Laenge leve Ungdomshuset !



Communiqué et appel à soutien pour un squat danois en résistance.

Ungdomshuset [1] en danois est un centre social autonome situé à Copenhague, au Danemark. Il existe depuis 1982, et est le fruit des luttes radicales alors menées par le mouvement squat danois, qui parvint à arracher ce lieu aux autorités pour y poursuivre ses pratiques autogestionnaires et y développer une contre-culture en rupture avec le capitalisme, en opposition aux institutions et à l’état.

Au fil des années, Ungdomshuset est devenu un maillon crucial d’une scène musicale indépendante et politisée, de la culture « do it yourself » et de l’activisme anarchiste en Europe du nord. En plus de 20 ans d’activités, les évènements qui s’y sont déroulés (concerts, projections, ateliers, repas populaires, débats et bien d’autres) se comptent par milliers ; de nombreux projets politiques, groupes d’affinités et collectifs libertaires en ont fait leur pied-à-terre.

Ungdomshuset est de ces rares zones d’autonomie, qui, à travers leur existence et leurs pratiques, montrent qu’il est non-seulement réaliste mais pertinent de s’auto-organiser en marge des espaces de pouvoir ; qui, à travers leurs structures, ouvrent la possibilité de s’exprimer hors des carcans, d’inventer d’autres mondes, de se confronter à ses idées, et de lutter, dehors comme dedans, pour détruire les inégalités.

Partout en Europe, de tels espaces de libertés, difficilement conquis quand ils existent, sont sans cesse l’objet d’attaques de la part des autorités, qui ont tenté, tentent et tenteront, ici et ailleurs, d’éradiquer ces foyers de dissidence. Diverses villes d’Europe ont été le théâtre d’une criminalisation et d’une répression virulentes de ces expérimentations. Cet été encore, squatteureuses et sympathisant·e·s de divers pays ont du essuyer les attaques de la police de Freiburg (Allemagne) contre le festival DIY against the state [2], que les autorités ont souhaité neutraliser. Fin octobre, c’est à Toulouse que Le Clandé [3], alors vieux de 10 ans, était expulsé, réoccupé par quelques 200 personnes en colère le soir-même, mais ré-expulsé un mois plus tard.

Dans certaines villes, des mouvements squat, au croisement des luttes anticapitalistes & anti-autoritaires, des cultures indépendantes et des problématiques du logement ont su s’enraciner comme à Amsterdam et Barcelone (ou la répression s’accroit néanmoins ces derniers mois). Ailleurs, si la conquête des espaces vides gagne heureusement en vitalité ça et là, il est aussi d’autres endroits où est désormais presque impossible l’occupation de lieu à l’abandon, où, dans le meilleur des cas, seuls quelques espaces autonomes ont pu résister à l’épuration. Tel est non seulement le cas de Copenhague, mais du Danemark tout entier, au sein duquel Ungeren fait figure d’exception.

Cependant, Ungdomshuset est aujourd’hui menacé. Condamné à disparaître par la municipalité, qui a choisi de vendre la propriété à une secte d’extrême droite, Ungdomshuset a d’abord épuisé tous les recours légaux et longtemps tenté la négociation, pour finalement entrer en résistance, maintenant que la police peut à tout moment venir expulser. Ainsi les occupant·e·s ont-illes lancé un appel international à une semaine d’action, pour physiquement empêcher l’expulsion. Ou, à défaut, à faire apprécier à la municipalité le plein poids de sa décision.

Après que quelques 5 000 personnes (selon la police !) aient manifesté leur soutien à Ungdomshuset dans les rues le vendredi, une seconde manifestation s’est tenue le lendemain, samedi 16 décembre 2006, avec un black bloc de centaines de personnes casquées et cagoulées. Celle-ci n’avait pas fait 300 mètres que la police tentait de la bloquer. Conformément à ce qu’illes avaient annoncé, les partisan·e·s, d’Ungdomshuset ont riposté, à coups de pavés, de pointure, de feux d’artifices et de barricades enflamées (des sapins de Noël, notamment). Complètement dépassée, la police a bouclé le quartier, et embarqué près de 300 personnes arbitrairement. Pendant ces temps des dizaines de petits groupes se sont dispersés au centre-ville et se sont attaqués aux banques, magasins et restaurants de luxe. C’était les plus grosses émeutes anticapitalistes au Danemark depuis dix ans.

