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Les voyages forment la jeunesse



« Les flics l’ont embarquée ! Ils l’ont cueillie chez elle ! »

Réunion de crise dans un café. Narindra, jeune étudiante d’origine malgache venait de terminer ses examens. Une de ses amies nous a prévenu·e·s lorsque par hasard elle l’a vue menottée devant chez elle. Incertitude totale. Où est-elle maintenant ? On appelle différentes assos de défense des migrants, même les culs-bénits de la CIMADE. On essaie de déterminer les centres de rétention qui pourraient l’« accueillir ». Peine perdue. Aucune info, silence radio. On finit par se faire une raison. Goût amer dans la bouche. On continuera demain.

Le lendemain vers 11h, une dizaine de militants attend devant la place Suquet, QG des poulets. Evidemment aucune information ne filtre du côté des flics. « On n’est pas au courant ». Plus tard on nous dit qu’elle est au commissariat de Chenôve. Fausse info destinée à nous promener. On apprendra par la suite que N. avait passé la nuit et la matinée place Suquet, sans avoir pu passer un seul coup de fil (avec la visite d’un toubib, c’est le seul droit réservé aux inculpés). Un rassemblement devant la pref est fixé pour 18h.

Une cinquantaine de personnes se retrouvent. Les têtes habituelles plus des membres du collectif de soutien à la famille Rabbat qui se sont déplacés pour l’occasion. Le but est d’obtenir une entrevue avec le secrétaire général de la pref, petit fonctionnaire buté et cynique. On obtient un RDV pour le lendemain.

Pendant ce temps, un RG à l’écriture puérile essaie en vain d’obtenir des noms pour remplir son calepin et sa mission.

Aux dernières nouvelles, N. est à Lyon dans un centre de rétention. Son procès est prévu pour le lendemain au tribunal administratif de Dijon.

Quinze heures au tribunal, une voiture arrive. Deux galinacés en civil sortent suivis de Narindra, menottée, le visage décomposé. Dans la salle d’audience, pas mal de monde, beaucoup de personnes debout. Le juge est surpris et légèrement appeuré, mais pas assez selon B., un routier du militantisme. L’avocate axe la défense sur le fait que non seulement on ne connaît pas encore ses notes pour le deuxième semestre et aussi sur ses résultats, loin d’être catastrophiques. Deux personnes représentent la préfecture, l’un est décoratif, l’autre offensif, les deux ont la gueule de l’emploi. Le teigneux prend la parole en accusateur féroce affirmant, bulletin de note en main, que Narindra est scolairement médiocre. La preuve, elle n’a pa validé toutes ses matiéres, il n’y a donc aucun intérêts à ce qu’elle reste en France. Le fait qu’elle ait été hospitalisée ne cautionne pas ses résultats insuffisants. Le procés ressemble à s’y méprendre à un conseil de classe, sauf que les enjeux sont « légèrement » différents.

On sort tous écoeurés en attendant le délibéré. Ecoeurés car on réduit une vie humaine à un parcours scolaire. Pour accueillir la quarantaine de personnes, le verdict a lieu dans la grande salle. Le juge très anxieux lit le verdict très rapidement en novlangue juridique. Sur le coup, on comprend rien. En fait, son appel a été rejeté. Narindra fond en larme. « Le dispositif est prêt » glisse la greffière à l’oreille du juge.

L’ambiance est oppressante. Je sors. On crache un peu sa rage entre dépités. Un représentant de la pref, l’air repu, passe devant nous. Je ne peux m’empêcher de dire tout haut ce que je pense de son « travail ». Il se retourne énervé comme un putois et lance : « Moi je bosse, au moins ! — Nous aussi ! »

Il attend une autre attaque mais nous l’ignorons magistralement. Il sort alors sa botte secréte au niveau argumentaire : « Pédés ! » et s’ en va, superbe... Pendant ce temps les flics balancent Narindra dans le cercueuil à roulette. Des militants bloquent la portière. Les flics réagissent d’abord verbalement. Le niveau est placé trés haut : « Enculé, bouge de là ! », « De toute facon, elle veut rentrer dans son pays », « J’obeis aux ordres ». Les militants sont écartés manu militari. Décision est prise de former une chaîne humaine devant la voiture. La centrale est appelée. En moins de deux minutes, une petite dizaine de policiers se met à courir sur nous, la main sur la matraque et l’oeil belliqueux. C’est alors que le président du tribunal s’interpose. Celui-ci a des pouvoirs impressionants : il peut repousser plein de flics hargneux avec ses mains, sans les toucher. Il rappelle qu’il est le maître a bord, et engueule copieusement les poulets ayant outrepassé leurs droits. C’est assez maigre comme victoire... La voiture repart direction Lyon. Le bizutage de Narindra n’est pas terminé. Un autre procès est prévu pour le lendemain à Lyon cette fois. Il sera décidé des conditions d’expulsions. Attendra-t-elle en centre de rétention ou sera-t-elle assignée à résidence jusqu’au prochain charter ? On en est réduit à négocier le poid des chaînes...

Le soir, entretien avec Xavier Inglebert, secrétaire de la préfecture. Comme d’habitude, dialogue de sourds. Comme d’habitude, quelques perles : « un centre de rétention c’est pas si mal ! ». Depuis l’élection de Sarkozy, l’homme a pris de l’assurance. Son statut est passé d’exécuteur des basses-oeuvres à celui de héros national. Une délégation dijonnaise part le lendemain matin. On arrive à 9 heures devant le tribunal. Le lieu est immense, c’est l’usine de la justice, on condamne à la chaîne. Devant la salle d’audience, on rencontre d’autres militants. Ils ne sont pas seulement venus pour Narindra, mais aussi pour d’autres sans-paps. On attend deux heures. Faute de place, je suis refoulé par un gros flic de la PAF (Police de l’air et des Frontiéres). L’acronyme-onomatopée est bien mérité vu la violence de « certains » de leurs éléments : deux jours plus tôt, un sans pap refusant de monter dans un charter a été tabassé jusqu’au coma. Néanmoins une membre de la déléguation a pu rentrer. Ça semble mal parti. Les cas d’assignation à résidence sont très rares. La plupart du temps, l’attente se fait en centre de rétention. Ça peut durer un mois.

En attendant le délibéré, on va prendre un café. La discussion est riche, on partage nos expériences avec les lyonnais. On aborde différents sujets : la répression féroce qui s’abat sur les personnes solidaires, les kurdes du PKK dont l’expulsion est synonyme d’exécution, les victoires, les défaites... A 14 heures un coup de fil. La nouvelle tombe. Narindra ne moisira pas dans le camp. Des sourires timides se dessinent sur les visages. C’est le scénario le moins catastrophique. Sur le coup on est assez satisfait alors que c’est bien le strict minimum. On nous a appris a remercier les bourreaux.

On part à deux bagnoles avec son oncle pour aller la chercher. En arrivant au camp de rétention, je repense aux propos de « Xavier la chienlit ». Il avait raison, avec tous ces barbelés, on dirait un village de vacances. Au bout d’une heure d’attente dans ce no man’s land, nous voyons Narindra sortir. Epuisée, mais heureuse de revoir la lumière du jour. Nous l’accompagnons à la gare, direction Dijon, où elle pourra revoir ses ami·e·s une dernière fois.

N. a été expulsée le 12 juin 2007.



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