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« Arrêtez de parler à notre place et écoutez-nous ! » - Entretien sur le Travail du Sexe avec l’association PDA


Doubs

Scorpion, Léa et Sana font partie de l’association bisontine PDA (Partage, Droits & Autonomie). Dans un entretien réalisé pendant la Poudrière en 2022, iels reviennent sur les difficultés d’organisation des travailleurs et travailleuses du sexe et sur les conséquences des dernières lois.

Crédit illustration : @Ed Lab

Cet entretien a eu lieu en juin 2022, au micro de la radio pirate de la Poudrière, un festival féministe et auto-géré qui s’est déroulé à l’Espace autogéré des Tanneries. Il a ensuite été retranscrit pour être publié dans Dijoncter Papier #6.

L’article est également consultable en format pdf mis en page : « Arrêtez de parler à notre place et écoutez-nous ! » - Version pdf

Pour commencer, est-ce que vous pouvez présenter rapidement PDA 

Léa : PDA a été créé il y a plus de onze ans, parce qu’on avait la volonté de s’organiser. Au départ on n’était pas en non-mixité donc je peux pas dire « entre TDS » mais plutôt « autour des TDS ». On était d’abord un collectif puis on s’est monté·es en association. Évidemment on a fait plein de choses différentes. Maintenant on est en non-mixité entre TDS.

Siana : Pendant longtemps on avait pas de lieu pour s’organiser, et là on a un local depuis deux ans, avec une friperie gratuite à disposition des collègues. On peut y boire un café et se ressourcer entre collègues, parler de tout et rien, de nos problèmes, trasher un peu les clients, ça fait du bien.

Scorpion : Surtout on a le mérite d’exister en région Grand-Est, parce qu’il n’y a aucune autre asso ou collectif.

Pourquoi vous avez fait le choix de passer d’un collectif à un statut d’asso ?

Léa : À ce moment-là on avait un peu l’illusion qu’on pourrait avoir des subventions. Enfin, on a pas essayé très fort mais il y avait une motivation là-dessus. On s’est fait un peu échauder par nos premières démarches et le fait qu’on s’est heurté·es à pas mal d’abolitionnisme [1] de la part des pouvoirs publics, dès le début. Du coup, ça nous a découragé, on a plus jamais fait de demandes de subventions auprès des services publics. On a parfois demandé à des fondations, on n’a jamais rien eu de ce côté-là non plus. Mais on sait jamais, le fait d’être une asso ça permet d’aller chercher l’argent là d’où il devrait venir normalement.

Scorpion : D’un autre côté, on n’a pas vraiment de comptes à rendre et ça nous laisse une certaine liberté, une liberté d’action dans l’asso en tout cas.

Siana : Aujourd’hui, on est plus ou moins d’accord sur le fait qu’on a plus vraiment envie d’attendre grand chose des pouvoirs publics et qu’on préfère s’auto-gérer et vivre avec les dons, réussir à avoir un financement à travers d’autres collectifs, d’autres assos.

Est-ce que vous pouvez parler du changement de mixité au sein de PDA ?

Siana : On a des moments en non mixité entre TDS qui permettent de s’entraider. On est pas une association totalement en non-mixité. Par exemple, une fois par mois on organise un café discussion avec les personnes qui veulent venir, qui veulent continuer une déconstruction, ce genre de choses. On a des évènements ouverts à tout le monde.

Scorpion : En fait, c’est juste qu’on a des moments entre collègues, c’est nécessaire pour que des TDS continuent à venir et se sentent en sécurité. On risquait trop à laisser participer tout le monde sans forcément connaître les intentions des gens. C’est bien plus risqué en tout cas. 

Léa : Pour la convivialité, je trouve que ça crée un truc complètement différent de pouvoir être entouré·e de gens qui vivent la même chose ou des choses communes en tout cas sur certains aspects. 

