« Ils nous ont tant volés qu’ils nous ont même dérobé notre peur » : insurrection populaire au Chili



Le Chili vit depuis quelques jours un soulèvement insurrectionnel d’une ampleur inédite. Partie de l’augmentation des prix du ticket de métro, la révolte s’est rapidement généralisée, prenant pour cible le système dans son ensemble — dans un pays qui, depuis le coup d’État mené par Pinochet en 1973, est un laboratoire du néo-libéralisme le plus féroce et où les inégalités sont parmi les plus fortes au monde.

Article publié sur ACTA le 21/10/2019

Alors que le gouvernement de droite à décrété l’État d’urgence et instauré un couvre-feu, alors que les militaires patrouillent dans les rues pour la première fois depuis la fin de la dictature en 1990, Acta a mené un entretien avec leur correspondant au Chili pour faire le point sur la situation. Il nous explique les enjeux de l’explosion sociale en cours, sa composition, ses méthodes de lutte et sa résonance avec les soulèvements parallèles en Amérique du Sud.

Le Chili connaît des émeutes populaires d’une intensité jamais vue depuis des décennies. Quel a été l’élément déclencheur du soulèvement ?

L’élément déclencheur du soulèvement, c’est la lutte contre l’augmentation du prix du métro à Santiago. Un journaliste de l’agence France-Presse, toujours aussi fin limier, vient de découvrir que le métro de Santiago du Chili était le plus étendu de toute l’Amérique latine, et que la capitale était surpolluée par les embouteillages. Il serait plus judicieux de dire que ce mouvement, initié par des étudiants, des précaires et des lycéens est typique de la situation analysée par l’opéraïsme italien à travers le concept d’ouvrier social. Dans une époque où c’est la ville entière qui est devenue une usine, et donc où c’est l’ensemble de l’espace social urbain qui participe à la production de valeur, il est tout à fait logique que le prix du métro devienne un enjeu radical des luttes. Si l’on pense aux mouvements de ces dernières années en Amérique du Sud, on peut faire la comparaison avec les luttes de 2013 à São Paulo, revendiquant la gratuité du bus dans cette ville. Un peu comme au Brésil, le mouvement a commencé avec un groupe militant indépendant des partis et syndicats ouvriers, et s’est répandu de la capitale aux autres grandes villes de tout le pays. Le plus surprenant, c’est la rapidité de l’extension du mouvement dans le cas chilien. Vendredi, il a pris Santiago. Samedi, il s’est déployé dans toutes les grandes villes du pays, du nord jusqu’au sud.

Comment la lutte contre la hausse des prix des transports s’est-elle muée en insurrection généralisée ?

Ces formes de luttes contemporaines, où c’est la métropole elle-même qui devient un enjeu politique, sont de plus en plus présentes au Chili depuis ces dernières années. Ce n’est certes pas la première tentative de politisation du « droit à la ville » qui se passe au Chili, que ce soit à Santiago ou ailleurs. D’autres luttes antérieures ont déjà eu lieu, avec des résultats relatifs. De même, les pratiques émeutières ne sont pas nouvelles ici. Et il faut rappeler le courage des militantes féministes face à la répression policière, que ce soit lors du mouvement féministe de 2018, ou même lors de la marche du 8 Mars de cette année. S’il y a une explosion sociale d’une telle ampleur cette fois-ci, je crois que l’une des raisons se trouve dans les nouvelles formes de luttes, beaucoup plus offensives, qui ont été développées dès le premier jour à Santiago.

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