Cette année à l’occasion, en quelque sorte, des élections présidentielles et surtout pour ouvrir une alternative au « blabla démocratie participative », le Cinéma Eldorado et les Amis de l’Eldo ont programmé pour leur festival Fenêtres sur le monde des sujets radicaux ou simplement sensibles qui nous proposent à travers des projections, de la musique et des rencontres une vision plus vivante et plus humaine de la société face au baratin politique. Les sujets allaient des conditions carcérales à la critique du travail en passant par l’écologie, la culture, le militantisme.
De cet intense programme nous voulons ici attirer l’attention sur Pierre Carles qui fut l’un des invités du festival et duquel on a pu voir l’intégrale. Cet intégrale comptait cinq films documentaires comme Pas vu, pas pris qui traite de la censure dont a été victime Pierre Carles. En effet Canal + lui a refusé la commande qui lui avait faite sur La télévision, la politique, la morale en 1995. Ou encore Attention danger travail ! qui comme on le devine nous présente des chomeureuses heureus·es, mais aussi des reportages en entreprise à faire rire ou peur (le relooking de Domino’s pizza, le rendement d’une boîte de télécommunication) et des interpellations de PDG à l’université du Medef. On y entend par exemple une pdg qui affirme qu’ « on est en danger si on ne prend pas de mesures coercitives », un autre « soit vous faites peur soit vous faites envie, c’est le bâton ou la carotte ».
Durant le festival on a pu voir également La sociologie est un sport de combat sur la « pensée en mouvement » de Pierre Bourdieu, Enfin pris ? où cette fois-ci sont pris pour cibles les faux critiques de la télévision comme Daniel Schneidermann. Par ailleurs, avec la participation de la CNT 21 l’Eldo fit un clin d’oeil aux prisonniers politiques d’Action Directe avec Ni vieux, ni traîtres où s’expriment les anciens activistes de la lutte anti-franquiste anarchiste des années 70 et des membres d’Action Directe. Sans les dénigrer, ce documentaire les démystifie et ouvre le débat sur la motivation qu’ils avaient à cette époque. N’oublions pas que, malgré tout ce que l’on peut penser sur ce qu’ils ont fait, leur traitement carcéral particulier et le chantage étatique du repenti comme rançon est intolérable et qu’ils ont toujours besoin de soutien.
Enfin, dernière perle de Pierre, Volem rien foutre al païs, où sont filmés des individus et des communautés qui ont su trouver des moyens d’autogestion, d’autonomisation. On voit par exemple des voitures à moteur hydraulique, un panneau solaire et une éolienne qui alimentent une maison sans coupure depuis neuf ans, des pratiques solidaires comme alternatives au travail salarié et aux cotisations (notamment pour les retraites), une ouverture de squat à Barcelone... On a entendu dire sur ce film qu’« il n’apporte pas de solutions » en tout cas si ce ne sont pas des solutions c’est tout du moins d’intéressantes pistes afin de développer des alternatives à ce que la société nous propose/impose.
Pour les plus chanceux qui avaient un peu plus de temps à consacrer à Pierre Carles ils ont pu le rencontrer au Toboggan autour d’un verre, ou encore pour discuter après l’une des projections de Attention danger travail ! , mais aussi après la projection carte blanche à Pierre Carles L’an 01. Ils ont pu aussi discuter avec le co-réalisateur de Volem, Stéphane Goxe.
Après tout ça nous avons eu envie d’en savoir un peu plus sur l’activité de Pierre Carles, et particulièrement après avoir pris note d’une conversation dans Pas vu, pas pris. Voici l’interview qui en a suivi :
En 95 au cours d’une conversation téléphonique avec Karl Zero suite à votre refus d’édulcorer vos films trop radicaux selon la chaîne Canal +, il vous affirme que « c’est idiot de faire quelque chose que personne ne voit » votre réponse a été de préciser que c’était « pour les gens intéressés par un travail de contre-information ».
En relisant ma réponse, je m’aperçois que je me la joue un peu en affirmant faire un travail de contre-information. On fait avant tout ce genre de film pour se faire valoir ou pour se faire plaisir, ce qui va souvent ensemble. Ce n’est donc pas forcément que pour des gens intéressés (comme s’il s’agissait, en définitive, d’un acte totalement désintéressé) mais parce qu’on en retire des gratifications, notamment symboliques.
En réalité orientez-vous vos films uniquement vers ce type de public ?
J’espère que non. Notre objectif, avec Annie Gonzalez qui produit la plupart de mes documentaires, est de toucher le plus grand nombre de spectateurs possible.
Depuis leur sortie quel est le nombre d’entrées pour Pas vu, pas pris (1995), La Sociologie est un sport de combat (2001), Enfin pris ? (2001), Attention Danger Travail (2003) et pour Volem rien foutre al païs (2004) ?
160 000 pour Pas vu pas pris, 95 000 pour La Sociologie est un sport de combat, 55 000 pour Enfin pris ?, 75 000 pour Attention danger travail, 55 000 pour Volem rien foutre al païs.
Quelles ont été vos initiatives pour diffuser vos documentaires à un public non averti, non militant ?
Ils sortent dans les salles de cinéma qui ne sont pas forcément des lieux étiquetés militants. Mais c’est aussi une très bonne chose qu’il soient diffusés en vidéo ou via internet auprès d’un public y compris averti.
Avez-vous des projets pour diffuser plus largement vos films ?
Non, pas de projet particulier pour le moment. En tant que réalisateurs et producteurs, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour diffuser nos films le plus largement possible. Mais nous sommes financièrement limités. Nous travaillons avec de petits distributeurs indépendants, comme Cara M ou Shellac, qui font ce qu’ils peuvent avec les ressources limitées qui sont les leurs.
Quels sont les freins à l’élargissement de la diffusion de vos œuvres ?
Les moyens financiers. Plus on met d’argent dans la fabrication et la distribution d’un film, plus il a de chances de rencontrer le succès auprès du public à sa sortie en salles. Mais je ne me plains pas. Nous disposons de moyens relativement conséquents pour fabriquer et diffuser nos documentaires. Nous ne sommes pas très nombreux dans ce cas, si l’on fait le compte.
Avez-vous retenu quelque chose de votre passage à Dijon et des discussions que vous avez eues durant le festival ?
J’étais ravi de venir présenter le film L’An 01 à l’Eldorado. Ça me changeait des débats autour de Volem rien foutre al païs où j’ai parfois l’impression de débiter des réflexions toutes faites, ou me comporter en perroquet. J’ai aussi fait des rencontres surprenantes, en rencontrant par exemple Juja Lula, les deux sœurs d’un groupe de chanson française qui parlaient de manière très sensible et délicate de Gébé, l’immense auteur-dessinateur de L’An 01.
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