J’aimerais bien, si vous voulez, que vous parliez plus de vous. Votre histoire par rapport à cette asso ? Comment vous l’avez découvert ? Est-ce que vous militez là-bas depuis sa création ? Qu’est-ce que ça a changé de la découvrir  

Siana : J’ai découvert l’asso un peu par hasard. Il faut savoir qu’avec l’asso, on fait ce qu’on appelle des maraudes. Donc on contacte des collègues pour dire qu’on existe, que s’iels ont besoin, on est là, que s’iels ont besoin de capotes, de produits d’hygiène, d’un soutien, d’informations juridiques ou quoi que ce soit, on est là. On rencontre des collègues par ce biais-là. Moi je suis pas arrivée comme ça mais un petit peu quand même en fait, j’étais sur les réseaux sociaux par le biais d’un autre journal qui publie aussi sur les réseaux. C’était le moment des premières portes ouvertes de PDA et c’est arrivé sur mon fil d’actualité. J’ai vu plein de commentaires putophobes. J’avais commencé la prostitution quelques mois auparavant. J’avais pas du tout les codes, j’étais pas du tout militante à ce moment-là. Je voyais des commentaires horribles et je voulais juste mettre un commentaire positif en mode "oh c’est trop bien, bon courage". La personne qui avait contacté le journal pour faire cet article est venue dans mes messages privées, on a discuté. De fil en aiguille, elle a compris que j’étais TDS et j’ai mis beaucoup de temps à venir à l’asso. Sachant qu’à la base je n’étais pas du tout dans les milieux militants ou dans les milieux associatifs. J’ai mis du temps à venir et puis finalement j’ai été beaucoup embarquée dans les évènements, petit à petit, c’est venu naturellement en fait. 

Léa : Moi j’ai été là à la création de l’asso et du coup je peux parler du fait que je travaillais déjà depuis une dizaine d’années. J’ai commencé à bosser complètement solo et ça m’a fait un bien fou quand j’ai commencé à comprendre qu’il y avait des gens qui partageait mon point de vue sur le TDS. Même pas forcément de la part de collègues parce qu’au départ je n’en connaissais pas. J’ai lu King-Kong Theory [2], ça m’a donné une pêche d’enfer et je suis partie en stop faire une manif TDS à Paris, j’ai compris que ça existait les manifs TDS. Après, j’ai pu échanger avec des collègues, découvrir des nouvelles façons de bosser. Puis, à un moment donné, il y a eu cette volonté de faire cet asso à Besançon avec une collègue et des allié·es.

Scorpion : Moi, du coup j’ai découvert PDA il y a à peu près deux ans. Maintenant je suis militant à l’asso, mais ça fait à peu près huit ans que j’exerce la prostitution. J’en ai parlé petit à petit à des personnes de confiance mais en étant isolé, en continuant à bosser dans mon coin. Cette personne de confiance est une de mes meilleures amies, je lui ai parlé de ça et à son tour elle est devenue TDS suite à mon parcours, et elle a rejoint cette asso. Après c’est moi qui l’ai suivie. Du coup, c’est un peu grâce à elle que j’ai découvert PDA parce que je me suis dit "finalement pourquoi pas commencer à s’ouvrir au monde du TDS et sortir de ma grotte". J’ai pris mes marques petit à petit. Je pense qu’on a toustes rejoint l’asso comme ça, en se demandant ce qu’on pouvait faire. Voilà, petit à petit, on trouve ses repères et on se met un peu au militantisme. Ça fait carrément du bien de fréquenter des gens comme nous et ça je le soupçonnais pas une seule seconde !

Léa : Dans les façons de rencontrer des collègues en dehors de PDA, il y a les maraudes et je voulais préciser qu’elles sont soit virtuelles soit réelles. On a aussi rencontré pas mal de collègues en allant dans la rue, là où les collègues travaillent. Donc ça crée des liens qui sont aussi intéressants. 

Siana : Pour trouver des collègues, depuis deux ans on a aussi bien développé les réseaux, je pense qu’avant ça existait pas trop. Et c’est en développant la communication que les gens sont venus près de nous. La communication nous a permis de rencontrer des collègues, ce qui est cool.

Sur quoi portaient les dernières luttes que vous avez mené ?

