Lettre ouverte aux salariés de Décathlon subissant le management paternaliste



Ressorts et techniques néolibérales pour contrôler ses salariés avec le sourire... une innovation Décathlon.

Decathlon… cité comme référence du management néolibéral, l’entreprise (propriété de la famille Mulliez comme Leroy Merlin ou Auchan) est sutout le digne héritier du paternalisme de Schneider et Michelin au siècle dernier. Déjà, le monde de l’entreprise savait ce qui était bon ou non pour ses ouvriers. Une intention discutable prenant la forme de mise à disposition de logements ou de sponsoring pour le club de sport local. Une fois redevable, la vague de la paix sociale apportait engouement et force à des bras malléables à souhait. L’ère de la mondialisation, avec ses délocalisations et dégraissages salariaux d’entreprises bénéficiaires, a pourtant mis à mal les grosses ficelles des industriels. Doucement, d’autres formes de contrôle sont alors apparues. Elles instaurent cette même collision entre des propriétaires/actionnaires toujours plus avides et des travailleurs s’accrochant aux valeurs de l’idéologie du Travail.

Les mots ont changé mais la finalité demeure elle inchangée. Le management représente désormais le bras armé de cette stratégie. Si le carriérisme n’est certes pas une invention de la marque bleu-ciel, elle demeure un pilier incontournable maintenant bien rôdé de sa politique d’entreprise.

Entrer à Decathlon tient plus de l’intronisation que du recrutement objectif. Les candidats se bousculent au portillon. La marque n’a qu’à piocher à souhait dans ces chômeurs surqualifiés en quête de reconnaissance professionnelle. Fort de ce constat, le questionnement libéral s’est transformé : Comment, sans accroitre les salaires et en évitant les mouvements sociaux, inciter ses collaborateurs à offrir plus de temps et d’énergie à l’entreprise ? Si possible avec le sourire et de l’amour pour Decathlon !

Les dirigeants de l’enseigne sportive ont saisi toute la puissance octroyée par le contrôle du lien social. Soirées festives, formations à l’extérieur et autres stages pour tester les produits du magasin concourent au même objectif : l’assimilation intégrale du salarié.
Le procédé, sous couvert de sympathique esprit d’équipe, réduit considérablement l’intérêt et le temps disponible pour les relations en dehors du magasin. Ce délaissement affectif et temporel se traduit par une lente, mais efficace, renonciation des liens personnels gravitant hors de la sphère de l’univers bleu ciel. Le « team building » et le martèlement quotidien du vocabulaire Décathlonien, suffisent à plonger la nouvelle recrue dans un bain social réellement décapant. Ce lavage méticuleux permet de faire basculer ses collègues dans le cercle de ses amis, tout en l’arrachant à ses précédentes relations sociales.

Les tensions avec la sphère amicale et amoureuses sont légions mais l’impression d’être enfin reconnu et apprécié refroidit bien des travailleurs à replonger dans un marché de l’emploi aussi agressif. La trappe se referme alors doucement mais sûrement. Quitter Decathlon revient à quitter sa vie sociale restante, bref à choisir l’exclusion… Devant ce risque d’abandon, le néo-employé se déleste de toute forme de remise en question. Il ne questionne pas la présence des caméras dans les zones uniquement accessibles au personnel. Il accepte les heures supplémentaires non-payées, les changements de planning, les nuits de déménagement dans le magasin ou l’adoption d’un comportement décliné à souhait en procédures de vente (ne parler qu’aux clients dans le rayon, avoir l’air toujours occupé mais disponible, pousser à l’achat de chaussettes quand on conseille des chaussures…).

Une importance toute particulière est accordée à la culture d’entreprise où carriérisme et individualisme s’élèvent au rang de valeurs indiscutables de l’être humain. Les salariés sont incités à participer à cette propagande en s’envoyant des mails pour se motiver les uns les autres. La promesse d’une évolution de carrière dans un groupe défendant la promotion en interne et proposant tellement de métiers différents, s’accompagne systématiquement de longs délais d’attente et quasi-systématiquement d’une mobilité géographique. Une fois le déménagement de région accepté, la laisse salariale est d’autant plus rigide. L’entreprise dispose, à sa guise, d’un salarié isolé donc aussi docile que dévoué… prêt à reproduire le processus d’assimilation des nouveaux.

Quand un réfractaire est soupçonné parmi les rangs, la sanction disciplinaire intervient rarement. La stratégie n’est pas de diviser pour mieux régner mais d’unifier pour mieux expulser. Les managers n’ont qu’à chuchoter le nom des moutons noirs, ceux réfractaires à la pensée unique ou dont l’engouement pour la marque aurait décliné. Une fois le corps étranger désigné, une meute d’employés se lance dans cette chasse au traître sans même s’en rendre compte. Quand tous tes amis/collègues répudient la même personne, pourquoi douter de sa nécessité ?

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