Les élections de 2022 ont vu s’opposer le nationalisme autoritaire de Jair Bolsonaro au gauchisme institutionnel du candidat du Parti des Travailleurs Luiz Inácio Lula da Silva. Chacune de ces stratégies rivales de gouvernance s’est présentée comme le seul salut possible pour la démocratie. La campagne tout entière a été marquée par des actes de violence, et pas seulement de la part des électeur⋅ices : à plusieurs reprises, des parlementaires allié⋅es à Bolsonaro ont échangé des tirs avec la police, ou ont pourchassé des opposant⋅es, les armes à la main.
Le 30 octobre avait lieu le second tour de l’élection visant à désigner le président et les gouverneurs. Bolsonaro a perdu face à l’ancien président Lula, mais ce dernier n’a gagné que de 1,8 %, ouvrant la voie à des dissensions qui continueront à diviser le Brésil, de la même manière que l’élection étasunienne de 2020 n’a pas marqué la fin de la polarisation politique dans le pays.
Après l’annonce des résultats dans la nuit de samedi, les partisan⋅nes de Bolsonaro se sont mis⋅es à bloquer les routes. La gauche institutionnelle et ses mouvements de base n’ont pas réagi et la tâche de lever les blocages est revenue aux antifascistes autonomes, aux supporter⋅ices de foot et aux habitant⋅es de la périphérie. Cela donne un aperçu des conflits auxquels nous serons confronté⋅es lors des prochaines années de gouvernement du Parti des Travailleurs, alors que l’extrême droite se réorganise et que la gauche institutionnelle continue à miser sur un ordre social qui s’effondre lentement.
On ne bat pas le fascisme dans les urnes
Dimanche 30 octobre, à Belo Horizonte, juste après l’annonce des résultats, un partisan de Bolsonaro a tué deux personnes qui célébraient la victoire de Lula et a ouvert le feu sur plusieurs autres personnes de la même famille. Lundi, dans les premières heures de la matinée, 221 barrages routiers étaient déjà en place dans la moitié des états du pays. En deux jours, les bolsonaristes bloquaient des routes dans tous les états du Brésil à l’exception d’un seul, jusqu’à atteindre un pic de 900 blocages ou manifestations.
Ce type d’action n’est pas sorti de nulle part. Au cours des dernières années, les blocages de camions ont joué un rôle significatif dans l’agitation d’extrême droite au travers des Amériques. Au Chili, les camionneurs d’extrême droite ont organisé des blocages d’autoroutes en réponse à l’activisme indigène des Mapuches. Au Mexique, les ouvrier⋅es des transports sont régulièrement employé⋅es comme troupes de choc pour exercer des pressions au nom du PRI(Partido Revolucionario Institucional, Parti révolutionnaire institutionnel). L’hiver dernier au Canada, des camionneurs d’extrême droite ont mis en place des blocages pour protester contre l’obligation vaccinale. Il est probable que nous assistions à d’autres actions de ce type à l’avenir.
Bolsonaro a attendu presque 48 heures pour commenter les résultats électoraux et n’a même pas ouvertement reconnu sa défaite dans son discours de deux minutes. Il a critiqué le mouvement de blocage des routes et a recommandé aux personnes y participant de recourir à d’autres formes de « protestation pacifique », mais a tout de même utilisé une phraséologie ambiguë visant à maintenir la motivation de sa base tout en s’évitant des complications juridiques.
Les allié⋅es de Bolsonaro ont remporté la majorité des sièges au Sénat et la moitié des élections de gouverneurs – treize sur vingt-sept. Bolsonaro lui-même, qui a œuvré pour aggraver la pandémie qui a tué plus de 700 000 personnes au Brésil, conserve malgré tout le soutien de la moitié de l’électorat – près de 6O millions de personnes. Une partie considérable de cette base est prête à continuer d’agir en faveur de son programme.
Les millions de personnes qui ont voté pour Bolsonaro ne changeront pas d’avis du jour au lendemain. Comme le montre l’émergence des blocages, iels continueront à agir, avec ou sans Bolsonaro. Le silence du président après l’élection a préparé le terrain à une vague d’actions réactionnaires qui s’est déployée sans que ni le leader, ni ses enfants ou ses partisan⋅nes les plus connu⋅es y appelle. Les appels sont plutôt apparus dans les mêmes groupes Whatsapp et Telegram via lesquelles les fake news et les théories du complot sont répandues depuis maintenant des années.
Contrairement aux grèves de camionneurs pendant le gouvernement Temer et à celles de 2018, ce mouvement n’a pas impliqué les chauffeurs dans leur ensemble, mais seulement certains employeur⋅ses et un nombre restreint de militant⋅es radicalisé⋅es. Bloquer les routes ne nécessite pas grand-chose, seulement un véhicule ou deux et quelques personnes, pour autant que la police ne souhaite pas intervenir.
La police a quant à elle soutenu les blocages. Le 30 octobre, pendant l’élection, la PRF (Policia Rodoviária Federal, Police fédérale autoroutière) a mené une mégaopération illégale en mettant en place des points de contrôle et en saisissant plusieurs véhicules, empêchant de fait à des milliers d’électeur⋅ices d’atteindre les bureaux de vote, en particulier dans les régions où Lula est populaire. En revanche, pendant les deux premiers jours de blocage, la PRF n’a absolument rien fait pour répondre aux bolsonaristes. Le 1er novembre, des agents de la PRF ont même été filmés en train de forcer des clôtures pour permettre aux partisan⋅nes de Bolsonaro de s’introduire dans l’aéroport international de Guarulhos, le principal aéroport de la ville de São Paulo, et de le bloquer.
Dans certaines villes, comme dans l’état de Santa Catarina, des manifestant⋅es ont adopté un discours ouvertement fasciste, avec saluts nazis et propos racistes à l’appui. Tous ces progrès réalisés par les fascistes ne disparaîtront pas avec les blocages eux-mêmes.
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