Siana : Au niveau de PDA on s’engage sur plein de choses. La priorité c’est quand même d’apporter du soutien localement aux collègues. On essaye aussi de lutter et de militer pour nos droits parce qu’on en manque cruellement, et pour plus de reconnaissance. C’est compliqué dans le sens où les TDS commencent seulement à être accepté·es dans les milieux militants et dans les milieux féministes. Il faut savoir que la toute première fois où on nous a officiellement invité·es, c’était en 2021 par le Collectif 25 novembre de Dijon. On a été invité·es à rejoindre la marche des fiertés en septembre. C’est vraiment la toute première fois où on a pu être invité·es. D’habitude pour manifester dans des milieux féministes, comme pour le mois de novembre [3] ou pour le 8 mars, on y allait mais on n’était pas invité·es. On se sentait pas à notre place. Pourtant, on avait besoin de prendre cette place, on avait besoin de revendiquer des choses, on se sentait exclu·es. On est une association située à Besançon, et pourtant, on n’a pas vraiment d’allié·es sur place. Ça commence un peu à bouger mais c’est compliqué. On a des mouvements qui sont principalement abolitionnistes (le Mouvement du Nid, Osez le féminisme), c’est elleux qui sont souvent appelé·es pour organiser des manifestations. On a essayé de faire des échanges avec ces organismes mais ça n’a pas abouti à grand chose. Donc voilà, autant dire que c’est compliqué et qu’on est quand même extrêmement heureux et heureuses d’avoir des allié·es de qualité (rire), des gens qui puissent enfin nous inviter à des évènements comme La Poudrière.

Scorpion : Oui, on peut parler aussi de deux autres types d’actions quotidiennes, qui sont un peu la routine de l’asso. Pour les maraudes web, on contacte les travailleurs et travailleuses du sexe qui ont des annonces en ligne. On organise aussi, chaque second samedi du mois, comme une sorte de mini portes ouvertes, pour sensibiliser, faire un petit peu de pédagogie. Donc même si vous êtes de Dijon, venez nous voir à Besançon les seconds samedis du mois ! On essaie de créer un peu de lien avec les structures allié·es qui sont assez rares dans le coin. Et qu’est-ce qu’on fait d’autres ? Ben beaucoup de manifestations  !

Léa : Après, il y a des choses qui sont de l’ordre du quotidien, de l’entraide et des trucs pratiques sur place. Du genre, « j’ai un tuyau sur comment avoir tel ou tel truc », échanger des compétences parce que tout le monde n’a pas les mêmes ou la même position dans la société. Donc forcément c’est super utile de s’entraider. Il y a aussi des trucs de sécurité quand on parle d’entraides, des trucs d’autodéfense. Il y a aussi le fait de participer un peu à du plaidoyer par rapport à ce qu’il se passe au niveau national et international. On a été aux rencontres de Paris la semaine dernière où on a pu rencontrer des collègues de partout et participer à la construction de revendications communes, etc.

Siana : Il y a aussi les journées de lutte contre les violences faites aux TDS le 17 décembre. Malheureusement, nous, on est quand même une toute petite ville, on ne peut pas organiser ça chez nous donc s’il y a des gens un peu partout dans la France qui nous entendent, n’hésitez pas à aller rejoindre les TDS dans la rue parce qu’on a besoin d’allié·es sur le terrain aussi. À Dijon, c’est trop cool parce que demain [le 24 juin 2023], c’est la marche des fiertés, on va manifester avec nos petits parapluies rouges. Il ne faut pas hésiter à venir aussi nous aider sur le terrain quand il y a des journées spécialement pour les luttes TDS. Je pense aussi au 13 avril, le jour de la loi sur l’indemnisation du client donc des lois qui nous précarisent énormément.

C’est quoi qui rend compliqué l’organisation de manifestations à Besançon ?

Siana : Besançon c’est une petite ville. Faire une manifestation de TDS, de la même façon qu’une manifestation de pride, c’est un outing [4] même si on va mettre des masques. Le fait que des allié·es viennent nous aider, ça nous donne de la force et on se sent plus anonyme. Et oui, on n’est pas assez nombreu·ses pour faire une marche pour nous. En fait, même Besançon et Dijon, ça ne suffirait pas. Il y a des trucs organisés à Lyon, Strasbourg quelques fois. Je sais qu’à Lyon il y en a souvent. Peut-être que dans les années à venir ça va évoluer. En même temps, on est TDS mais ça veut pas forcément dire qu’on est militant·es. On ne veut pas forcer toustes les collègues, on milite chacun·e à son échelle et aller dans la rue pour manifester c’est puissant. 

Scorpion : Ça donne beaucoup d’énergie mais ça peut être un danger. Ça peut comporter des risques, qui plus est dans une toute petite ville. Je trouve ça assez fort de pouvoir faire partie de manifestations dans sa propre ville. Mais bon, chez nous on n’est pas très bien accueilli·es. 

Léa : On a participé à des manifestations sur Besançon mais c’était sur d’autres sujets où on se sent un petit peu moins visibles que si on était sur une manifestation vraiment centrée sur le TDS, comme des manifestations féministes ou des manif type 1er mai. 