Nous tenons à témoigner notre entière solidarité aux occupant·e·s d’Ungdomshuset, à tou·te·s les manifestant·e·s présent·e·s sats distinction, ainsi qu’à ceux & celles qui se battent par divers moyens pour préserver de telles exceptions dans nos sociétés contemporaines, gangrennées par le citoyennisme, les idéologies sécuritaires et l’acceptation de la répression. Nos pensées vont tout particulièrement à celles et ceux qui demeurent incarcéré·e·s suite à la manifestation, et dont nous souhaitons la libération inconditionnelle et immédiate, tout comme nous exigeons l’abandon des poursuites contre tou·te·s les interpellé·e·s !

  • Parce qu’Ungdomshuset est un lieu emblématique de la tradition « do it yourself » mêlant créativité artistique, critique sociale radicale et offensive contre les structures de domination, contre-culture dont est directement issu l’Espace autogéré des Tanneries [4], comme tant d’autres lieux, collectifs, initiatives et actions des 10 dernières années ;
  • Parce qu’Ungdomshuset, comme tous ces lieux construits envers et contre le monde les environnant, est un espace unique, fruit des rêves, des complicités, des rencontres, de la combativité de tant de gens, que son histoire est celle de plusieurs générations, que ses murs en reflètent les joies & les colères, les rages et les passions — tout comme nos murs témoignent de huit ans d’aventures et de pareilles émotions ;
  • Parce qu’Ungdomshuset, bien que solidement implanté localement, est aussi porté par une large communauté, dont les affinités n’ont que faire des frontières, que le sentiment de solidarité fait se mobiliser, tant par des actions de soutien de par le monde que par une convergence sur place pour défendre le lieu contre l’expulsion — cette même solidarité internationale à laquelle les Tanneries ont déjà fait appel, et dont nous espérons bénéficier de nouveau le moment venu, le maire ayant récemment annoncé que notre espace pourrait être lui aussi voué à disparaître, en cas de dit « projet d’utilité publique »...
  • Nous nous sentons particulièrement solidaires d’Ungdomshuset, politiquement, émotionnellement. Nous encourageons donc tout·e un·e chacun·e à crier haut et fort son indignation à l’attention de l’état danois, avec des mots, avec des gestes.

Ce sont quasi-systématiquement des rapports de force populaires et des résistances déterminées qui ont pu permettre à des espaces autogérés de persister dans la durée. À un moment sans doute charnière de l’histoire des squats politiques en Europe, l’histoire d’Ungdomshuset résonne comme une menace, mais aussi comme un énorme encouragement à ne pas se laisser faire.

Aux camarades danois·es : Bravo, ne baissez pas les bras ; vos barricades sont les nôtres !

UNGDOMSHUSET BLI’R !

Dijon, France, 17 décembre 2006, des occupant·e·s de l’Espace autogéré des Tanneries.

Pour plus d’information, voir le site web de la maison.

Mise à jour sur la situation et les actions menées depuis la manifestation du 16 décembre

La plupart des personnes ont été relâchées, certaines personnes d’origines étrangères ont juste été expulsées momentanément du danemark, d’autres pour de plus longues périodes. 4 personnes sont toujours incarcérées, en attente de leur procès (il est possible de leur écrire et d’obtenir des informations à jour en prenant contact avec l’Anarchist Black Cross de Copenhague). Ungdomshsuet est officiellement expulsable depuis le 1er janvier et ses occupant·e·s ont annoncé qu’ils opposeraient à la police une résistance forte lors de l’expulsion.

Les émeutes du 16 décembre et l’ampleur des actions de soutien à Ungdomshuset ont fait beaucoup de bruit dans les médias danois (jusqu’à une certaine psychose. Pour l’anecdote, suite au communiqué ci-dessus, un gros quotidien danois a déclaré que les représentants et diplomates danois dans toute la France était maintenant en danger du fait du risque d’action de solidarité des jeunes autonomes français). Beaucoup de gens, notamment du quartier cosmopolite de Norrebrö où est installé Ungdomsuset, ont décidé de prendre parti pour le squat. Le rapport de force avec les autorités danoises est clairement monté de quelques crans, même si elles ne semblent pas prêtes à lâcher pour autant. La police a néanmoins déclaré être très anxieuse de ce que pourrait donner l’expulsion et demandé à ce que soit étudiée de nouveau une solution politique.

