Pour un récit de l’ensemble de la journée du 12 décembre à Paris et de sa répression, vous pouvez lire ces différents articles de Paris-luttes.info :
- Suivi de la marche des libertés du 12 décembre
- Analyse de la manif du 12 décembre
- Bilan Légal Team du week-end du 12 décembre
Écran noir et geôles jupitériennes
Comme bien d’autres, le 12 décembre à Paris j’ai été enlevée et séquestrée par des individus en armes.
La possession d’un casque siglé « photo » et d’un masque à gaz me vaut d’être interpellée 1h30 avant le début de la manifestation. Rapidement 5 agents m’encerclent et ne me quittent plus ni d’une semelle ni du regard jusqu’à l’arrivée du fourgon 1h plus tard. Je dois admettre que l’un d’eux finit par concéder qu’ils auraient quand même autre-chose à faire.
Etant la troisième personne à avoir l’honneur de monter à bord du véhicule, je constate qu’il est saturé au bout de 15 minutes, sans aucun respect du protocole sanitaire en vigueur.Théo 16 ans et ses deux amis du même âge expliquent avoir été pris à la sortie du métro avec lunette de piscine et cache-cou noir alors qu’ils venaient exprimer leurs craintes des conséquences de la loi sécurité globale sur leur avenir, un street-medic de 60 ans dont le sac à dos contient une grosse partie du matériel de son équipe, un motard aux gants renforcés, un jeune artisan qui devait manger avec une amie et qui avait un tournevis dans la poche, une adolescente du genre babos, des gilets jaunes, un gars en capuche, un autre râlant en riant que le fourgon ne soit pas équipé de ceintures de sécurité, un second photographe indépendant... La plus grosse peur de Théo à ce moment est de se faire défoncer par ses parents à la sortie de sa garde-à-vue.
Les serflex peu serrés nous permettent d’utiliser nos téléphones, me donnant la possibilité de faire la seule image de la journée et de prévenir l’extérieur.
« On sait bien que vous les enlevez, c’est pour ne pas vous blesser qu’on ne serre pas trop » lance une fonctionnaire en claquant une dernière fois la porte sur cet univers déjà carcéral.
Direction l’inconnu alors qu’à l’extérieur les premières voix contestataires se font entendre.
Sentiment de tristesse, d’amertume, de dégoût, d’injustice.
Arrivée à la fortification. Attente, angoisse, froid et lumière blafarde. Nous sommes auditionné(e)s,fouillé(e)s puis placé(e)s en détention... sous bonne garde. Passages rapides mais réconfortants d’une avocate de la legalteam et d’une médecin dans la soirée.
Bien plus tard des fonctionnaires aussi empathiques que les barreaux qui nous ont servi de paysage pendant 24h ou que les couvertures qu’ils donnent du bout des doigts sous-entendent un déferrement imminent au parquet... ce ne sera le cas que 6h plus tard.
Le comité d’accueil lors du départ me réconforte : divers slogans provenant de la dizaine de personnes attendant, dehors, notre transfert me rappellent que nous ne sommes ni terroristes ni même coupables. Chose presque oubliée jusque-là. Merci à elles pour leur présence et leurs paroles.
Démenottage, fouille, remenottage, montée vers les geôles, démenottage et remise en cellule... avant un passage de dix minutes devant le substitut du procureur.
Un homme à l’accent du midi prononcé, souriant, visiblement prompt à la rigolade, et au demeurant fort sympathique.
« On vous reproche la participation à un groupement fermé en vue de la préparation de violences contre des personnes ou destruction ou dégradation de biens. »
J’explique ma présence à Paris dans le but de faire des images, souhaitant pour cela protéger mon intégrité physique des divers risques potentiels, d’où qu’ils puissent venir.
« Il est vrai que vous ne semblez pas faire partie du black-bloc, ils sont plus jeunes.Vous faites plutôt partie du marron-bloc. » Il éclate de rire.
Je portais un pull marron.
« Mais votre équipement laisse croire que vous comptiez vous rapprocher du feu. Les black-blocs sont des gens dangereux et nous sommes en DE-MO-CRA.... » il rit quand je termine par « TURE » et me conseille de lire de la poésie plutôt que de faire des photos en manifestation, en l’occurrence « le poète casqué », remarque qui, étant donné la situation, le fait rire de nouveau.
« Considérez que vous avez été mise à l’abri » ajoute-t-il en signant mon rappel à la loi... sous condition (interdiction de paraître dans les 20 arrondissements de Paris pendant 3 mois et ne pas commettre d’autre infraction à la loi durant cette même période). Peut-être espérait-il un remerciement. Le doute me hante désormais... jamais je ne saurai.
Bilan : 30h de privation de liberté, destruction de mon matériel de protection, fichage plus que probable, sanction, parano, rêves de gens en bleu et nuits compliquées.
Photographe pacifique, j’ai fait partie ce jour-là des quelques 140 dangereux individus interpellés,et traitée comme telle.
Alors force et soutien à toutes et tous les autres ayant payé de leur liberté ou de leur chair le « maintien de l’ordre » de ce 12 décembre 2020.
À Moun en particulier.
Force et soutien, bien évidemment, à celles et ceux du passé, du présent et à venir...
Merci à celles et ceux qui ont agi ce jour-là ainsi que les suivants.
Liberté et justice.
Appel à déposer plainte collectivement
Plusieurs personnes arrêtées ce 12 décembre souhaitent déposer plainte ensemble contre les exactions commises contre elles ce jour-là par la police. Elles appellent toutes les personnes ayant subi la même situation à se joindre à elles !
Pour cela, contacter la legalteam Paris 07 52 95 71 11 stopression(a)riseup.net
Et pour toutes celles et ceux qui veulent soutenir cette démarche, ainsi que toutes les autres actions de solidarité contre la répression parisienne, c’est possible de faire un don à la legalteam de Paris :
https://kutt.it/stoprep
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