Comment vous expliquer que vous soyez la seule association de TDS dans les régions BFC et Grand Est ? Sachant que c’est une grande région où il y a quand même des villes comme Strasbourg, Nancy, Dijon, etc.

Scorpion : Léa, peut-être que tu peux parler des difficultés du début de l’asso, qu’est-ce qui a été compliqué ?

Léa : Oui mais ça n’explique pas les choses parce que c’était un contexte complètement différent. La visibilité du TDS et le respect du TDS a vachement changé et, aujourd’hui, je ne sais pas ce qui empêche les gens de monter de petites structures, peut-être qu’on n’est pas au courant. Je n’ai pas de réponse...

Siana : Après, ça doit demander une énergie incroyable de commencer, un courage aussi parce que moi, créer l’asso, je ne sais pas si j’aurais été capable de le faire. Je pense qu’il faut déjà avoir un bon réseau parce qu’il faut avoir des compétences. Et puis il y a aussi un certain classisme...

Scorpion : Faut se sentir en confiance avec le petit noyau avec lequel tout a commencé dans ta tête. Vous étiez un petit groupe quand même, vous étiez quatre.

Léa : Deux TDS et deux non TDS. Mais toustes dans les luttes LGBTQIA+.

Scorpion : Donc une énergie commune, c’est peut-être ça aussi qu’il faut pour débuter la construction d’une asso. 

Siana : J’imagine que c’est quand même compliqué aussi parce qu’en France, les politiques, les institutions, etc. ne veulent pas entendre parler du TDS. Ce qui nous sauve, enfin ce qui permet à PDA de ne pas être empêchée par les associations abolitionnistes de Besançon c’est qu’on met beaucoup l’accent sur la santé sexuelle. On peut pas monter une asso communautaire sans passer par là sinon on n’est pas autorisé·es. À partir du moment où on s’organise entre collègues, même dans le but de se soutenir, ça passe sous la loi du proxénétisme. D’ailleurs les associations abolitionnistes nous accusent de proxénétisme. Donc c’est pour ça qu’il faut mettre l’accent beaucoup sur la santé sexuelle. 

Scorpion : Oui, ou redéfinir le proxénétisme. 

Siana : Aidez-nous à lutter pour ça.

Je me demandais justement si vous pouviez dire deux mots sur la loi contre le proxénétisme ?

Siana : En fait, on a ce cliché en France, que le proxénète c’est seulement le gros mec cis mac qui va tabasser ses putes pour les obliger à travailler, alors que la loi du proxénétisme est beaucoup plus complexe. En fait, toute personne qui apporte un soutien aux TDS prosti’, qui profite un petit peu ou pas du tout de son argent, qui l’aide dans ses démarches de travail, qui l’accompagne au boulot, qui lui prête son appartement, c’est du proxénétisme. Quand les hôtels repèrent les collègues, iels peuvent plus louer de chambres d’hôtel et sont expulsé·es des chambres. Quand on est TDS, on peut se faire expulser du jour au lendemain de son appart parce que les propriétaires qui le remarquent sont officiellement hors-la-loi. C’est des proxénètes parce que même s’iels n’en sont pas conscient·es, on leur donne notre argent du TDS pour payer le loyer, iels sont donc proxénètes hôteliers selon la loi. Et là, ce qui est le plus embêtant, à mon sens, c’est tout ce qui a un rapport avec le proxénétisme de soutien. On n’a pas le droit d’apporter son soutien, d’accompagner la prostitution d’autrui. Un exemple tout con, j’ai pas le droit d’envoyer un message à des collègues pour dire « allez pas voir ce gars-là, il est dangereux », parce que c’est de proxénétisme selon la loi.

Léa : Ça isole énormément, on peut pas être coloc en tant que TDS prosti’ : ni coloc d’une autre TDS ni d’une personne lambda. Tout échange économique dans notre vie est à proscrire parce que si on paye quelque chose à quelqu’un·e, c’est qu’iel profite de notre argent et s’iel nous paye c’est du proxénétisme. On ne peut pas avoir de partenaire affectif, c’est n’importe quoi.

Scorpion : Tout est utilisé contre nous, pour nous dissuader d’exercer. Le panel de situation de proxénétisme est hyper large. Peut-être des personnes lambdas et mal informées imaginent le proxénétisme par le prisme de l’exploitation, de la contrainte, du forcing, de l’ultra-violence que peuvent subir les TDS. Mais cette loi dessert tout le monde, même s’il y a des personnes dans ces situations-là, elle dessert vraiment la totalité des personnes qui exercent ce métier.