Fin janvier, la Mairie de copenhague a proposé à Ungdomshuset, si ils acceptaient de partir, une école à acheter pour entre 1,5 et 3 millions d’euros et dans laquelle ils pourrait continuer leurs activités. Une fondation de soutien à Ungdomshuset s’était structuré pour pouvoir racheter Ungdomsushet au parti catholique intégriste « faderhuset » pour que cet espace demeure en tant que lieu autonome, ce qui a toujours été refusé. Même si théoriquement la fondation pouvait effectivement également racheter l’école proposée par la Mairie, l’assemblée générale d’Ungdomshsuet après une semaine de réunion non-stop a finalement refusé cette solution et écrit une longue lettre à leurs soutiens de la fondation pour en donner les raisons. Ils y expliquent entre autre : Nous avons accepté qu’Ungdomshuset puisse être racheté parce qu’il semblait qu’il n’y avait pas d’autres voies. C’était un compromis que l’on était prêt à faire pour garder la maison que nous avons aujourd’hui et son histoire, pas pour une autre maison tandis que notre histoire serait déchirée en morceaux. (...) La lutte pour des « maisons de jeunesse autogérées » a toujours été un combat pour des maisons que nous pourrions remplir et structurer nous-même. Accepter l’offre qui nous est présentée serait accepter qu’une « maison autogérée de la jeunesse » soit quelque chose qui s’achète et que l’autogestion coûte des millions. On ne veut pas prendre part au fait de réduire le droit à ces lieux à une question de capacité à payer. (...)

Les politiciens se sont tellement foutus de nous que nous voulont plus écouter leurs conneries. Quelqu’un doit rester fort sur certain principes, quelqu’un doit dire stop et dessiner une frontière. Aujourd’hui il semble que ce quelqu’un sera nous.

À la fin de cette lettre l’assemblée d’Ungdomshuset déclarait qu’ils/elles ne partiraient du lieu que si la mairie leur fournissait gratuitement un espace équivalent à l’espace dont il bénéficient actuellement dans le quartier de Norrebrö où ils ont construit leur identité et de forts liens avec le voisinage. Ils ont réaffirmé que leurs objectifs étaient restés ceux du début du mouvement en 1980 et qu’ils exigeaient une reconnaissance politique forte de la nécessité pour ces lieux d’exister. La mairie a sans surprise immédiatement refusé, tout en publicisant l’offre de l’école pour tenter de relégitimer l’expulsion. Celle-ci ne devrait donc logiquement plus tarder. Diverses actions sont d’ores et déjà prévues dans les semaines qui vont suivre l’expulsion.

Depuis la manifestations de décembre, les initiatives se sont multipliées au Danemark et dans divers pays européens :

- À Copenhague, plusieurs actions d’occupations de bâtiment vides ont eu lieu, ce qui n’avait pu arriver depuis un moment (comme en Allemagne, la police expulse systématiquement en moins de 48h), même si elles ont été réprimées avec fracas par la police. Des hackers danois se sont aussi mêlés de la partie, pendant les émeutes du 16 décembre, quelques néo-nazis avaient en effet réussis à prendre des photos de participants puis mis ces photos sur un site internet en appellant les gens à les identifier et à les dénoncer à la police. Les photos ne sont heureusement pas allées loin puisque le site a été attaqué et fermé en quelques heures. Plusieurs autres sites ont été hacké et fermés depuis le mois de décembre : celui du parti catholique intégriste « faderhuset » qui a racheté ungdomshuset, ainsi qu’un autre site raciste où des nazis lancent des appels à attaquer les gauchistes, émigrants et la jeunesse alternative. Au résultat, les pages web les plus importantes de l’extrême droite sont fermées depuis plus d’un mois et sans beaucoup de chances que ni les uns ni les autres puissent les réparer à court terme.

- À Barcelone, le consulat du Danemark a été occuppé et les portraits du roi et de la reine danoises redécorés.

