ceux qui sont ciblés, c’est les entreprises du CAC 40, c’est les grands magasins de distribution, ce sont quelques bâtiments publics, préfectures, etc., en aucun cas on ne cible les citoyens »
Mais la CGTE-RTE s’est également essayée à d’autres moyens de pression pour fin décembre. « Les quinze jours qui vont se suivre, on est en train de réfléchir à comment on va pouvoir basculer en heure creuse les usagers et remettre l’énergie à ceux qui ont été coupés par impayé »
Si la CGT se bouge et déplace ses lignes, alors j’en suis.
Interrompons le quotidien et la bonne marche tranquille des manifestations. Soyons saboteuses, soyons bloqueuses. Soyons solidaires avec ces modes d’actions. Inventons en d’autres.
Ne nous laissons pas atomiser.
Et surtout, n’ayons plus peur du noir.
Et puis une autre information en passant
Des ami.e.s du hameau de l’Amassada, dans l’Aveyron, lieu en lutte contre un méga-transformateur RTE d’énergie éolienne industrielle, ont été expulsés par RTE et la police en octobre dernier. Illes appellent à une semaine de mobilisation nationale du 13 au 18 janvier contre RTE et EDF.
« Il est grand temps de visibiliser le fait que la transition énergétique, tant vantée comme la solution, dévaste les campagnes et sert à alimenter la smart city dont rêvent les gouvernants. Organisons-nous ensemble, rats des villes et rats des champs, contre leur fin du monde programmée »
Pour plus d’informations sur cette semaine d’actions : https://douze.noblogs.org/post/2019/12/15/semaine-de-mobilisation-contre-rte-et-son-monde-du-13-au-18-janvier/
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