Léa : Sachant que si ces lois sur le proxénétisme n’étaient plus dans les lois françaises, on se baserait sur le droit du travail qui interdit déjà l’esclavage et la traite humaine en France. Tout ça est réprimé de façon beaucoup plus saine, c’est beaucoup mieux défini que les lois qui nous concernent nous dans notre travail. On trouve que ce serait même beaucoup plus efficace contre les vraies situations de proxénétisme et de violence.

Ce serait quoi pour vous la manière la plus saine d’exercer votre métier ? Est-ce que vous avez des revendications ?

Léa : Nos revendications c’est de ne pas définir une façon d’exercer le métier au détriment des autres. Ce qu’on voudrait c’est avoir le plus de choix possibles à disposition. On peut se sentir plus sécure d’une façon ou d’une autre, trouver ça plus facile d’être indépendante, d’être dans un contexte salariale ou coopératif, l’important c’est qu’on ait le maximum d’option vu que ce métier n’est pas facile. Ce qui ressemble le plus à un truc idéal, c’est déjà de dépénaliser le travail du sexe.

Scorpion : Et que la pensée globale arrête de laisser croire que la violence est intrinsèque au métier. Et pouvoir traiter la violence là où il y en a. Pour ça il faut un cadre, il suffit pas d’interdire. La prostitution existe, comment on l’encadre ? Ça fait suffisamment de temps que ça existe pour pas dire : « On va supprimer la prostitution cette année ! » Ça ne peut pas marcher comme ça. Il faut un cadre qui soit le même pour tou·tes les travailleu·ses. Nous sommes des travailleu·ses, nous voulons avoir les mêmes « droits » que les autres travailleu·ses. « Droit » avec de gros guillemets parce qu’ils sont bafoués dans beaucoup de boulots. Mais en tout cas, s’en approcher un petit peu.

Siana : Et ce qu’on réclame aussi, c’est de laisser la parole aux concerné·es avant tout. Il y a eu des manifestations de collègues déjà bien avant que cette loi passe pour dire « c’est pas bien, ça va nous tuer » et ces personnes n’ont pas été écoutées. Ça serait bien que les politiques acceptent que c’était du caca, et qu’il serait temps de se remettre en question, d’écouter les personnes concernées. Et que les abolos acceptent que les lois qu’elles ont voulu faire passer nous ont plus tué·es qu’autres choses, qu’elles nous ont obligé·es à travailler avec des méthodes beaucoup plus complexes, à nous isoler plus dans la rue, à accepter le non-port du préservatif. La négociation de la capote c’est un sujet qui revient tout le temps avec les clients, ça ne devrait pas être une question, on devrait pouvoir être protégé·es systématiquement. Tout ça c’est le résultat de ces lois, elles étaient sensées nous sauver et elles nous tuent, il faut l’accepter à un moment et arrêter de parler à notre place. Écoutez-nous parce qu’on en peut plus.

Scorpion : Les décideurs n’écoutent pas.

Léa : Ils couchent avec nous et ils votent contre nous.

On va conclure cette discussion. Est-ce que vous avez des messages à faire passer ?

Scorpion : N’hésitez pas à vous informer sur le sujet du TDS directement. Si vous vous posez une question il y a plusieurs sites qui sont de sources fiables. Le site vers lequel j’oriente le plus souvent c’est celui du STRASS, syndicat du travail sexuel, vous trouverez toutes les réponses à vos questions.

Léa : Et si vous êtes TDS ou si vous connaissez quelqu’un·e qui est TDS, vous pouvez entrer en contact avec nous, on sera très content·es de faire votre connaissance.

Scorpion : Aussi, on a une bibliothèque solidaire à l’association, pour y accéder c’est le second samedi de chaque mois, de 16h à 20h. On a plein de livres qui tournent autour du TDS, c’est la bibliothèque « Au bonheur des garces ». Venez faire un tour à Besançon !