- À Athènes, le 20 décembre 2006, des graffitis en faveur d’Ungdomshuset et des tâches de peinture rouges et noires ont décoré la façade de l’institut du Danemark. Lors de la manif pro-squat et agitée du 30 novembre 2006 (organisée un an après l’expulsion du vieux squat athénien Santa Barbara), il y avait une grande banderole de solidarité avec Ungdomshuset.

- À Bergen en Norvège, vers le 17 décembre 2006, des graffitis en faveur d’Ungdomshuset ont décoré le consulat du Danemark.

- À Amsterdam, autour du 20 décembre 2006, une grande banderole a été accrochée sur un batiment, exigeant la libération de toutes les personnes incarcérées suite aux affrontements de Copenhague lors de la manif de solidarité avec Ungdomshuset.

- À Lübeck en Allemagne, le 16 décembre 2006, une centaine de personnes ont manifesté en solidarité avec Ungdomshuset.

- À Kiel en Allemagne, le 14 décembre, une vingtaine de personnes ont manifesté pour Ungdomshuset, devant le consulat du Danemark.

- En Suède, le 12 janvier 2007, il y a eu trois manifestations de solidarité avec Ungdomshuset, à Malmö, Göteborg et Stockholm (notamment face aux consulats et ambassade du Danemark).

Il est encore temps d’agir !

Pour finir quelques mots d’Ungdomshsuet envoyés suite aux émeutes du 16 décembre :

Aux brigades internationales : Merci de votre présence en ce moment de besoin ! Nous nous sentons extremement privilégiés de pouvoir compter sur cette famille étendue si extraordinaire. Nous avons très longtemps tenté de négocier avec les politiciens, initié le dialogue et organisé des manifestations pacifiques. En retour, nous n’avons reçu que mensonges, ignorance, violences policières, arrestations arbitraires, détentions et menaces d’expulsion. Vous nous avez aidé à montrer aux politiciens que contrairement à eux, nos propos ne sont pas foutaises et fausses promesses. Il avait été annoncé que nous nous battrions pour cette maison, et il semble que l’idée selon laquelle l’expulsion à venir ne sera pas chose tranquille commence enfin à faire son chemin à travers l’épaisseur de leur crâne. La police a appris que notre genre ne peux être forcé à se soumettre. Quelle que soit la brutalité qu’ils emploient, ils ne peuvent nous faire perdre notre désir de lutter. Pas un instant.

Nous sommes désolé·e·s que certain·e·s d’entre vous aient été blessé·e·s, détenu·e·s et expulsé·e·s du territoire. L’enfermement de personnes conscientes de la valeur de la liberté est effectivement cher payé. Mais avec votre force, votre sang et votre insoumission, vous avez fait d’Ungdomshuset votre maison, et à chaque fois que vous reviendrez, vous serez accueilli chez vous.

À ceux/celles d’entre vous qui ont organisé des actions, des manifestations ou concerts de solidarité dans vos propres communauté : merci, vous nous donnez plus de force pour continuer à nous battre ! Nous sommes fier·e·s de faire partie d’un réseau qui a encore le courage de faire front à l’élite du pouvoir.



Notes

[1Ungdomshuset, aussi appelé Ungeren, signifie « maison de la jeunesse ».

[2"DIY Against the state", Freiburg Im Brisbau, 36-30 juillet 2006. Site du festival et récit.

[3Mythique lieu d’activité autogéré, Le Clandé était l’un des plus vieux squats de France. Son expulsion surprise a généré une manifestation spontanée, lors de laquelle des barricades furent élevées sur les boulevards environnants. Le bâtiment fut ré-occupé quelques heures plus tard, et tenu durant plus d’un mois, sans que ne puisse être empêchée sa re-expulsion début décembre.

[4L’espace autogéré des Tanneries est un centre social anarchiste, occupé depuis 1998. Suite à une longue mobilisation, la municipalité a consenti à nous laisser l’espace, abandonnant l’expulsion... pour combien de temps ? À noter que Les Tanneries ont acueilli des rencontres et discussions sur le thème précis de la « défense des espaces autonomes » dans le cadre des rencontres de l’Action Mondiale des Peuples, en été 2006.

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