L’année dernière, un mouvement agricole historique a balayé toute l’Europe. Partout, manifs, blocages et actions directes ont exprimé la colère agricole. En France, ce mouvement - parti de la base - a été préempté par la FNSEA et la Coordination Rurale. Mais derrière leurs grands discours, qu’ont-elles réellement obtenu pour améliorer la condition paysanne ?
La FNSEA a profité de la souffrance et de la colère pour pousser son agenda au service des profits du complexe agro-industriel et de la libéralisation du secteur agricole. Elle a dicté au gouvernement une nouvelle loi d’orientation agricole. Celle-ci ne résoudra rien à la misère et à la colère paysannes. Elle ne sert en réalité que les patrons de la grande bourgeoisie agro-industrielle, dont Arnaud Rousseau est le porte-parole. Depuis plus de 70 ans, la FNSEA dicte les orientations de la politique agricole. Le résultat est sans appel : triomphe de l’agro-industrie et disparition programmée du métier de paysan. La FNSEA orchestre un plan social massif dans l’agriculture, où les gros ne cessent de dévorer les petits.
La Coordination Rurale a su incarner la colère dans l’action résolue. Mais elle a renoué avec la tradition politique des chemises vertes en se ralliant à l’extrême droite. Sa porte parole s’est rendue à l’université d’été de l’« Action Française » : un mouvement royaliste ! Veut-on vraiment le retour au servage ? Le ralliement du syndicat au Rassemblement National, par la voix de Bousquet-Cassagne, leader de la CR 47 pressenti pour être ministre de l’agriculture de Bardella, a provoqué des remous. Une purge interne a abouti à l’exclusion de celles et ceux qui voulaient garder leur indépendance et refusaient d’affilier le syndicat au RN. La Coordination Rurale détourne la colère. Elle désigne des boucs émissaires du malheur agricole : les migrants et les écolos. Mais les migrants sont bien souvent eux-mêmes des paysans en exil, jetés sur les routes par les conséquences tragiques de la libéralisation du marché agricole et du bouleversement climatique. Quant aux écolos, s’ils sont parfois déracinés et éloignés du monde paysan, ils doivent admettre qu’il est impossible de défendre la terre sans celles et ceux qui la travaillent. Une chose est sûre : ni les migrants, ni les écolos ne sont responsables de la misère paysanne, et jamais la Coordination Rurale ne s’attaque aux vrais responsables : les patrons de l’agro-industrie et de l’agro-alimentaire, la grande distribution et les grosses coopératives.
Bien que sur des lignes politiques différentes, la FNSEA et la Coordination Rurale sont toutes deux corporatistes. Elles défendent le mythe de l’unité du monde agricole. Elles nient les inégalités sociales considérables qui le gangrènent. Elles excluent de s’organiser contre les gros qui accaparent et concentrent les terres, l’eau, les aides publiques et le capital au détriment des paysannes et paysans qui galèrent à vivre de leur métier.
Elles opposent agriculture et écologie. Elles refusent d’admettre l’évidence : pour sauver le métier de paysan, il faut préserver la terre et l’eau, défendre un outil de travail vivant et nourricier. Alléger les normes environnementales n’augmentera pas le revenu des agriculteurs et des agricultrices, ne les préservera pas de l’impitoyable concurrence imposée par le libre-échange, ne favorisera pas l’installation de nouvelles générations de paysannes et de paysans, ne les empêchera pas de crouler sous la paperasse et les aberrations administratives, ne réduira ni les suicides, ni les marges délirantes de l’agro-alimentaire et de la grande distribution.
La Confédération Paysanne a pointé les bons thèmes (revenu et libre échange) et les bonnes cibles (Lactalis et les centrales d’achats de la grande distribution). Mais elle n’a pas tapé assez fort du poing sur la table pour se faire entendre. Aujourd’hui, la tragédie paysanne se poursuit. Les raisons de la colère sont encore là. Elles dureront bien au-delà de cette campagne électorale qui agite les syndicats. Une année climatiquement très difficile a fait s’effondrer les rendements et met en péril de nombreuses fermes. Certains secteurs sont absolument sinistrés comme la viticulture ou l’apiculture. Lactalis laisse des milliers d’éleveuses et d’éleveurs sur le carreau en réduisant drastiquement et du jour au lendemain son volume de collecte. Les épidémies déciment les troupeaux. Les revenus indécents et les retraites misérables restent le pain quotidien des agriculteurs petits et moyens, etc.
Avec Correspondances paysannes - à travers un bulletin d’information indépendant des syndicats comme des partis politiques - nous proposons de bâtir un réseau pour donner de l’écho à la parole de paysannes et paysans anonymes. Diffuser des récits d’actions et des analyses. Propager des informations et des enquêtes. Relayer ce qui se dit et se vit à la base, derrière le discours des centrales syndicales. L’agro-industrie et l’extrême droite cherchent à couper le monde agricole de la société et du monde. Ils aggravent la stigmatisation qu’ils prétendent combattre. Correspondances paysannes veut contribuer à relier les paysannes et paysans aux autres secteurs de la société, à faire entendre que « leurs » problèmes sont en réalité au cœur des enjeux sociaux, politiques et écologiques de l’époque.
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