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Quelques définitions rédigées par PDA

Travail du sexe (TDS) : terme-parapluie qui désigne les métiers ou pratiques mettant en scène une prestation sexuelle qui, dans la majorité des cas, est un service rendu en échange d’une compensation monétaire. Le TDS regroupe donc : les personnes exerçant la prostitution (en rue, appart’, hôtel, camionnette,...), les acteurs/actrices porno, les dominas, les cameuses/cameurs, les strip-teaseuses/strip-teaseurs... 
La prostitution en particulier est régie par un ensemble de lois extrêmement répressives (même si le fait de l’exercer en soi n’est pas interdit en France).
Or, d’après la déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail ».
Évidemment, nous avons conscience que la notion du « choix » est complexe : il s’agit plutôt d’un spectre, avec de nombreux facteurs, qui offrent aux personnes une marge de manœuvre plus ou moins large pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches. 

 Pénalisation des clients : loi du 13 Avril 2016. Met fin au délit de racolage et rend illégal l’achat de services sexuels. Les clients se raréfient, ce qui rend plus dures nos conditions de travail. Une baisse du nombre de clients signifie plus de temps passé au travail, dans des endroits plus isolés, et pousse les TDS à reconsidérer des pratiques autrefois non acceptées (le port du préservatif, un client potentiellement désagréable voire dangereux, une pratique non-souhaitée,...).

 Le parcours de sortie de la prostitution (PSP)  : Volet « social » de la loi de 2016, le PSP prévoit l’allocation ridicule de 343 euros par mois, en échange de laquelle la personne bénéficiaire doit promettre qu’elle cessera de se prostituer. Le PSP prévoit également une autorisation (seulement provisoire) de séjour, pour les personnes sans papières, ce qui les maintient dans la précarité, sans la certitude d’être régularisées à l’issue du PSP (d’une durée de 24 mois maximum).
Le PSP, dans sa forme actuelle, a été fait sur mesure avec et pour les assos abolitionnistes, les seules à avoir été consultées pour sa création. Il établit par exemple qu’une asso, pour obtenir l’agrément préfectoral d’accompagnement, doit délibérer en Assemblée Générale en faveur d’une politique dont la finalité est la sortie de la prostitution. Cela exclut évidemment les organisations communautaires composées de TDS, ou les associations en général qui souhaitent accompagner/soutenir TOUTES les personnes prosti’, y compris celles qui ne formulent pas le souhait d’arrêter ce travail. Pour beaucoup d’entre nous, et pour une variété de raisons, la prostitution constitue la meilleure option pour payer le loyer/les courses/les factures, pour permettre aux enfants de partir en vacances, pour compléter des revenus insuffisants, etc... 

 Délit de proxénétisme : Les réalités de terrain sont complexes et variées, et l’article 225-5 du code pénal extrêmement maladroit. Il interdit « d’assister, d’aider ou de protéger la prostitution d’autrui ». Cet article hypocrite empêche surtout l’entraide et l’auto-organisation.
Quelques exemples de situations qui rentrent/peuvent rentrer dans le délit de proxénétisme : 

  • Aider une collègue à mettre son annonce de travail en ligne
  • Cohabiter (couple, collocation, enfant majeur.e,...) avec une personne qui exerce la prostitution
  • Embaucher une tierce personnes pour effectuer les tâches intermédiaires qui sont fondamentales dans notre activé : assurer le secrétariat, la sécurité, se faire conduire sur son lieu de travail, etc...
  • Louer un appart à un.e prosti’ (délit de proxénétisme hôtelier). Énième discrimination qui rend notre accès au logement compliqué.

Il est évident que cet arsenal de loi, résultat des politiques abolitionnistes/prohibitionnistes, nous protège peu et participe à notre précarisation, à notre isolement et à notre marginalisation, et nous exposent toujours plus aux violences. 
Nous voulons pouvoir bénéficier du droit commun qui définit et sanctionne déjà les situations de violences, ainsi que les situations de traite / d’esclavage, d’une manière beaucoup plus pertinente (CF Article 224-1 B du code Pénal, sur le travail forcé/service forcé).



Notes

[1L’abolitionnisme désigne les positions de certaines féministes ou de certaines institution vis-à-vis du travail du sexe. Tout en prétextant défendre les droits des femmes, les positions abolitionnistes promeuvent souvent des lois qui pénalisent les clients et les soutiens des (TDS).

[2King King Theory est un essai de Virginie Despentes sorti en 2006. Le chapitre « coucher avec
l’ennemi » raconte l’expérience du travail du sexe de l’autrice et défend la prostitution.

[3Différents évènements féministes ont lieu chaque année au mois de novembre, autour de la journée de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et de la journée du souvenir trans.

[4L’outing c’est le fait qu’une partie de notre identité soit dévoilée contre notre volonté.

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